L'héritage de Martin Luther King, cinquante ans après

Grand Format

Reuters - Yuri Gripas

Introduction

Le leader de la lutte pour la reconnaissance des droits civiques des Afro-américains aux Etats-Unis, Martin Luther King, a marqué l'histoire américaine avec son militantisme pacifique. Mais que reste-t-il de son héritage? Cinquante ans après son assassinat à Memphis, la RTS s'est rendue sur les lieux emblématiques de son combat et a rencontré des protagonistes qui ont milité à ses côtés.

Chapitre 1
La mobilisation de l'électorat noir

RTS - Raphaël Grand

Le 4 avril 1968, Martin Luther King était assassiné à Memphis, dans le Tennessee. Cinquante ans après sa mort, le combat pour les droits civiques se poursuit aux Etats-Unis.

A Lowndes, l'un des comté les plus pauvres des Etats-Unis, la RTS a rencontré Ashley Smith, qui est candidate au poste de juge de district. Elle rappelle qu'aucun Noir n'y a jamais été élu pour cette fonction. "Et c’est choquant, car celui-ci compte 73% d’électeurs noirs", regrette-t-elle.

Ashley Smith dit ressentir un vieux sentiment de ségrégation. "Le moyen d’éradiquer ça, dit-elle, c’est d’avoir des candidats dans des élections afin de briser les préjugés et de permettre aux gens de se dire que c'est possible." Elle ne se fait toutefois pas d'illusion: "Je sais que ma campagne électorale ne va rien changer fondamentalement. Mais ça va aider à briser ces barrières qui ont perduré pendant tant d’années."

Un mouvement national

Derrière la jeune femme et sa campagne, il y a un mouvement d’envergure nationale baptisé "Black Voters Matter". Cliff Albright est l’un des fondateurs de ce mouvement: "On mobilise les électeurs au travers des associations locales sur le terrain. On se définit comme une organisation militante pour le black power."

Selon lui, l’électorat noir, qui vote en grande majorité pour les démocrates, a le pouvoir de changer en profondeur les équilibres politiques aux Etats-Unis: "Il y a un dicton qui dit: 'Ce qui se décide au Sud affecte tout le reste du pays'. Je crois que ces électeurs noirs ont le pouvoir de changer le Sud. Mais le plus grand obstacle, c’est d’arriver à se convaincre que nous avons ce pouvoir. Je reste persuadé que le monde le verra, lors des élections de mi-mandat en novembre."

Ashley Smith (à gauche), candidate au poste de Juge de district, en campagne. [RTS - Raphaël Grand]RTS - Raphaël Grand
La Matinale - Publié le 29 mars 2018

Chapitre 2
Justice économique et ségrégation

RTS - Raphaël Grand

Selma est une ville de l'Alabama qui a été le théâtre de nombreuses violences lors du mouvement pour les droits civiques dans les années 1950 et 1960. Ainka Jackson y dirige le Centre de non-violence, un organisme qui entend poursuivre le travail de Martin Luther King.

"Lorsqu'il a été tué, son mouvement s’est arrêté. Nous pensions alors que nous avions réussi. Nous avions le droit de vote et des droits civiques", rapporte Ainka Jackson. Mais, poursuit-elle, même si les lois ont changé, le traitement des gens de couleur, lui, n'a pas évolué. "C’est pourquoi nous avons de tels problèmes, comme le nombre de jeunes Noirs abattus aux Etats-Unis par exemple."

Pour la militante afro-américaine, les Noirs font toujours face à une ségrégation économique. "Martin Luther King a été tué alors que son combat commençait à se concentrer sur la dignité économique (...) Cela signifie que mon humanité doit être reconnue. Et cela inclut le droit à un salaire et à un travail décents. Ces revendications doivent être poursuivies", insiste-t-elle.

La ségrégation, une réalité à Selma

Bien qu'elle soit devenue illégale, la ségrégation reste une réalité à Selma, observe Ainka Jackson. "On continue à vivre séparés ici. Nos écoles publiques ont 99% d'élèves noirs désormais (...) Les Noirs restent dans leurs quartiers, les Blancs restent dans les leurs et les gens ne se mélangent pas."

Une observation que partage William, un natif blanc de la ville: "Les Blancs quittent la ville de plus en plus. Et, dans le même temps, l'économie est en train de s'effondrer. Ce n’est pas beau à voir. On a encore beaucoup de problèmes à régler", regrette-t-il.

Ainka Jackson dirige le Centre de non-violence sis à Selma, en Alabama. Cet organisme entend poursuivre le travail de Martin Luther King et sa lutte pacifique pour les droits civiques. [RTS - Raphaël Grand]RTS - Raphaël Grand
Tout un monde - Publié le 28 mars 2018

Chapitre 3
Un pont symbole de la défense des droits civiques

RTS - Raphaël Grand

Plusieurs manifestations pacifiques pour les droits civiques ont été organisées dans les années 1950 et 1960 aux Etats-Unis, notamment dans le Sud. Lynda Lowery était aux côtés de Martin Luther King lors de la marche historique du 7 mars 1965, entre Selma et Montgomery (Alabama), qui réclamait le droit de vote pour les noirs.

