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Le succès d'un mannequin brésilien transgenre, une arme contre la discrimination?

Visibilité transgenre
Visibilité transgenre / Mise au point / 13 min. / le 2 avril 2017
Valentina Sampaio, 20 ans, est le premier mannequin transgenre à avoir fait la couverture du magazine Vogue. Mais son Brésil natal est encore le pays où les crimes transphobes sont les plus nombreux.

"Je n’ai pas décidé de me transformer en femme. Je me suis toujours sentie femme et j’ai toujours donné cette image féminine aux autres", racontait le top-modèle aux médias en marge de la Fashion Week de Saõ Paulo, mi-mars.

Mannequin depuis seulement un an, la jeune Brésilienne a fait la Une de l'édition française de Vogue en mars: une première pour cette "bible" de la mode.

La couverture de Vogue Paris pour laquelle a posé Valentina Sampaio. [EPA - Mert and Marcus for Vogue Paris]

Valentina Sampaio a également été choisie pour représenter une dizaine de marques, qui mettent en avant son image transgenre, quand bien même rien ne la distingue en apparence de ses collègues modèles. Et depuis quelques mois, la presse voit en elle une nouvelle ambassadrice de la communauté transgenre.

La mode est en train de s'ouvrir... et la mode est en train d'ouvrir le débat sur la diversité.

Liliana Gomes, directrice de l'agence Joy Model qui a découvert Valentina

"Maintenant, on comprend et on accepte la beauté transexuelle. Avant, dans un pays aussi discriminant que le Brésil, elle n'aurait pas pu vivre tout cela", estime Liliana Gomes, directrice de l'agence Joy Model qui a découvert Valentina.

Cibles de violences

Mais Valentina est une exception dans son pays. En apparence, le Brésil offre une image tolérante vis à vis de la communauté LGBT. Celle-ci s’affiche ouvertement et le pays offre une des législations les plus favorables au monde, où les démarches médicales de réassignation sexuelle sont par exemple intégralement remboursées par la sécurité sociale.

Mais les crimes transphobes et homophobes font aussi régulièrement la Une des médias nationaux: on en a dénombré 347 en 2016, soit presque un par jour, dont la grande majorité reste impunie.

Le Brésil est d'ailleurs le pays où le plus grand nombre de personnes transgenre (290) ont été tuées au cours des neuf dernières années, selon une étude mondiale menée par Transgender Europe.

Le dernier crime en date s'est déroulé le 23 mars dans la région du Ceara, d'où vient Valentina Sampaio. Une femme transgenre de 42 ans a été tuée à coups de pierre après avoir été séquestrée, comme le relate le Washington Post.

Le poids de la religion

"Les transgenres subissent la culture de ce pays. La religion, la culture dominante, oppresse cette communauté", fustige Indianara Siquiera, transgenre et conseillère à la mairie de Rio de Janeiro.

On considère qu'on doit être éliminés de la société, que nous n'y avons pas notre place.

Indianara Siquiera, transgenre et conseillère à la mairie de Rio de Janeiro

"Mes parents ont toujours accepté mon identité transgenre. Ils ne m’ont jamais maltraité ou empêché de vivre ma féminité. Je pense qu’ils avaient juste peur de ce que les autres pourraient me faire", raconte Valentina Sampaio, qui dit se sentir privilégiée.

"On a déjà connu des mannequins transsexuels comme Roberta Close, c’était dans les années 1990. La différence aujourd'hui c’est qu'avec internet ces top-modèles rendent le débat visible. Un débat qui n’existe même pas dans les écoles alors que c’est là qu’il devrait avoir lieu en premier", regrette de son côté Indianara Siquiera.

"Pas une révolution"

La visibilité de Valentina peut-elle contribuer à faire changer les mentalités?

"Cette couverture ne va pas créer une révolution ! C’est quelque chose de ponctuel, pas le début d’un changement. Une revue aussi prestigieuse que Vogue peut se permettre le luxe de faire une couverture comme ça. Mais un magazine moins important ne peut pas, il perdrait ses lecteurs", rétorque Marcia Lencioni, journaliste de mode depuis plus de 20 ans.

Reportage: Sonia Hedidi

Développement web: Jessica Vial

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Près de 2500 crimes transphobes depuis 2008

Les crimes contre la population transgenre dépassent largement les frontières du Brésil. Une étude menée par Transgender Europe montre que 2343 personnes trangenres ont été tuées dans 69 pays entre le 1er janvier 2008 et le 31 décembre 2016, dont 1834 en Amérique latine.

Ces données montrent également que 64% de ces crimes ont touché des travailleurs du sexe.

Mais les discriminations envers la communauté trans sont observées à une échelle plus large. Une autre étude menée en 2012 aux au Royaume-Uni démontre que 38% des personnes transgenre ont été victimes de harcèlement sexuel, 37% de menaces physiques et verbales, 19% d'agressions physiques et 6% de viols.

Le "harcèlement silencieux" (regards, chuchotements) a touché 80% des interrogés et 76% ont été victimes de moqueries. Une violence qui n'est pas sans conséquences: 88% des personnes transgenre ont eu des périodes de dépression, 84% ont déjà pensé au suicide et 35% ont fait au moins une tentative de suicide.

Pas de recensement en Suisse

En Suisse, il n'y a pas de recensement des agressions transphobes, ni de statistique officielle à ce sujet.

Or, pour Marianne de Uthenmann, responsable du Groupe Trans 360 à Genève, "quasiment toutes les personnes transgenre ont déjà été victimes de violences". "Il n'y a pas que les agressions physiques qui entrent en compte. Il y a des violences psychologiques, des moqueries, des regards...", a-t-elle expliqué à RTSinfo.

"Que cela soit dans l'administration, la santé, l'accès à l'emploi ou au logement, même au centre d'aide aux victimes après une agression... il n'y a presque aucun domaine où une personne trans est reconnue", relate Marianne de Uthenmann.

Elle cite les fréquentes confusions de genre, "qui découlent souvent des difficultés et inégalités juridiques qu'ont les personnes trans pour faire reconnaître leur genre légalement. Le changement d'état civil est autorisé, mais soumis à des procédures arbitraires".

"Il y a un énorme travail de formation à faire auprès de ces professionnels (...) mais il y a peu de moyens à disposition", regrette celle qui intervient régulièrement auprès d'associations et de professionnels de milieux divers pour les sensibiliser aux problématiques entourant la transidentité.

"Nous voulons faire avancer le débat politique. Mais la visibilité est à double tranchant... il y a le risque d'une croisade conservatrice, comme on peut en voir actuellement aux Etats-Unis", craint Marianne de Uthenmann.