Modifié

Rencontre avec Félix Rodriguez, l'un des derniers à avoir vu le "Che" vivant

Felix Rodriguez (à gauche) aux côtés de Che Guevara juste avant l'exécution du guérillero en Bolivie en 1967. [AP/Keystone - Courtesy of Felix Rodriguez]
Rencontre avec Félix Rodriguez, l'un des derniers à avoir vu le "Che" vivant / Tout un monde / 8 min. / le 22 mars 2016
Alors que les Etats-Unis et Cuba s'apprêtent à normaliser leurs relations, la RTS a rencontré Félix Rodriguez, un ancien agent de la CIA qui a été de toutes les opérations anticommunistes en Amérique latine. Interview.

Barack Obama va s’adresser au peuple cubain depuis La Havane mardi soir, dans un discours qui tournera la page de plus d’un demi-siècle de conflit. L’occasion d’évoquer une page sordide - et mythique aussi - de la longue lutte anticommuniste des Etats-Unis avec Félix Rodriguez, un ancien agent de la CIA.

Agé de 75 ans, ce Cubain anti-castriste au passé mouvementé a été successivement, entre autres, membre de l'opération désastreuse de la baie des Cochons à Cuba, soldat au Vietnam, et conseiller des contre-révolutionnaires au Nicaragua. Il vit aujourd'hui à Miami, dans une banlieue tranquille, où la RTS l'a rencontré.

La CIA et l'exécution du "Che"

Une photo célèbre - la dernière montrant Che Guevara vivant - symbolise le combat de sa vie. Félix Rodriguez y apparaît au côté du guérillero, juste avant son exécution sommaire le 9 octobre 1967 par l'armée en Bolivie. Il a accepté de nous raconter les derniers instants du "Che".

J'ai décidé de laisser l'Histoire suivre son cours.

Félix Rodriguez

Félix Rodriguez dément que la CIA ait voulu la mort du révolutionnaire, comme l'avancent certains historiens. "La décision (de tuer Che Guevara) a été prise par le président bolivien", affirme-t-il, car les Boliviens "ont eu peur de ce que pourrait donner son procès."

"Ils avaient un procès en cours contre le Français Régis Debray et l'Argentin Ciro Bustos, qui provoquaient des problèmes avec les ambassades de France et d'Argentine et avec les étudiants qui organisaient des grèves pour leur libération", explique Félix Rodriguez, qui officiait en tant que conseiller auprès de l'armée bolivienne.

Che Guevara "convaincu qu'il aurait la vie sauve"

L'agent  explique qu'il aurait peut-être pu le ramener vivant pour qu'il puisse être interrogé par les Etats-Unis. Mais "si on avait libéré Che Guevara, j'aurais pu être responsable de nouvelles effusions de sang en Amérique latine. Alors j'ai décidé de laisser l'Histoire suivre son cours", se justifie-t-il.

Cet homme qui ne croyait pas en Dieu a reçu les derniers sacrements de l'Eglise catholique.

Félix Rodriguez

Selon Félix Rodriguez, le guérillero ignorait, au moment de sa capture, qu'il allait être exécuté. Il aurait dit: "Ne tirez pas, je suis le "Che". Je suis plus important pour vous vivant que mort", rapporte-t-il, sans que cela puisse être confirmé. "Après qu'on ait pris la photo, je pense qu'il était convaincu qu'il aurait la vie sauve", confie l'agent américain.

Les mains comme preuves de mort

Ce dernier affirme n'avoir pas assisté à l'exécution proprement dite. "Je ne voulais pas voir ça", dit-il, ajoutant qu'un prêtre a donné l'extrême onction à Che Guevara. "Cet homme qui ne croyait pas en Dieu a donc reçu les derniers sacrements de l'Eglise catholique."

J'ai du respect pour la manière dont Che Guevara est mort. Mais je n'ai pas d'admiration, parce que c'était un criminel.

Félix Rodriguez

Alors que les autorités boliviennes cherchaient à conserver une preuve de la mort du "Che", Félix Rodriguez explique avoir convaincu le général Alfredo Ovando Candia de ne pas couper la tête du guérillero. "Alors le général a ordonné de couper les deux mains et de les mettre dans du formol", raconte-t-il.

"J'ai du respect pour la manière dont Che Guevara est mort. Mais je n'ai pas d'admiration, parce que c'était un criminel", affirme Félix Rodriguez.

Fusil chargé et reliques du passé

Interrogé sur la persistance du régime castriste à Cuba, après des dizaines d'années d'embargo, Félix Rodriguez n'en démord pas: son combat était le bon. "Ils ont maintenu le peuple cubain sous leur tyrannie. On a prouvé qu'on avait raison: le communisme et le socialisme ne fonctionnent pas", conclut-il.

Aujourd'hui, alors que les Etats-Unis et Cuba normalisent leurs relations, Félix Rodriguez reste le garant de la ligne dure face au régime castriste et fustige la trahison de Barack Obama vis-à-vis des Cubains. Dans la pénombre de son appartement résidentiel de Miami, il a un pistolet automatique, chargé, posé à portée de main.

Au mur sont accrochées des photos d'une vie entière sous les armes et de ses rencontres avec le président Bush père. Sur une table est posé l'enregistrement de son audition au Congrès sur l'affaire Iran-Contra. Comme des reliques du passé des Etats-Unis en Amérique latine, un passé en train de basculer définitivement dans l'Histoire...

Photos des souvenirs dans l'appartement de Félix Rodriguez:

Propos recueillis par Philippe Revaz

Publié Modifié