Baptisée "Bloody Sunday" ("dimanche sanglant"), cette journée a été marquée par une violente répression policière sur le pont Edmund Pettus, à Selma.

"Même si je n'avais que 14 ans, j'ai été frappée sur ce pont. J'ai eu sept points de suture au-dessus de mon oeil droit et 28 à l'arrière de ma tête", se souvient-elle.

Deux jours après les heurts, Martin Luther King s'est rendu sur place. "La première fois que je l’ai entendu, j’avais 13 ans. Il disait: 'vous pouvez obtenir ce que vous voulez de qui vous voulez en maintenant une confrontation constante et pacifique.' Là, j’ai su que c'était ce que j'allais faire!"

Lynda Lowery. [RTS - Raphaël Grand]RTS - Raphaël Grand
Tout un monde - Publié le 15 mars 2018

Regain de tension

Cinquante ans après la mort du pasteur, Lynda voit cette Amérique à nouveau prête à s'embraser. Le climat de violence et de haine et même devenu pire que celui des années 1960, dit-elle. "A l'époque, vous saviez qui ne vous aimait pas et ce qu'ils pouvaient vous faire. Mais aujourd'hui, vous ne savez pas à quoi vous attendre de jour en jour. Donald Trump a été élu président sur une base de haine et de violence."

Dans ce contexte, un mouvement estudiantin inédit a émergé aux Etats-Unis, après la fusillade dans un lycée de Floride en février dernier qui a fait 17 victimes. Ces étudiants qui défilent dans les rues pour réclamer une meilleure régulation des armes replonge Lynda dans ses propres souvenirs. "C'est un mouvement similaire à celui de Selma, car il est mené d'abord par la jeunesse."

Lynda Lowery. [RTS - Raphaël Grand]
Info en vidéos - Publié le 29 mars 2018

Chapitre 4
Les figures de la lutte

RTS Archives
La mémoire de Martin Luther King
Mise au point - Publié le 25 mars 2018

Pour Mise au Point, le correspondant de la RTS Philippe Revaz a rencontré plusieurs icônes de la lutte pour les droits des Noirs aux Etats-Unis.

Elizabeth Eckford avait 15 ans en 1957. Et elle a fait partie des neuf premiers élèves noirs à avoir bravé les autorités locales et les manifestants et à être entrés à la "high school" de Little Rock, en Arkansas.

"Les jeunes doivent s'obliger à être le changement. Sinon, ce sont ceux qui résistent au changement qui vont gagner", estime-t-elle. "Il faut être en colère. Comment peut-on être complaisant quand des gens sont tués sans autre raison que la couleur de leur peau? Il ne faut pas ignorer que cela arrive régulièrement au XXIe siècle, dans tout le pays".

James Meredith, lui, a été le premier étudiant noir à entrer à l'Université du Mississippi, en 1962. Il y avait été escorté par des soldats envoyés par le gouvernement américain pour réprimer une émeute populaire.

Aujourd'hui âgé de 84 ans, James Meredith estime pourtant que "le concept des droits civiques est une insulte à la citoyenneté". Pour lui, "cela consiste à dire aux Noirs: 'On va vous aider à avoir trois ou quatre droits seulement' (...) En tant que citoyen, j'ai tous les droits!"

D'autres perpétuent la légende de Martin Luther King ou s'en inspirent...

Juste avant son assassinat, Martin Luther King avait manifesté avec les éboueurs de Memphis, qui demandaient des conditions de travail décentes. Elmore Nickelberry était de ces protestations, placées sous le slogan "I am a man" ("Je suis un homme").

A 86 ans, il travaille toujours comme éboueur à Memphis et représente la mémoire de ce combat syndical. "Si Martin Luther King vivait encore, il nous dirait qu'on a progressé. Cela pourrait être mieux, mais on a déjà fait un long chemin", assure-t-il.

Tami Sawyer, 35 ans, activiste du mouvement "Black Lives Matter" qui se mobilise depuis 2013 contre la violence et le racisme systémique envers les Noirs, dit avoir été "inspirée par Martin Luther King". "Je crois vraiment que Martin Luther King dirait que les vies des Noirs comptent".

L'histoire derrière une photo culte

Née en 1941, Elizabeth Eckford fait partie des "Neuf de Little Rock", le premier groupe d'étudiants noirs inscrits dans une école de l'Etat de l'Arkansas réservée aux Blancs.

Elle explique à la RTS la photo qui l'a rendue célèbre mondialement: une image où elle figure au premier plan avec, derrière elle plusieurs Blancs, dont Hazel Bryan Massery, une fille de 15 ans qui lui hurle des propos racistes. Devenues amies par la suite, les deux femmes ont fini par rompre leur relation.

