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Après l'utilisation présumée d'armes chimiques en Syrie, peut-on tolérer l'horreur?

Géopolitis: Armes chimiques, tolérance zéro [Keystone - Petros Karadjias]
Armes chimiques, tolérance zéro / Geopolitis / 16 min. / le 6 mai 2018
Après une attaque chimique présumée en Syrie le 7 avril, la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont lancé un raid de représailles contre le régime de Bachar al-Assad. Quelle est cette "ligne rouge" qui proscrit l'usage de toxiques sur les champs de bataille?

"Restons-nous assis? (...) Les droits et les principes, c'est pour nous, et la réalité est pour les autres? Je dis non!", c'est en ces termes que le président français Emmanuel Macron justifie le 17 avril devant le Parlement européen, l'intervention de la France en Syrie.

Avec ces frappes ciblées, les grandes puissances occidentales ont signifié à Bachar al-Assad, à ses alliés et au reste de monde qu'il existe une "ligne rouge" entre ce qui est tolérable dans la guerre et ce qui ne l'est pas. Au milieu de toutes les barbaries qui ensanglantent la Syrie depuis sept ans, on peut s’interroger sur le sens de cette expédition punitive: pourquoi l'usage de gaz toxiques est-il à ce point intolérable, alors que les armements conventionnels se révèlent infiniment plus meurtriers ? "Les armes chimiques sont considérées comme des armes de destruction massive, au même titre que les armes biologiques et l'arme nucléaire", souligne l'expert en désarmement Marc Finaud dans Géopolitis. "Leur emploi suscite donc plus de réactions négatives de la communauté internationale".

Solution politique en ligne de mire

Selon l'ONG Human Right Watch, 85 attaques au chlore ou au gaz sarin - en grande majorité imputables au régime - ont été lancées sur le territoire syrien depuis le début de la guerre. Si les armes chimiques constituent un tabou sur les champs de bataille, pourquoi n'intervenir que maintenant? "C'est toujours un dilemme pour les États extérieurs au conflit", explique Marc Finaud du Centre de politique de sécurité (GCSP) de Genève. "Les interventions en Afghanistan, en Irak, en Libye n'ont pas été de grands succès. On sait parfois que le résultat est pire que la situation qu'on a voulu changer."

Ancien diplomate français, Marc Finaud mise sur une solution politique. "La question est: 'est-ce que ces frappes sont utiles, ont-elles fait progresser les rapports de force ?' Il est trop tôt pour le dire", dit-il. "Ce qui est clair, c'est qu'un message fort a été envoyé au régime syrien, mais aussi à la Russie, à l'Iran pour favoriser une solution politique."

Le fardeau de la preuve

Le 5 février 2003, le secrétaire d'Etat américain Colin Powell brandit une fiole devant les Nations unies à New York. Dans un discours fleuve, il assure détenir les preuves d'un arsenal chimique irakien. Ce mensonge, prélude à l'invasion de l'Irak, rend aujourd'hui plus difficile la lutte contre les armes chimiques. "Cela pose la question fondamentale de la preuve", explique Marc Finaud. "Lorsqu'on veut accuser un pays d'avoir violé des traités, d'avoir des programmes clandestins, il faut pouvoir apporter des preuves solides. C'est pourquoi l'organisation chargée de contrôler les armes chimiques est aujourd'hui très prudente."

L'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) est chargée de faire appliquer la Convention sur l'interdiction des armes chimiques. Entrée en vigueur en 1997, elle proscrit la fabrication, le stockage, l'usage de gaz toxiques et régit leur destruction. A ce jour, la quasi-totalité des pays du monde - y compris la Syrie - ont ratifié la convention. Seuls absents: la Corée du Nord, l'Egypte et le Soudan du Sud. Israël l'a signée, mais ne l'a pas ratifiée.

Selon l'OIAC, plus de 90% des stocks mondiaux d'armes chimiques déclarés ont été détruits. Mais les récentes attaques en Syrie et l'annonce de la rénovation des arsenaux nucléaires par Washington, Paris et Moscou montrent qu'un "tabou s'est brisé", déplore Marc Finaud.

Mélanie Ohayon, Marcel Mione

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