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Minée par son président, la Fédération des échecs cherche une banque

Plombée par son président sous sanctions américaines, la Fédération internationale des échecs (FIDE) basée à Lausanne cherche désespérément une banque. UBS la privera dès mardi de toute opération financière autre que la sortie définitive de ses avoirs.

Quelle banque voudra des comptes de la Fédération internationale des échecs (FIDE) et de son sulfureux président Kirsan Ilyumzhinov? A en croire le courrier daté de jeudi dernier que s’est procuré la RTS, les espoirs du président Ilyumzhinov reposent sur CIM Banque et Bank of America. Des espoirs pourtant contredits par le directeur de la fédération dans un courrier daté du lendemain, évoquant déjà plusieurs tentatives infructueuses auprès d’autres établissements bancaires, notamment suisses.

La lettre de Kirsan Ilyumzhinov au directeur de la FIDE.
La lettre de Kirsan Ilyumzhinov au directeur de la FIDE.

Si aucune banque n’accueille ses comptes, la FIDE sera financièrement paralysée dès mardi. Car c’est lundi 30 avril qu’échoue le délai - déjà prolongé de deux mois - imparti par UBS pour effectuer les ultimes opérations financières de la fédération. Plus de crédit, ni débit, ni transfert, ni carte. Seule opération possible: un retrait des avoirs ou leur virement vers une banque tierce. Il s'agit d'une paralysie grave pour une fédération qui organise notamment de nombreux tournois dans le monde.

La réponse du directeur de la FIDE.
La réponse du directeur de la FIDE.

Président blacklisté

L’empressement d’UBS à pousser dehors cette illustre cliente s’explique par les sanctions qui frappent Kirsan Ilyumzhinov. Président de la FIDE depuis 23 ans, ce Russe proche de Vladimir Poutine figure sur une liste de sanctions américaines. Depuis 2015, le Département du Trésor lui reproche d’avoir aidé matériellement le régime syrien de Bachar al-Assad.  Accusations qu’Ilyumzhinov dément en dénonçant l’absence de toute enquête côté américain.

"Je suis prêt à répondre! Si les autorités américaines se sont trompées, qu’elles s’excusent et me versent une compensation financière. Et si c’est moi qui ai tort, qu’elles me mettent en prison, sur la chaise électrique même", s’exclamait l’an dernier Kirsan Ilyumzhinov lors d’une interview accordée à la RTS. "En Syrie, il n’a été question que d’échecs, que de sport, pas de business", poursuit-il.

Les banques se rebiffent

Héberger les comptes d’une fédération dont le président est sur liste noire présente un risque devenu excessif aujourd’hui aux yeux de nombreux établissements financiers, analyse Urs Zulauf. "De nombreuses banques et surtout les grandes ont décidé d’appliquer même en Suisse les sanctions infligées par les Etats-Unis ou par l’Union européenne. La clientèle russe est certes intéressante, mais sa pratique est exigeante et risquée", analyse le professeur de droit associé à l’Université de Genève.

La puissance des sanctions américaines découle principalement de l’accès aux transactions en dollars qu’elles interdisent, accès indispensable pour les groupes internationaux. Récemment encore, une nouvelle série de sanctions contre la Russie a contraint l’entreprises suisse Sulzer à racheter une part des actions détenues par l’oligarque russe Viktor Vekselberg, blacklisté par Washington.

Président fantoche et contesté

Avant d’emporter la FIDE dans son impasse bancaire, Kirsan Ilyumzhinov était déjà diminué dans ses fonctions de président: interdiction de détenir toute majorité au sein d’une société, interdiction de signature pour les comptes de la FIDE. "Oui, je suis un président politique", admettait Kirsan Ilyumzhinov à la RTS l’an dernier. Le président était contesté également pour ses rencontres avec des dictateurs, comme le Libyen Mouammar Kadhafi en 2011.

Vice-président de la FIDE, Israel Gelfer explique: "La plupart des membres de la Fédération internationale des échecs n’appréciaient pas ses rencontres avec Kadhafi, Saddam Hussein ou Bachar al-Assad. Certains disent qu’il était peut-être même envoyé par les autorités russes pour effectuer certaines missions - on n’en sait rien. Mais, au final, on aurait préféré qu’il s’abstienne de faire ces visites."

Intérêts russes

En réponse, Kirsan Ilyumzhinov se défend de toute autre agenda que la promotion des échecs: "Je ne suis pas un ami de (le président russe Vladimir) Poutine, mais je le respecte, j’ai travaillé avec lui pendant 20 ans. Je le connais depuis 1993, lorsqu’il était maire adjoint de Saint-Pétersbourg et moi président de la République de Kalmoukie ». Une fonction que Kirsan Ilyumzhinov a occupée de 1993 à 2010.

