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La justice suisse n’en finit pas de s’enliser dans les enquêtes FIFA

Le feuilleton sans fin des affaires FIFA et Ministère public de la Confédération (vidéo)
Le feuilleton sans fin des affaires FIFA et Ministère public de la Confédération (vidéo) / L'éclairage d'actualité / 4 min. / le 27 mai 2021
Quand il s’agit d'enquêter sur la puissante Fédération internationale de football, basée à Zurich, rien ne tourne rond. Même le procureur fédéral extraordinaire Stefan Keller, nommé il y a moins d’un an, va s’en aller cette semaine. Décryptage d’une longue série d’échecs.

Dans l'équipe du Ministère public de la Confédération, plusieurs hommes sont déjà à terre. En tête de liste figure l'ancien capitaine, Michael Lauber, procureur général porté aux nues puis poussé à la démission en raison de sa mauvaise gestion des enquêtes autour de la FIFA et des soupçons de corruption dans l’organisation de plusieurs coupes du monde. Michael Lauber se retrouve lui-même sous enquête pénale pour son éventuelle connivence avec le boss de la FIFA Gianni Infantino et leurs fameuses rencontres secrètes.

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Désigné l’été dernier pour enquêter sur ces rencontres non protocolées, le procureur fédéral extraordinaire Stefan Keller se retrouve carbonisé à son tour. Il va remettre son mandat à la fin de cette semaine. Docteur en droit et juge à Obwald, il a été poussé vers la sortie par la Commission judicaire des Chambres fédérales qui l’a pourtant adoubé il y a tout juste huit mois.

Le coup gagnant de Gianni Infantino

La chute de Stefan Keller a été précipitée par Gianni Infantino lui-même. Avec la FIFA, il a multiplié les demandes et les recours depuis le début de l’enquête. Le président de la FIFA a finalement obtenu la récusation de Stefan Keller en ce qui le concerne. Au début du mois, le Tribunal pénal fédéral l'a ainsi reconnu coupable de partialité dans sa manière de communiquer sur de potentiels actes illégaux de Gianni Infantino.

>> Plus de détails dans notre article : Le procureur fédéral extraordinaire de l'affaire FIFA Lauber rend son tablier

Jeudi dans La Matinale de la RTS, l’avocat de la FIFA Marc Henzlin a critiqué une erreur de casting: "Le seul fait d’arme de Stefan Keller est de n’avoir jamais été procureur, et dès lors, qu'on ne pouvait pas l'accuser d’avoir été en lien avec Michael Lauber. C'est pour cela qu'il a été élu. Il n'avait pas d’expérience. Et le problème, quand on n'a pas d'expérience, c'est qu'on fait des erreurs. De fait, ce choix s’est avéré catastrophique", a-t-il avancé.

Un enquêteur plus expérimenté à trouver rapidement

Au sein de la Commission judiciaire, plusieurs élus de droite comme de gauche ont confirmé à la RTS que le choix de Stefan Keller s'était avéré décevant. Mais certains élus estiment à sa décharge que le juge d’Obwald a été livré à lui-même, sans secrétariat et sans policiers pour enquêter.

Le but est de trouver rapidement un vrai professionnel et de lui donner des moyens pour enquêter. Le recrutement est en cours. Si tout va bien, les Chambres fédérales pourraient désigner un nouveau procureur extraordinaire le 16 juin prochain.

De son côté, Stefan Keller conteste les motifs de sa récusation, mais il ne peut pas recourir et il estime que les conditions ne sont plus réunies pour poursuivre son mandat. Selon les informations de la RTS, la Commission judiciaire lui a de toute manière fait comprendre qu'il n’était plus à sa place.

L’influence de la FIFA mise en cause

Le magistrat sur le départ a refusé la demande d’interview de la RTS, mais il renvoie à la communication de son départ la semaine dernière, où il a dénoncé la partialité des juges qui l’ont récusé. Plusieurs médias alémaniques ont précisé ce qui se cache derrière cette allusion: des liens personnels et partisans ont pu interférer en faveur de la FIFA dans la décision du Tribunal pénal fédéral de désavouer Stefan Keller.

Du côté de la FIFA, on dément vouloir saboter une enquête qui pourrait embarrasser son patron. "Nous aurions adoré que Stefan Keller enquête et avance. Au lieu de cela, son souci principal a été de se montrer dans les médias", rétorque l'avocat Marc Henzelin. Il précise que le président de la FIFA Gianni Infantino est pressé qu’une enquête prouve qu'il n’a rien à se reprocher.

Nous aurions adoré que Stefan Keller enquête et avance. Au lieu de cela, son souci principal a été de se montrer dans les médias

Marc Henzelin, avocat de la FIFA dans l'affaire Infantino-Lauber

La menace très coûteuse de la prescription

L'ancien procureur général de la Confédération Michael Lauber reste pour l'heure silencieux. Sa chute n’en finit pas d'impacter la crédibilité de la justice suisse. Depuis son départ contraint au mois d’août dernier, sa succession s’enlise, avec un Parlement incapable jusqu'ici de trouver la bonne personne pour reprendre la tête du Parquet fédéral.

Autre point noir, les enquêtes liées à la FIFA traînent en longueur. Il va donc falloir reprendre celle sur les rencontres Lauber-Infantino, avec une partie des actes d'enquête menés jusqu'ici qui risque d’être contestée en raison de la partialité reprochée à Stefan Keller. Et il reste de nombreuses autres procédures en cours, avec un risque de prescription non négligeable: quatre accusés qui n’ont pas pu être jugés à temps sur des irrégularités autour de la Coupe du Monde 2006 en Allemagne viennent ainsi de se voir attribuer près d’un million de francs d'indemnités.

>> Lire à ce sujet : Un million d'indemnités pour 4 ex-dirigeants du foot mondial après un procès avorté

Ludovic Rocchi/vic

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