La célèbre photo d'Elizabeth Eckford prise par Will Counts en septembre 1957. En arrière-plan, on voit Hazel Bryan Massery, la fille blanche en train de hurler. [Will Counts]
Info en vidéos - Publié le 29 mars 2018

Chapitre 5
White et Black powers

RTS

Latosha Brown et Jared Taylor ont des visions radicalement opposées de la question raciale aux Etats-Unis. L'une est une chanteuse et activiste engagée dans les mouvements de défense des Noirs, l'autre est proche des milieux suprémacistes et défend la race blanche.

Le suprémaciste blanc Jared Taylor et la militante pour le droit des Noirs Latosha Brown. [RTS - Raphaël Grand]RTS - Raphaël Grand
Tout un monde - Publié le 29 mars 2018

Regards croisés

Jared Taylor vit en Virginie où il dirige la revue "American Renaissance" qui diffuse des thèses nationalistes et ségrégationnistes. Il plaide pour l’inégalité des races. "Cinquante ou soixante ans après le grand mouvement des droits civiques des Noirs, il y a toujours des émeutes raciale. On a une incompréhension mutuelle entre Noirs et Blancs", dit-il.

Jared Taylor constate par ailleurs que les mouvements racistes blancs ont une résonance au sein des nouvelle générations. "L'homme blanc aux Etats-Unis est officiellement coupable de tous les maux chez les non-Blancs dans le monde entier. Et il y a des jeunes qui sont vraiment furieux d'être considérés comme le cancer de l'histoire."

L'idéologue plaide pour la création de deux nations qui ne seraient pas forcément en conflit, mais qui vivraient de manière séparée. "La seule solution, c'est de se séparer autant que possible. La plupart des Noirs préfèrent vivre avec des Noirs, les Blancs avec des Blancs. Mais ils n'osent pas le dire ouvertement."

Pour Latosha Brown, la question raciale actuelle a été marquée par l'élection de Donald Trump, qui a libéré la parole raciste. "Ce pays a été fondé sur l’oppression et le racisme. Avec la présidence Trump, on observe la création d’un espace où les suprémacistes blancs se sentent à l’aise. Car nous avons un président à qui ça ne pose pas de problème de s’afficher dans la lignée d’un discours raciste". Selon la militante, cette réémergence raciste relève d'un contrecoup à l’élection de Barack Obama en 2008.

La question centrale, dit-elle, ce n’est pas de savoir qui vit ensemble avec qui. "J'aime vivre avec des gens noirs. Et ça ne me choque pas. Le problème, c’est cette hiérarchie humaine que nous avons créée (...) et l’idée qu'il y a une race supérieure à une autre."

"Et c’est pour cela que vous voyez maintenant un président (Donald Trump, ndlr) qui peut parler publiquement de 'trous à rats' (en référence à certains pays africains, ndlr), acceptant implicitement qu'il y a des pays inférieurs au nôtre."

Chapitre 6
"L'élection d'Obama a réveillé un discours suprémaciste"

Dans son discours historique de 1963, Martin Luther King disait rêver "que ses quatre petits-enfants vivent un jour dans une nation où ils ne seront pas jugés sur la couleur de leur peau, mais sur la valeur de leur caractère".

Pour Boris Vejdovsky, spécialiste de la culture américaine, le rêve du pasteur n'est pas devenu réalité. "La société a beaucoup changé en cinquante ans. On n'est plus du tout dans la même configuration raciale dans laquelle on a été. Pourtant, les discriminations raciales continuent. Il y a beaucoup de problèmes sociaux et économiques." Des progrès ont tout de même été faits: "Il y a quand même eu une évolution très positive de la société américaine."

Boris Vejdovsky voit l'élection de Barack Obama en 2008 comme un tournant qui, paradoxalement, a réveillé un sentiment nationaliste: "Cette élection a redonné vie à certains discours suprématistes. Avec le discours libéral (accompagnant la présidence de Barack Obama), il y a eu ces contre-discours. Aujourd'hui, c'est le contraire qui se passe avec Donald Trump. Ce dernier a permis l'éveil d'une résistance civique nouvelle."

L'invité de Pietro Bugnon - Boris Vejdovsky, spécialiste de la culture américaine à l'Unil
La Matinale - Publié le 29 mars 2018

Chapitre 7
"I have a dream", l'analyse d'un discours emblématique

AP/Keystone - ANONYMOUS

Le fameux "I have a dream" prononcé en 1963 par Martin Luther King à Washington n'a cessé de résonner jusqu'à aujourd'hui.

Pourquoi est-il devenu si emblématique? Qu'est-ce qui en fait l'une des plus célèbres allocutions de l'histoire? Réponses avec le dossier de RTSdécouverte.

Dans les archives

Comment le combat non-violent mené par Martin Luther King était-il perçu et relaté dans les émissions de l'époque? Comment la ségrégation raciale et les luttes qu'elle a déclenché étaient-elles présentées?

>> Le dossier des archives de la RTS : Martin Luther King