"Depuis que je suis président de la FIDE, j’y ai mis 100 millions de dollars de ma poche et de celle de mes amis qui soutiennent les échecs. Je ne touche rien de la FIDE, pas même un salaire", plaide Kirsan Ilyumzhinov. S’il fait des affaires, c’est toujours publiquement, "comme dans les télécommunications au Vietnam", explique celui qui dit avoir gagné son premier million en important des Volkswagen en Union soviétique.

Echec et mat?

La paralysie bancaire de la FIDE place Kirsan Ilyumzhinov dans une position plus difficile que jamais. Mais face aux voix qui en appellent à sa démission, le président persiste: il sera candidat à sa succession en octobre prochain et promet, en cas d’élection, d’apporter 10 millions d’euros à la fédération. Pas sûr que le roi des échecs puisse cette fois encore retourner la partie à son avantage.

>> Sujet développé dans l'émission T.T.C dès 20h15

Pascal Jeannerat et Natalie Bougeard

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La FIDE à Lausanne, vraiment?

La FIDE est inscrite au registre du commerce du canton de Vaud avec comme adresse un cabinet d’avocats sis Avenue de la gare à Lausanne. Contactée, l’étude Reymond & Associés répond que "la FIDE, ce n’est pas chez nous".

En absence de toute réponse de la FIDE et de la Global Association of International Sports Federations (GAISF) elle aussi sollicitée, un mystère demeure actuellement sur la domiciliation de la fédération en Suisse. Elle dispose de bureaux à Athènes, Moscou et Elista en Russie.

"La FIDE, c’est ma vie"

Kirsan Ilyumzhinov s’explique dans cet extrait d’interview sur le lien entre ses affaires et la présidence de la fédération.


Traduction:
"Je ne suis pas milliardaire. Aujourd’hui, je ne travaille pas comme manager ou comme businessman au quotidien, mais plutôt comme consultant. Les entreprises qui ont des conflits me consultent comme arbitre, comme une personne de confiance. Ils me nomment parfois à la tête de leur conseil d’administration pendant quelques temps pour gérer ces situations."

"J’ai des amis parmi qui sont chefs d’Etat ou présidents de grandes entreprises, même aux Etats-Unis. Même sous sanctions américaines, je conseille des entreprises américaines qui font des affaires au Moyen-Orient ou en Afrique. Pas plus tard qu’hier, un ami qui est un grand businessman américain m’a appelé et m’a dit 'Kirsan, où vas-tu? Ah, à Zurich? Peux-tu venir en Afrique?' 'Quoi en Afrique, je lui ai dit. Et lui qui a des affaires importantes en Afrique me dit: 'Oui, Kirsan, connais-tu le président de ce pays?' et je lui dis 'Oui, je le connais j’y étais il y a deux jours!' et il me dit 'Nous avons… pas un conflit… mais des questions, peux-tu venir m’aider à trouver des solutions?'

"C'est mon style de vie"

"Ça, ce n’est pas du business pour moi, c’est mon style de vie. Avant, j’étais un homme d’affaires. Après j’ai été politicien. J’ai été le plus jeune président d’une république au monde, à 30 ans j’étais président de la République de Kalmukie. J’ai aussi été le plus jeune membre du parlement de l’Union soviétique alors que je n’avais que 27 ans. Ensuite, j’ai présidé la FIDE. Ce n’est pas un travail, ou un job pour moi. Cette fonction, c’est mon hobby, mon amour, ma vie!"

"Parfois, ce n’est pas que par amitié, mais mes amis me disent 'Wow, Kirsan, tu donnes vraiment de bons conseils! Tiens, 10%, 5%, un million, tiens, c’est pour toi!' et je dis 'ok, très bien envoie ce million à la fédération pour les échecs."

"Je conseille l’une des plus grandes compagnies pétrolières du monde et un jour, je lui ai donné une analyse très précise d’une situation en lien avec le prix du pétrole. Et après cela, le patron m’a dit 'Kirsan, nous avons pu économiser des milliards de dollars!' J’ai dit OK, tu peux donner à la fondation pour le programme Les échecs à l’école et ils ont versé deux millions de demi de dollars pour ce programme aux Etats-Unis. Et nous soutenons de tels programmes dans une vingtaine de pays dans le monde! Cet argent ne va pas dans ma poche, c’est pour la FIDE et les autres fédérations d’échecs."