Le conseiller d’Etat fribourgeois Philippe Demierre visé par une action en justice
Philippe Demierre est sous le coup d’une demande de paiement par-devant le Tribunal d’arrondissement de la Glâne, a appris le Pôle enquête de la RTS. Le conseiller d’Etat fribourgeois est accusé par une ancienne proche conseillère de lui devoir de l’argent lié à sa campagne électorale de 2021, ce qu’il ne commente pas.
Le litige porte sur un montant de plus de 10'000 francs, facturé en septembre 2021 par une agence de communication sise à Martigny. Cette entreprise a accompagné Philippe Demierre dans sa course au Conseil d’Etat. Grâce à elle, le candidat UDC a pu bénéficier d’un attirail sur mesure: plan de communication, réalisation et diffusion de cinq capsules digitales, suivi personnalisé.
Cette facture, pourtant adressée au futur élu, a été prise en charge par une proche conseillère du ministre juste après son élection. Cette femme active dans les milieux économiques locaux a soutenu Philippe Demierre tout au long de son parcours victorieux vers le gouvernement fribourgeois.
Femme de l’ombre
Elle s’est "énormément investie dans la campagne de [Philippe Demierre], tout en restant dans l’ombre", apprend-on dans la demande de paiement que la RTS s’est procurée. Elle n’a compté "ni son temps, ni son énergie, ni son argent".
"Le 13 décembre 2021, à la demande [du futur conseiller d’Etat], elle a réglé pour son compte une facture de 10'770 francs d’une agence de communication, [Philippe Demierre] ne souhaitant pas payer officiellement ce montant", peut-on lire. "Une fois élu, il a été happé par sa fonction et sa disponibilité pour [cette femme] a été réduite."
Une lettre morte
Pendant plusieurs mois, cette ancienne proche conseillère, qui ne souhaite pas faire de déclaration publique, a essayé de trouver un arrangement à l’amiable avec le ministre fribourgeois de la Santé, sans succès.
"Elle a souhaité à plusieurs reprises rencontrer [Philippe Demierre], qui n’a cessé de se dérober", lit-on dans la demande de paiement. "[Le conseiller d’Etat] n’a pas estimé utile de répondre au courrier électronique qui lui a été adressé le 28 octobre 2022, ni davantage à la lettre qui lui a été envoyée le 11 novembre 2022."
>> Les précisions de Raphaël Leroy dans le 19h30:
Remboursement et tort moral
Cette impasse a conduit cette femme à devoir saisir le Tribunal civil de la Glâne. Une demande de paiement a alors été formée le 6 décembre dernier par son avocat, un an quasiment jour pour jour après le règlement de la facture litigieuse.
Cette action en justice prie le tribunal de condamner le conseiller d’Etat à rembourser ces quelque 10'000 francs avec les intérêts. Elle demande aussi de condamner Philippe Demierre à verser à son ancienne acolyte une indemnité pour tort moral de 20'000 francs. "Ayant cru à la sincérité et à l’engagement [de l’élu], [cette femme] lui a fait confiance et a mis en péril son couple, sa famille, sa vie", est-il argumenté.
Audience en mars
Contacté par la RTS, Philippe Demierre affirme ne pas pouvoir répondre aux diverses questions qui lui sont posées. Il renvoie à la justice fribourgeoise.
Cette dernière, par l’entremise de la juge itinérante Lorraine Vallet, confirme "l’existence d’une procédure de conciliation à l’encontre de M.Philippe Demierre, attribuée pour traitement à la Cellule judiciaire itinérante, ainsi que la tenue d’une audience de conciliation le 22 mars prochain".
Présents en personne
Comme le prévoit le code de procédure civil, le ministre UDC et son ancienne conseillère devront se présenter personnellement au tribunal. Ils pourront être accompagnés d’un avocat ou d’une personne de confiance.
L’audience ne sera pas publique. L’autorité de conciliation peut, avec l’accord des parties, tenir des audiences supplémentaires en cas de besoin. La procédure ne peut toutefois excéder douze mois.
Si les parties n’arrivent pas à trouver un terrain d’entente, la procédure pourra prendre une tournure contentieuse avec audition de témoins et jugement du tribunal.
Un don
Quoi qu’il advienne de cette procédure, Philippe Demierre va au-devant d’autres ennuis avec cette créance: on ne trouve aucune trace de ces 10'000 francs dans ses comptes personnels de campagne, publiés en mai 2022. Or, ce paiement peut être considéré comme un don, selon le message du Conseil d'Etat du 14 septembre 2020.
"Les dons peuvent prendre la forme de contribution en nature: avantages économiques directs ou indirects", explique de manière générale Nicolas Fellay, responsable Droits politiques à la chancellerie d’Etat fribourgeoise. Par exemple, "la mise à disposition d’un encart publicitaire ou le paiement de factures qui devraient être prises en charge par l’organisation politique (parti ou candidat, ndlr) qui fait campagne".
Plus de 5000 francs
Les candidats au Conseil d’Etat ne sont pas tenus de déclarer tous les dons qu’ils reçoivent. A cet égard, ils doivent se conformer à la loi fribourgeoise sur le financement de la politique (LFiPol), entrée en vigueur début 2021.
"Après une élection ou une votation, un décompte final doit être présenté si les dépenses dépassent 10'000 francs", stipule-t-elle. "Ce décompte doit contenir le nom ou la raison sociale, et le domicile des personnes physiques qui ont contribué pour plus de 5000 francs au financement de la campagne concernée et des personnes morales qui y ont contribué pour plus de 1000 francs."
Non-déclaré
Dans le cas de Philippe Demierre, il s’agit d’une facture dépassant les 10'000 francs. Elle tombe donc sous le coup de la loi. Pourtant, les comptes publics et révisés de l’élu UDC n’en font pas mention. La rubrique "Dons et libéralités personnes physiques" de plus de 5000 francs affiche une somme nulle.
Interrogé sur ce point par la RTS, le conseiller d’Etat ne souhaite pas répondre. Son président de parti, Christophe Blaumann, non plus, ignorant tout de cette affaire. Philippe Demierre risque ici jusqu’à 10'000 francs d’amende ainsi que des poursuites pénales.
Raphaël Leroy - Pôle enquête