Modèle d’affaire: Uber sous la menace à Genève
La question se posait depuis de nombreux mois: le nouveau modèle d'affaires d'Uber, via des entreprises tierces, est-il légal en Suisse? En mai 2022, le Tribunal fédéral a mis fin à un bras de fer de plusieurs années entre Uber et le canton de Genève.
Il a donné tort à Uber et a exigé que les chauffeurs soient considérés comme des salariés et non des indépendants. L'entreprise MITC Mobility s'est alors lancée, a repris la majorité des chauffeurs Uber et a mis sur pied un nouveau modèle d'affaires qu'elle considère conforme aux exigences légales.
>> Relire: Débouté par le Tribunal fédéral, Uber doit cesser son activité à Genève et se mettre en règle
Sous haute surveillance
Depuis plus de six mois, les échanges entre MITC mobility et l'administration cantonale genevoise sont intenses. Les demandes de clarifications se multiplient, émanant de la Police du commerce ou de l'Office de l'inspection et des relations de travail (OCIRT).
Objectif: s'assurer de la légalité du nouveau modèle d'affaires et permettre à l'entreprise de s'adapter aux nouvelles exigences émanant de la décision du Tribunal fédéral. L'entreprise a été scrutée par l'Etat, jusqu'au début du mois de décembre.
Loi sur la location de service
Début décembre, l'Office cantonal de l'emploi (OCE) a exigé la mise en conformité de l'entreprise avec la loi fédérale sur le service de l'emploi et la location de service (LSE) et a menacé de suspendre ses activités en cas de non-respect. Le délai était d'environ un mois. Des exigences qui sont incompatibles avec le modèle d'affaires de MITC Mobility pour son directeur Karim Sahnine.
Concrètement, la société devrait garantir aux chauffeurs un certain nombre d'heures de travail. Interrogé par la RTS, Karim Sahnine considère qu'il ne peut pas entrer en matière: "Aujourd'hui, nos collaborateurs peuvent travailler à l'heure qu'ils souhaitent. Cette flexibilité avec la LSE n'existe pas. Nous ne pensons pas que le modèle de cette loi soit approprié au modèle que nous proposons."
La société n'a alors pas donné suite. Quelques jours plus tard, le canton a rendu sa sentence par courrier: il a demandé à MITC de suspendre ses activités à Genève.
Le sort d'Uber à nouveau en main de la justice
Karim Sahnine dénonce une décision précipitée et incompréhensible. "Ce sont 450 familles, 450 personnes qui pourraient se retrouver au chômage. Décider du jour au lendemain d'arrêter cette activité, c'est quand même grave de la part de l'Etat." MITC a fait recours. C'est le Tribunal cantonal qui doit désormais trancher.
Les activités des chauffeurs Uber peuvent se poursuivre pour l'instant. Des mesures superprovisionnelles ont été accordées par la justice jusqu'au 15 février.
"Genève applique le droit"
Interrogée par la RTS, la magistrate verte en charge de l'Economie et de l'Emploi, Fabienne Fischer, dit ne pas pouvoir commenter un cas en cours, mais assure que "l'Etat n'a pas pour vocation de dire à une entreprise le modèle d'affaires qu'elle doit suivre. En revanche, l'Etat doit examiner si le modèle d'affaires d'une entreprise répond au cadre légal".
Et d'ajouter: "Des entreprises, a fortiori des multinationales comme Uber, ont des bataillons de juristes qui sont capables d'examiner quel est le cadre légal qui s'applique en Suisse pour leur activité et de choisir un modèle d'affaires pour qu'il soit conforme."
Contacté, Uber a décliné notre demande d’interview. L’entreprise dit s'opposer à l'interprétation juridique de l'administration genevoise, car il n’y a, selon elle, pas de location de services dans le cadre de ses relations avec des entreprises de transports tierces.
Les yeux rivés sur Genève
Le sort d'Uber à Genève aura des répercussions ailleurs en Suisse. La décision des tribunaux fera jurisprudence. Au-delà d'Uber, c'est le futur de l'économie des plateformes qui se joue. Aujourd'hui, le droit du travail ne semble pas compatible avec ces nouveaux modèles d'affaires.
>> Le sujet dans l'émission Forum:
Sujets radio et TV: Gabriela Cabré et Julien Chiffelle
Une autre société dans le viseur
Une autre société qui emploie des chauffeurs Uber, l'application Chaskis a également reçu le même courrier de l'OCE lui demandant de suspendre ses activités à Genève. Son modèle a également été jugé non conforme avec la loi fédérale. Contactée, l’entreprise dit avoir fait recours contre cette décision. Sa situation est la même que MITC mobility : elle attend la décision du Tribunal cantonal.
"Nous ne comprenons toutefois pas que l’Etat et l’administration joue avec le feu et avec les emplois des chauffeurs pour des raisons purement politiques. Nous avons néanmoins confiance dans les tribunaux chargés d’appliquer la loi et qui pour l’instant nous ont donné raison sur la question de l’effet suspensif ", indique la porte-parole de Chaskis.