Le Venezuela au bord de l'asphyxie

Grand Format

AP Photo - Alejandro Cegarra

Introduction

Le Venezuela traverse sa quatrième année de récession économique et vit à l'heure de l'inflation galopante. De nombreuses voix appellent à la démission du président Nicolas Maduro, alors que la Cour suprême a tenté jeudi de s'octroyer les pouvoirs du Parlement.

Nicolas Maduro, un président impopulaire

Ariana Cubillos

Accusations de "coup d'Etat"

Une pluie de critiques s'est abattue sur le président Nicolas Maduro, accusé de "coup d'Etat" au Venezuela après la décision jeudi de la Cour suprême, réputée proche du pouvoir, de s'octroyer les pouvoirs du Parlement, où l'opposition est majoritaire.

Le régime présidentiel vénézuélien aurait désormais concentré tous les pouvoirs: exécutif, armée, justice et législatif.

Le président du Vénézuela Nicolas Maduro et Maikel Moreno, président de la cours suprême. [Reuters - handout]
Le président du Vénézuela Nicolas Maduro et Maikel Moreno, président de la cours suprême. [Reuters - handout]

Décision abandonnée

Mais les représentants des principales institutions du Venezuela, réunis dans la nuit au sein du Conseil de défense de la nation, ont "exhorté" la Cour suprême à "réviser sa décision", "afin de maintenir la stabilité institutionnelle et l'équilibre des pouvoirs". La Cour y a donc finalement renoncé.

Les adversaires du chef de l'Etat avaient appelé après cette décision à descendre dans la rue samedi, pour réclamer une élection anticipée afin de sortir de la crise politico-économique qui secoue le pays.

Appels à la démission

La cote de popularité du président socialiste Nicolas Maduro, dont le mandat expire officiellement en 2019, a sombré et ne dépassait pas les 20% au plus fort de la grogne en octobre dernier. Une partie de la population l'accuse de manquements qui auraient plongé le pays dans la crise économique.

Plusieurs importantes manifestations ont eu lieu ces derniers mois dans les principales villes du Venezuela, dont certaines ont rassemblé plus d'un million de personnes, pour réclamer un référendum révocatoire. Ce processus a été bloqué par la justice en 2016.

Une étudiante qui s'oppose au gouvernement de Nicola Maduro, lors d'une manifestation à Caracas, le 30 mars 2017. [AFP - Juan Barreto]
"Répression." Une étudiante qui s'oppose au gouvernement de Nicola Maduro, lors d'une manifestation à Caracas, le 30 mars 2017. [AFP - Juan Barreto]

Irrégularités dénoncées

Nicolas Maduro avait accédé au pouvoir à la mort de son prédécesseur Hugo Chavez en 2013, d'abord par intérim puis en remportant l'élection présidentielle par 50,6% des voix.

Son adversaire, Henrique Capriles Radonski, battu de justesse, avait dénoncé des irrégularités et contesté l'impartialité du Conseil national électoral (CNE). Il est actuellement l'une des principales figures de l'opposition antichaviste, qui accuse le président en poste d'être un autocrate incompétent et estime que la justice est "séquestrée" par le chavisme.

Soutenu par l'armée

Nicolas Maduro bénéficie toutefois du soutien de l'armée, très puissante dans le pays. Celle-ci l'a notamment appuyé dans ses menaces de sanctions contre les entreprises qui participeraient à la grève générale annoncée par l'opposition en octobre.

Le ministre de la Défense Vladimir Padrino Lopez a ainsi promis de "défendre avec sa vie" le projet socialiste et "le gouvernement légitime de Nicolas Maduro".

"Une guerre non conventionnelle"

En juillet, le président avait déjà appelé à renforcer le pouvoir de l'armée afin de mener une "guerre non conventionnelle" pour contrer la "guerre économique" orchestrée, selon Maduro, par la droite et les milieux d'affaires, avec le soutien des Etats-Unis, et consistant, selon lui, à aggraver les pénuries que connaît le pays.

Critiques internationales

La politique de Caracas est également perçue comme une dérive autoritaire à l'étranger. Les critiques les plus virulentes proviennent des Etats-Unis, du Mercosur (le marché commun sud-américain) et de l'Espagne.

Le secrétaire général de l'Organisation des Etats américains (OEA), Luis Almagro, a lui aussi fustigé l'action du gouvernement Maduro. L'opposition lui a demandé de faire appliquer la clause démocratique, qui pourrait mener à l'expulsion du Venezuela de l'organisme.

Actions de protestation

Reuters - Carlos Garcia Rawlins

Les Vénézueliens dans la rue

Deux camps affichant des positions irréconciliables s'affrontent et s'accusent mutuellement de "coup d'Etat".

