Publié

La Cour suprême des Etats-Unis fait sa rentrée avec des dossiers brûlants

Vue sur la facade du bâtiment de la Cour suprême américaine, le 29 juin 2022 à Washington. [AP Photo/KEYSTONE - Jacquelyn Martin]
La Cour suprême fait sa rentrée aux Etats-Unis / La Matinale / 2 min. / le 5 octobre 2022
Après avoir dynamité le droit fédéral à l'avortement, la très conservatrice Cour suprême des Etats-Unis a entamé lundi une nouvelle session qui pourrait se conclure par d'autres revirements, notamment pour les droits des Afro-Américains ou des couples homosexuels.

La Cour a fait sa rentrée avec, pour la première fois de son histoire, une femme noire parmi ses juges. L'arrivée de Ketanji Brown Jackson, nommée par le président démocrate Joe Biden, ne modifie pas l'équilibre au sein du temple du droit américain qui conserve une solide majorité conservatrice de six juges sur neuf, dont trois choisis par le républicain Donald Trump.

En 2021-2022, "la Cour s'est appuyée sur ce bloc conservateur pour revenir sur des jurisprudences établies de longue date" et "elle semble prête à continuer (...) sans retenue", selon David Cole, directeur juridique de la puissante organisation de défense des droits civiques ACLU.

>> Lire à ce sujet : Podcast -Jusqu’où peut aller la Cour suprême ?

Corriger "les excès" des années 70.

En juin, la Cour suprême a révoqué l'arrêt qui garantissait depuis près de 50 ans le droit des Américaines à avorter, sacralisé le droit au port d'armes, renforcé la place de la religion dans la sphère publique et limité les pouvoirs de l'agence chargée de la protection de l'environnement.

Ses décisions ont plongé la gauche dans le désarroi mais réjoui les milieux conservateurs, qui dénonçaient depuis des années le "militantisme judiciaire" de la Cour, devenue l'arbitre des grands débats de société. Ilya Shapiro, expert au sein de l'institut conservateur Manhattan, estime ainsi que la Cour est en train de corriger "les excès" des années 70.

>> Ecouter à ce sujet l'nterview d'Amandine Clavaud, directrice de l'observatoire égalité hommes-femmes à la fondation Jean-Jaurès :

Les militantes pro-choix ont rivalisé d'imagination pour marquer les esprits. [Keystone - Gemunu Amarasinghe]Keystone - Gemunu Amarasinghe
Révocation du droit à l'avortement aux Etats-Unis: interview d'Amandine Clavaud / Tout un monde / 8 min. / le 29 juin 2022

Pour lui, l'arrêt qui a défini en 1978 le cadre légal pour les programmes de discrimination positive dans les universités est le prochain "dans le collimateur de la Cour". Le 31 octobre, la haute juridiction consacrera en effet une audience aux mécanismes de sélection en place au sein de la prestigieuse université Harvard et de l'université publique de Caroline du Nord.

Ces établissements, comme beaucoup d'autres, prennent en compte des critères ethniques pour assurer la diversité des étudiants et corriger la sous-représentation des jeunes noirs et hispaniques issue du passé raciste et ségrégationniste des Etats-Unis. Ces politiques, parfois qualifiées de "racisme à l'envers", ont toujours fait l'objet de contestations à droite mais jusqu'ici, les recours ont échoué.

La Cour suprême a elle-même jugé à deux reprises que les universités pouvaient prendre en compte certains critères raciaux à condition qu'ils visent uniquement à assurer la diversité de la population étudiante. Elle semble désormais prête à faire marche arrière.

Poids du vote des Afro-Américains en danger

La Cour suprême a commencé par se pencher sur une carte électorale dans l'Etat de l'Alabama, ce qui pourrait conduire à détricoter un volet de la loi emblématique de 1965 qui a mis fin aux règles ségrégationnistes limitant le droit de vote des Afro-Américains dans le Sud.

Techniquement, le Voting Rights Act donne la possibilité de regrouper les électeurs noirs dans une circonscription pour garantir au mieux qu’ils aient des représentants. Mais il est illégal de faire un découpage électoral de façon à trop concentrer ces électeurs ou trop les diluer pour affaiblir le poids de leur vote.

Et c’est ce qui est reproché à l’Alabama dans son dernier découpage. L’Etat conservateur a fait une carte électorale où sur les 7 districts, un seul a une chance d’élire un représentant noir, alors que cette communauté représente une bonne partie de la population de l’Etat.

Si la Cour Suprême décide en faveur de l’Alabama, cela va porter un coup dur au Voting rights act qui est en vigueur depuis plus de 30 ans et cela va forcément avoir des conséquences sur de futures élections. Car traditionnellement, les Afro-Américains votent majoritairement pour les démocrates.

Un autre dossier, émanant de Caroline du Nord, pourrait "avoir de lourdes conséquences pour la démocratie", selon Sophia Lin Lakin, qui suit les questions électorales pour l'ACLU.

Les élus républicains de cet Etat défendent une nouvelle interprétation de la Constitution qui, si elle est reprise par la Cour suprême, donnerait "un pouvoir sans contrôle aux législateurs locaux sur l'organisation des élections fédérales", dit-elle.

>> Lire aussi : Le Sénat américain a enterré la réforme électorale du président Joe Biden

Dossiers sur les homosexuels, les immigrants ou la peine de mort

Cinq ans après avoir donné raison à un pâtissier chrétien qui ne voulait pas vendre un gâteau de mariage à un couple d'hommes, la Cour suprême reviendra également sur ce sujet sensible, saisie cette fois par un créateur de site internet.

En 2018, elle avait rendu une décision à portée limitée. Cette fois, elle pourrait autoriser plus largement les commerçants, dont les produits ont une nature "créative", à violer les lois anti-discriminations au nom de leurs convictions religieuses.

Si l'on suit cette logique, "des architectes pourraient refuser de dessiner des maisons pour des familles noires, des pâtissiers de faire des gâteaux d'anniversaire pour des enfants musulmans...", craint David Cole, directeur juridique de la puissante organisation de défense des droits civiques ACLU.

>> Lire aussi : La Cour suprême américaine redéfinit la place du religieux dans la vie publique

D'ici au 30 juin, la date butoir pour rendre ses arrêts, la haute cour devra également se prononcer sur les politiques d'expulsion des immigrés sans papiers, la peine de mort ou les politiques d'adoption des enfants amérindiens.

afp/aps

Publié