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La Suisse appelée à rapatrier ses djihadistes et leurs familles

Les enfants souffrent du froid dans le camp d'al-Hol, dans le nord-est syrien. [AFP - Delil Souleiman]
Des experts de l’ONU plaident pour le rapatriement des combattants étrangers de Daesh avec leurs familles / Tout un monde / 5 min. / le 1 avril 2021
En vertu du droit international, des experts de l’ONU ont adressé une lettre à 57 pays, dont la Suisse, pour leur demander de rapatrier leurs "combattants étrangers" et leurs familles, actuellement détenus en Syrie. La Confédération maintient sa position.

À la création de l’organisation terroriste "Etat Islamique", des personnes ont afflué du monde entier pour rejoindre ses rangs. S’ils ne sont pas morts lors de la défaite du califat, ces "combattants étrangers" et leurs familles sont aujourd'hui détenus par les milices kurdes en Syrie. Ces citoyens embarrassent leurs pays d’origine qui ne veulent pas les récupérer.

Début 2021, une quinzaine d’experts mandatés par l'ONU ont averti que, pour respecter le droit international, ces combattants étrangers devaient être rapatriés avec leurs femmes et enfants. Une lettre a été envoyée dans ce sens à 57 pays, dont la Suisse. Cette missive a été rendue publique ces derniers jours.

Ces rapporteuses et rapporteurs de l’ONU y expriment d’abord leur grande inquiétude face à la situation sanitaire et humanitaire des camps où s’entassent ces combattants étrangers et leurs familles. Parmi eux, plusieurs femmes et enfants originaires d’Europe et certains de Suisse. Leurs droits fondamentaux sont ainsi sérieusement menacés, écrivent les experts, dont fait partie Siobhan Mullaly, professeur de droit international des droits humains en Irlande et rapporteuse spéciale de l’ONU sur la traite des êtres humains.

"Les conditions de vie dans les camps se détériorent", explique-t-elle. "Il existe des rapports très bien documentés sur la situation inhumaine et dégradante dans ces lieux, comme la malnutrition et déshydratation des enfants, ainsi que des morts". L’experte raconte également que le nombre de rapatriements a chuté. De 600 enfants ramenés en 2019, ils n’ont été que 200 en 2020.

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Une responsabilité qui incombe aux pays d’origine

Si les adultes sont partis de leur plein gré en Syrie, ce sont aujourd’hui les milices kurdes qui doivent gérer leur quotidien. Or, la responsabilité incombe aux pays d’origine, comme la Suisse, qui ont des obligations vis-à-vis de leurs citoyens hors de leur territoire, rappelle Siobhan Mullaly.

"Notamment lorsque ce pays sait que ses citoyens sont menacés ou subissent de graves violations de leurs droits fondamentaux. Certes, sur le terrain, les violations initiales sont le fait d'autres acteurs, mais la Suisse peut et doit agir pour prévenir ces atteintes et protéger ses citoyens. Mais comme elle ne le fait pas, sa responsabilité est engagée."

Ainsi, en n’allant pas chercher ses citoyens, la Suisse viole leurs droits fondamentaux, soutient la rapporteuse spéciale. En ce qui concerne le droit des enfants, les traités internationaux stipulent clairement que leur intérêt prime sur pratiquement tout. L'enfant ne doit pas être séparé de ses parents, ne doit pas être menacé dans son intégrité physique et psychique. On ne peut donc pas le laisser dans une zone de guerre.

Pour respecter le droit international, "les Etats doivent collaborer avec les forces kurdes, pour accéder aux camps, et organiser le rapatriement des enfants et de leurs parents. Comme les gouvernements savent que c’est possible, ils ont l'obligation légale de le faire."

La Suisse campe sur sa stratégie

Le 26 mars, dans un courrier officiel envoyé aux experts, le Département fédéral des affaires étrangères se limite à rappeler la stratégie officielle, à savoir que la priorité est donnée à la sécurité intérieure du pays et qu’aucun adulte ne sera ramené proactivement. Le retour des enfants se fera quant à lui au cas par cas. À ce jour, aucun des sept enfants suisses dans ces camps n’a été rapatrié. Certaines des mères, qui ne sont pas bienvenues en Suisse, l’auraient refusé. De plus, les forces kurdes ne veulent pas séparer les familles.

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Pour Siobhan Mullaly, cette stratégie ne tient pas, car la protection des droits humains contribue à la sécurité des pays. "Ce principe est partie intégrante du droit international que la Suisse défend et protège partout dans le monde. C'est avec l'Etat de droit, l'accès à un procès équitable, que l'on gère de telles inquiétudes sécuritaires. Mais ces dernières n'empêchent pas de rapatrier femmes et enfants." En plus de ne pas être incompatible avec la sûreté de l'Etat, le rapatriement de ces personnes diminuerait même, selon l’experte, la menace qu’elles font peser en restant en Syrie.

La rapporteuse spéciale estime que la Suisse pourrait être condamnée pour le non-rapatriement des femmes et des enfants. "Si ces questions sont soumises à des tribunaux, ces derniers pourraient se prononcer contre les Etats au vu de leurs obligations en matière de droits de l'homme." Pour cela, une plainte doit être déposée, ce qui n'est actuellement pas le cas en Suisse.

Dans d'autres pays comme l’Allemagne, la justice s'est quelques fois prononcée en faveur des familles qui veulent forcer l'Etat à ramener leurs proches. Face au scénario d'une plainte, les autorités suisses se disent confiantes, estimant respecter l'ensemble de leurs obligations internationales.

Marc Menichini / mh

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