Les antichavistes restent déterminés à faire abdiquer Nicolas Maduro même si le référendum qu'ils demandent n'aboutit pas, par exemple en appelant à la grève et aux manifestations. Et le gouvernement et ses soutiens répliquent, par la répression ou des contre-manifestations.

Une manifestation demandant la révocation du président vénézuelien Nicolàs Maduro à San Cristobal. [Reuters - Carlos Eduardo Ramirez]
Une manifestation demandant la révocation du président vénézuelien Nicolàs Maduro à San Cristobal. [Reuters - Carlos Eduardo Ramirez]

L'opposition maintient la pression

Après quasiment un an de grave crise politique, des représentants des deux camps sont tombés d'accord le 1er novembre 2016 sur un calendrier de discussions, sous les auspices du Vatican et de l'Union des nations sud-américaines (Unasur).

Mais à la suite d'un remaniement ministériel du gouvernement Maduro début 2017, l'opposition, qui contrôle le Parlement, a souligné vouloir accentuer la pression populaire et les manifestations, toujours dans l'objectif d'éjecter le président socialiste.

Un pays en pleine crise économique

REUTERS - Carlos Garcia Rawlins

Inflation incontrôlable

Le Venezuela vit l'une des pires crises économiques de son histoire, asphyxié par la chute des cours du brut, source de 96% de ses devises.

Son inflation, stimulée par les pénuries, est devenue totalement incontrôlable: elle devrait exploser à 1660% en 2017, selon le FMI.

Le président Nicolas Maduro a annoncé une hausse de 40% du revenu minimum légal des travailleurs, en octobre dernier lors d'une cérémonie de remise de logements sociaux. Ce salaire est actuellement légèrement inférieur à 140 dollars/mois (soit 139 francs).

Importante en apparence, cette hausse reste toutefois infime par rapport à la croissance de l'inflation.

Graves pénuries

Le pays n'a plus les moyens de financer ses importations, ce qui entraîne de graves pénuries d'aliments, de médicaments, mais aussi d'énergie.

"C'est assez fou que dans un pays où on a douze mois de soleil par année, il n'y ait pas d'installations pour l'énergie solaire. C'est l'abandon total de tout ce qui est parallèle au pétrole", réagissait Christian Reymondin, photographe et éditeur suisse installé à Caracas depuis 40 ans, en septembre dans l'émission Tout un monde.

Le coût de la survie au Venezuela est devenu impossible. Il y a beaucoup de produits subsidés par l'Etat, mais qui représentent seulement 15% des besoins journaliers.

Christian Reymondin, photographe et éditeur suisse installé à Caracas depuis 40 ans

Files d'attente devant les supermarchés

Pour tous les Vénézuéliens, la quête de nourriture est un combat quotidien, alors que la pénurie frappe 80% des aliments. De nombreux produits de première nécessité, comme le papier hygiénique, ainsi que des médicaments viennent également à manquer.

"Il y a tellement peu de production de ces produits de base, que des queues d'un ou deux kilomètres se forment devant les supermarchés", décrivait Christian Reymondin, qui ressent une grande "frustration sociale" dans le pays et craint des vagues de violence.

>> Le témoignage complet de Christian Reymondin dans Tout un monde :

Des opposants au président vénézuélien Nicolas Maduro manifestent à Los Teques, le 7 septembre 2016. [AFP - Ronaldo Schemidt]AFP - Ronaldo Schemidt
Tout un monde - Publié le 13 septembre 2016

Contrebande

Le Venezuela a d'ailleurs rouvert mi-août sa frontière avec la Colombie, fermée en 2015 suite à une attaque de paramilitaires, afin que des milliers de personnes puissent aller s'approvisionner dans le pays voisin.

La contrebande est également très présente: les produits les plus difficiles à trouver se revendent au marché noir jusqu'à 40 fois leur prix officiel.

Une file d'attente formée devant un supermarché de Caracas en septembre dernier. [Reuters - Henry Romero]
Une file d'attente formée devant un supermarché de Caracas en septembre dernier. [Reuters - Henry Romero]

Retour dans les étals, à des prix excessifs

Or, certains produits comme l'huile, le lait ou le riz ont fait leur retour récemment dans les supermarchés du pays, mais à des tarifs exorbitants: un signe que le pays a renoncé à son rêve socialiste de contrôler tous les prix.

Il y a quelques mois, face à l'inflation, le gouvernement a relâché un peu les rênes de son contrôle tarifaire, permettant d'importer, notamment du Brésil et de Colombie, certains aliments et de fixer leurs prix librement.

La mesure, appliquée dans de nombreux Etats du pays et, dans une moindre mesure, à Caracas, est une petite révolution pour le projet politique de Hugo Chavez, qui avait imposé à partir de 2003 un strict contrôle des prix.

Textes et réalisation web: Jessica Vial, avec agences