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"Au Yémen, les Houthis et l'Iran contre le reste du monde"

Géopolitis: Yémen, guerre en silence [Reuters - Khaled Abdullah]
Yémen, guerre en silence / Geopolitis / 25 min. / le 16 septembre 2018
L'islamologue et politologue français François Burgat insiste dans Géopolitis sur la dimension internationale de la guerre qui ravage le Yémen, alors que l'ouverture des pourparlers de paix à Genève s'est soldée par un échec en l'absence des rebelles houthis.

Le 26 mars 2015, l'Arabie saoudite lançait la plus grande offensive militaire de son histoire. Son objectif: reprendre Sanaa, la capitale du Yémen, tombée aux mains des insurgés houthis, soutenus par l'Iran.

L'Arabie saoudite réunit autour d'elle une large coalition d'Etats arabes sunnites mais aussi des puissances occidentales. Les Etats-Unis, hormis leur soutien opérationnel, la France et le Royaume-Uni représentent d'importants pourvoyeurs d'armes de l'alliance.

Trois ans plus tard, le conflit s'est enlisé. On dénombre plus de deux millions de déplacés et 10'000 morts, pour la plupart des civils.

Jeu d'alliances

S'il y a des "raisons mercantiles" à ce soutien occidental, "il faut ajouter à cela une considération plus idéologique", note François Burgat, directeur de recherche à l'Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (IREMAM) de l’Université d’Aix-en-Provence.

Ce conflit, c'est celui "des Houthis et de l'Iran contre le reste du monde", explique l'expert. Dès lors, "il plaît beaucoup à l'Etat hébreu", ennemi affiché de l'Iran, "à son allié inconditionnel qu'est l'administration américaine, et il ne peut pas complètement déplaire aux alliés de cette dernière". Pour François Burgat, il s'agit "d'une dimension très importante" pour comprendre l'engagement des Occidentaux dans cette guerre.

Près de 100 morts à Hodeida

Face à l'urgence humanitaire, des voix commencent toutefois à s'élever. L'Allemagne, la Suède et le Canada ont notamment suspendu leurs livraisons d'armes au royaume saoudien. En France, le député de La République en marche (LRM) Sébastien Nadot a demandé au printemps la création d'une commission d'enquête parlementaire sur les ventes d'armes aux belligérants du Yémen.

On a des raisons de penser que les Américains et les Européens ont mis un bémol à leur soutien aveugle à la coalition.

François Burgat, islamologue et politologue, Université d'Aix-en-Provence

Il y a "des preuves que ces efforts, aussi minimes soient-ils, portent leurs effets", indique François Burgat, qui prend pour exemple l'offensive pour reprendre aux rebelles le port de Hodeida, lieu stratégique toujours tenu par les rebelles, lancée en mai. "Ce port devait tomber rapidement aux mains de la coalition et couper les Houthis de leur base d'approvisionnement. Même si tout cela n'est pas très explicite, on a des raisons de penser que les Américains et les Européens ont mis un bémol à leur soutien aveugle à la coalition dans cette bataille-là", analyse le politologue.

Début septembre, les Houthis n'ont pu se rendre à Genève pour négocier la paix sous l'égide de l'ONU, n'ayant pas obtenu la "garantie" d'être en mesure de regagner Sanaa. L'échec de ces pourparlers, avant même d'avoir pu commencer, a entraîné une nouvelle escalade dans la région de Hodeida, faisant près d'une centaine de morts.

Kevin Gertsch

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