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Guantanamo, première "cible" de Barack Obama

Un symbole américain flotte au-dessus de "Camp Six", à Guantanamo Bay. [Reuters]
Un symbole américain flotte au-dessus de "Camp Six", à Guantanamo Bay. [Reuters]
Le nouveaux président américain n'aura pas tardé à agir sur Guantanamo. Barack Obama a choisi de suspendre pendant 120 jours les procédures judiciaires d'exception qui s'y rédoulent, notamment celle visant les accusés du 11-Septembre.

«Dans l'intérêt de la justice, le gouvernement requiert,
respectueusement, que les commissions militaires (à Guantanamo)
autorisent une suspension des procédures dans les cas suivants
jusqu'au 20 mai», a assuré pour l'accusation Clayton Trivett, dans
la motion présentée mercredi à deux juges. Cette demande
intervenait peu après l'investiture du nouveau président démocrate .

Procédure suspendue contre les accusés du 11/09

Le juge militaire Stephen Henley a suspendu mercredi la
procédure judiciaire visant les cinq hommes accusés d'avoir
organisé le 11-Septembre, en accord avec la demande du président
Barack Obama d'ajourner les tribunaux d'exception de
Guantanamo.

Plus tôt dans la matinée, le juge militaire Patrick Parrish avait
fait de même dans le dossier Omar Khadr, un Canadien arrêté à 15
ans et dont le procès pour crimes de guerre devait s'ouvrir lundi
devant un tribunal d'exception.

Quatre des cinq hommes accusés d'avoir conçu, organisé et financé
le 11-Septembre, dont leur cerveau auto-proclamé, Khaled Sheikh
Mohammed, s'étaient opposés à la suspension des procédures pendant
une courte audience mercredi en milieu de matinée.

Le Pentagone a de son côté annoncé qu'il allait réexaminer les
procédures de détention sur la base de Guantanamo.

Les membres des familles des victimes des attentats du 11
septembre 2001, également présents à Guantanamo, ont fait savoir
qu'ils s'opposaient à tout retard supplémentaire dans la tenue des
procès des hommes accusés de ces attentats.

Une promesse de campagne

La fermeture de Guantanamo a été la première décision de Barack Obama. [Reuters]La fermeture de Guantanamo a été la première décision de Barack Obama. [Reuters] Le président Obama a promis que la
fermeture de la prison de Guantanamo serait une de ses premières
actions une fois à la Maison Blanche. Avant même de donner l'ordre
de fermeture, il a choisi de suspendre pendant 120 jours les
procédures judiciaires d'exception devant les tribunaux de
Guantanamo, portant un premier coup à ce système controversé créé
en 2006 par le gouvernement de George W.Bush pour juger les
suspects de terrorisme.

Les "commissions militaires" chargées de juger les détenus de
Guantanamo ne ressemblent qu'en partie aux tribunaux militaires et
fédéraux classiques. Elles sont très critiquées pour bafouer les
principes de droit fondamentaux aux Etats-Unis.

Des tribunaux contestés

Alors que le système judiciaire fédéral prévoit un juge et jury
populaire, les tribunaux militaires classiques sont composés d'un
juge et d'un jury de militaires. Ces tribunaux considèrent
recevables les déclarations des accusés recueillies sous la
contrainte, voire la torture. De nombreuses preuves étant classées
secret défense, si le gouvernement demande le huis-clos, le juge
n'a de plus pas le pouvoir de s'y opposer. Enfin, les peines de
prison prononcées par les commissions s'ajoutent en principe à
celles déjà effectuées à Guantanamo.

Le centre de détention de la base américaine de Guantanamo (Cuba)
est un symbole des excès de la "guerre contre le terrorisme" de
George W.Bush. Plus de 800 hommes et adolescents y sont passés
depuis son ouverture le 11 janvier 2002, et environ 245 s'y
trouvent encore, pour la plupart depuis des années et sans
inculpation. L'administration Bush avait déclaré son intention de
juger 80 prisonniers pour crimes de guerre, mais seules trois
affaires ont été bouclées.

La question des détenus

La question des détenus Mais une fermeture de Guantanamo pose la
question du devenir des détenus. La Suisse a indiqué mercredi être "prête à étudier" la possibilité d'un accueil . L'Espagne s'est dite disposée à
"collaborer" au processus de fermeture. Le Portugal s'est aussi dit
prêt à recevoir d'anciens prisonniers, tandis que le chef de la
diplomatie française Bernard Kouchner est pour un éventuel accueil
"au cas par cas".

