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Quinze ans après avoir porté plainte, il est enfin entendu par la justice pénale

La justice genevoise a mis 15 ans à trancher un litige entre deux frères autour de la possession d'un immeuble.
La justice genevoise a mis 15 ans à trancher un litige entre deux frères autour de la possession d'un immeuble. / 19h30 / 3 min. / le 5 juin 2021
En 2006, Pierre-André Bayard dépose une plainte pénale à Genève contre son frère pour une histoire d'immeuble "volé". Il vient de gagner en justice au terme d'une procédure record de 15 ans.

C'est une histoire complètement folle, celle de deux frères qui se déchirent autour de la possession d'un immeuble de trois étages situé dans le quartier des Pâquis à Genève. Ce litige a donné lieu à l'une des procédures pénales les plus longues menées par le Ministère public genevois. Le parquet a en effet mis une quinzaine d'années à renvoyer le prévenu en jugement.

On peut résumer l'histoire ainsi: Pierre-André Bayard, un médecin dentiste retraité, est propriétaire du bâtiment, mais c'est son frère aîné qui s'approprie tous les gains locatifs de l'immeuble.

Le 11 octobre 2006, Pierre-André, 78 ans aujourd'hui, dépose une plainte pénale à l'encontre de son frère. Il ne se doute alors pas une seule seconde qu'il va devoir prendre son mal en patience pour obtenir justice.

Médiation pénale

Dans un premier temps, à l'époque, le parquet du procureur général tente une médiation pénale. "Compte-tenu des circonstances de cette cause, une solution négociée entre les intéressés vaudrait mieux qu'une continuation de la poursuite pénale", écrit ainsi le parquet en septembre 2007.

Mais la médiation échoue et les fronts se crispent. En mars 2009, le Ministère public classe la procédure, notamment en raison du caractère civil prépondérant du litige.

L'affaire rebondit quatre ans plus tard en mars 2013. Dans un jugement déterminant pour la suite de la procédure, le Tribunal des baux et loyers écrit avoir acquis "la conviction que Pierre-André a confié la gérance de son immeuble à son frère et que celui-ci a profité de la confiance placée en lui pour prendre progressivement possession du bâtiment".

Pierre-André Bayard s'appuie sur ce jugement pour déposer une nouvelle plainte pénale contre son frère. Son objectif est toujours le même: récupérer son bien. En août 2013, il obtient une première petite victoire devant le Ministère public genevois lorsque le procureur Dario Zanni ordonne la reprise de la procédure préliminaire. Il rouvre donc le dossier ouvert une première fois en 2006 puis fermé en 2009.

Cinq procureurs différents

A ce moment-là, Pierre-André Bayard pense de nouveau que l'affaire va se régler rapidement, mais il se trompe. L'affaire s'enlise. D'après nos recherches, plusieurs éléments permettent d'en comprendre la raison.

Il semble tout d'abord que le dossier n'a pas été considéré comme prioritaire par le Ministère public. Ce dernier estimait que le différend aurait dû se régler devant une juridiction civile et il n'a donc pas vraiment mis le dossier en haut de sa pile.

Cette procédure a ensuite joué de malchance. Plusieurs procureurs ont eu le dossier entre les mains avant de quitter pour la plupart le Ministère public. En tout et pour tout, cinq procureurs différents ont instruit l'affaire. Comme on peut l'imaginer, chaque changement de procureur ralentit la procédure, le magistrat instructeur devant prendre connaissance du dossier avant de le faire avancer.

Enfin, le Ministère public, dans son ensemble, a manqué de diligence dans cette affaire. Pierre-André Bayard s'en est plaint et la Cour de justice lui a donné raison dans un arrêt de novembre 2018. Elle écrit que "l'on ne saurait reprocher au Ministère public de quelconques manquements le cas échéant intervenus avant 2013, date à laquelle la procédure a été reprise. Depuis lors, néanmoins, et jusqu'au dépôt du présent recours, plus de quatre ans se sont écoulés sans que l'instruction des infractions visées avance de manière significative".

Violation du principe de la célérité

La Cour de justice estime alors également que, "prise dans sa globalité, l'instruction de la présente cause consacre une violation du principe de la célérité".

Quinze ans après le dépôt de la première plainte pénale, le procès s'est ouvert le 18 mai 2021 devant le Tribunal de police de Genève. Interrogé sur ce délai record, le Ministère public genevois a répondu qu'il ne commentait pas "les procédures en cours".

Une chose est sûre, la durée de cette procédure est exceptionnelle. Selon les chiffres fournis par le pouvoir judiciaire genevois, "le pourcentage des procédures pénales qui se terminent en moins de 12 mois s'est élevé à 71% en 2020, 76% en 2019 et 75% en 2018". Plus de 7 procédures sur dix durent donc moins d'un an.

Pierre-André Bayard a dû patienter, mais il a fini par gagner. Jeudi 3 juin, le Tribunal de police a affirmé qu'il était bel et bien le propriétaire de l'immeuble situé aux Pâquis. Son frère a ainsi été reconnu coupable de gestion déloyale aggravée et condamné à 14 mois de prison avec sursis. Il devra aussi verser à Pierre-André environ un million de francs pour les loyers encaissés impunément pendant plusieurs années ainsi que 100'000 francs pour ses frais d'avocat.

"L'appât du gain"

Pour le Tribunal de police, "la faute du prévenu est lourde, il s'en est pris au patrimoine de son propre frère. Il l'a spolié. Ses mobiles sont égoïstes, c'est l'appât du gain". Le juge pointe aussi du doigt "la collaboration inexistante du prévenu", "sa prise de conscience nulle" et "son intense volonté criminelle".

Après quinze ans de procédure, est-ce la fin de l'affaire? Impossible de le dire, à ce stade. Contacté, l'avocat du prévenu indique que "le jugement est en cours d'examen" et qu'il ne sait donc pas encore si son client va recourir contre la décision du Tribunal de police.

Fabiano Citroni

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