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"Le Brésil est une démocratie en danger"

Géopolitis: Brésil, promesses et déceptions [Reuters]
Brésil, promesses et déceptions / Geopolitis / 25 min. / le 30 septembre 2018
A quelques jours des élections, la campagne redouble de virulence au Brésil. Un pays marqué par la corruption des élites politiques, la violence et les inégalités sociales. Le journaliste brésilien Jamil Chade livre son analyse de cette démocratie en péril.

L'attaque au couteau contre Jair Bolsonaro au début du mois de septembre a accru les tensions autour de cette élection présidentielle brésilienne. Le candidat d’extrême droite fait la course en tête des sondages du premier tour, face à son principal concurrent Fernando Haddad, héritier du parti travailliste de Luiz Inácio Lula da Silva.

Nostalgique assumé de la dictature militaire et habitué des propos racistes, misogynes et homophobes, Jair Bolsonaro multiplie les discours populistes. Sa popularité, le journaliste brésilien Jamil Chade l'explique notamment par un contexte spécifique: "Il y a une haine de la classe politique au Brésil, et cette haine est aussi utilisée comme un instrument pour arriver au pouvoir", note le correspondant à Genève pour le grand quotidien brésilien O Estado de São Paulo, dans Géopolitis.

Le Brésil est un pays très violent, très injuste, très raciste.

Jamil Chade, journaliste O Estado de São Paulo

"Le Brésil est un pays très violent, très injuste, très raciste", déplore-t-il, alors que 147 millions d’électeurs doivent se rendre aux urnes. "C’est vraiment l’un des pires moments pour la démocratie brésilienne. Certains candidats parlent de refaire la Constitution sans contrôle du peuple. Ce sont des signes très forts qui montrent combien la démocratie est en danger".

La puissance des lobbies

Dans un pays où la corruption et le clientélisme gangrènent la vie politique, les deux tiers des élus au Congrès ont été poursuivis ou condamnés. De puissants lobbies contrôlent le Parlement: sur les 513 parlementaires, 347 sont membres de groupes de pression ultra-conservateurs. Une majorité "ne représentant que leurs propres intérêts, les trois B, le bœuf, la Bible et la balle", souligne Jamil Chade.

Pour l'industrie agro-alimentaire, pillier de l'économie brésilienne, le boeuf est l'une des sources de revenu les plus importantes du pays. La Bible représente la communauté évangéliste - 22% de la population - et la balle, le lobby des armes à feu. Ces trois groupes se soutiennent mutuellement et exercent une pression considérable sur les décisions politiques.

"C'est tragique. Il n’y a pas de représentation effective du peuple, la société et le Parlement sont totalement déconnectés, ce qui est très inquiétant pour la démocratie", ajoute le journaliste brésilien.

Réveil brutal

Durant son mandat (2003-2011), l’ancien président Lula avait transformé le pays en réduisant la famine et la pauvreté endémique, notamment grâce à la Bolsa Familia (bourse attribuée aux familles, à condition que les enfants soient vaccinés et scolarisés).

Le Brésil est également devenu l'un des plus grands producteurs agroalimentaires mondiaux, ce qui lui a permis de figurer parmi les puissances émergentes (BRICS), aux côtés de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud. "On a eu la découverte du pétrole, les Jeux olympiques, la Coupe du monde de football, 30 millions de personnes sont sorties de la pauvreté. Mais ce n’était que le début", explique Jamil Chade.

Effectivement, le réveil a été brutal. En 2015-2016 le Brésil a subi une sévère récession. L’an dernier, la croissance est redevenue positive, pour atteindre 1%.

C’est une grande désillusion.

Jamil Chade, journaliste O Estado de São Paulo

Les inégalités et la violence sont toujours omniprésentes, alors que le pays compte 13 millions de chômeurs. "C’est une grande désillusion", analyse le journaliste. "C'était l'une des grandes fautes de la gauche au pouvoir d'avoir fait croire à la population que tout était résolu".

Jamil Chade se dit inquiet pour les années à venir: "Ces élections ne vont pas solutionner cette crise. Ces dernières années ont mis un miroir devant la société brésilienne et l'image est moche. Il reste beaucoup de chemin à faire. Il n'y a pas de raccourcis au développement, le Brésil doit faire chaque pas nécessaire pour y arriver".

Audrey Magat

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