En Allemagne, la situation est plutôt tendue: le ministre de
l'Intérieur Wolfgang Schäuble, membre du parti chrétien-démocrate
de la chancelière Angela Merkel, s'est opposé à un accueil des
anciens détenus, alors que le ministre des Affaires étrangères
Frank-Walter Steinmeier, un social-démocrate, a écrit à M. Obama
pour lui proposer d'en accueillir. La Suède, le Danemark ou les
Pays-bas ont catégoriquement refusé. Ce sujet doit être abordé
lundi à Bruxelles par les ministres des Affaires étrangères de
l'UE.

Dans le monde, l'investiture du nouveau président a provoqué des scènes de liesse dans
plusieurs pays, alors que la presse parle d'une "nouvelle ère". agences/ps/cer/bri

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Bon signe, mais des difficultés en vue

L'annonce de l'administration Obama de suspendre les commissions militaires de Guantanamo est un "signe positif", estime Dick Marty. Toutefois, le nouveau président américain sera confronté à de "graves difficultés" pour fermer la prison, estime le spécialiste des droits de l'homme.

"Le problème, c'est qu'on ne sait pas comment fermer Guantanamo", a dit mercredi le rapporteur du Conseil de l'Europe et conseiller aux Etats (PRD/TI), qualifiant la situation de "kafkaïenne. Entre 200 et 300 personnes sont encore détenues dans la prison spéciale américaine située sur la base militaire de Guantanamo à Cuba.

Même si les Etats-Unis disent n'avoir aucune preuve que ces personnes sont des terroristes, la plupart ne peuvent par rentrer dans leurs pays, explique Dick Marty. Certains Etats refusent de les reprendre alors que dans d'autres, elles sont menacées de mort. L'asile aux Etats-Unis semble "difficilement soutenable".

Si Washington les accueillait, il s'exposerait à des complications juridiques, estime le Tessinois. Les prisonniers pourraient demander des compensations pour avoir été détenus illégalement.

Pour le spécialiste des droits de l'homme, "tous les pays qui ont critiqué Guantanamo devraient faire un effort" et accorder l'asile à des détenus de la prison américaine. La Suisse aussi a un rôle à jouer, estime le conseiller aux Etats. Le groupe parlementaire des droits de l'homme, dont fait partie Dick Marty, a soutenu la demande d'asile de trois détenus faite par le biais d'Amnesty International.

Décision saluée

La décision de Barack Obama de suspendre les procès de Guantanamo a été unanimement saluée mercredi, beaucoup espérant que cette annonce préfigure la fermeture de ce camp controversé.

Le rapporteur spécial de l'ONU sur la torture, Manfred Nowak, a ainsi salué une décision "très positive". "Je pars du principe que (ces tribunaux militaires) vont être supprimés et que les personnes concernées vont être rapidement amenées aux Etats-Unis pour y être déférées devant de véritables tribunaux, civils, où elles jouiront de tous leurs droits", a-t-il souligné.

En Europe, le commissaire européen à la Justice a salué "un symbole très fort" et jugé que la page d'un "triste épisode" était ainsi tournée.

L'Espagne a exprimé sa satisfaction. "Guantanamo n'aurait jamais dû exister et j'espère que sa fermeture se fera rapidement", a déclaré le chef de gouvernement José Luis Rodriguez Zapatero.

Les pays asiatiques musulmans espèrent que cette annonce laisse augurer une fermeture du camp. "Sur le principe, nous saluons" cette décision, a déclaré un porte-parole du président afghan Hamid Karzai. Au Pakistan voisin, le principal parti islamiste a qualifié de "bonne" cette annonce. En Indonésie, une vingtaine de militants des droits de l'Homme ont manifesté à Djakarta pour demander la fermeture immédiate de Guantanamo.

Pour Amnesty International, la mesure «doit être rapidement scellée par l'abandon définitif de ces procédures injustes». Selon l'ONG, la solution est simple: les détenus que les Etats-Unis considèrent «libérables» doivent être transférés vers des pays tiers. Les autres doivent être transférés sur sol américains pour être jugés. Soixante des quelque 250 personnes encore détenues à Guantanamo ne sont plus sous le coup de poursuites, selon Amnesty.