Votre aïeul suisse a-t-il combattu dans les tranchées en 1916?

Grand Format

Photopress-Archiv/Anonymous

Introduction

Des centaines de soldats suisses se sont battus pendant l'année 1916 lors des batailles de la Somme et de Verdun, symboles de la Première Guerre mondiale. Verdun débutait le 21 février 1916, il y a exactement 100 ans. Découvrez les fiches de ces soldats suisses "morts pour la France" dans notre infographie.

300 jours d'horreur, les récits de bataille

Il y a 100 ans, 300'000 soldats périssent à Verdun
L'actu en vidéo - Publié le 20 février 2016

Le 21 février 1916 au petit matin, un déluge de feu et de fer craché par un millier de pièces allemandes (dont les terrifiantes Grosses Bertha) s'abat sur Verdun et ses alentours.

Dès l'aube, un obus tombe toutes les quinze secondes, la terre tremble à 150 km de là, le sol s'entrouvre, l'air est vicié par les gaz toxiques.

Trois cents jours en enfer débutent, dans la boue et le froid, la peur et le sang.

A Bâle on est très près du front, on entend même les canons résonner lors de violentes attaques proches de la frontière suisse.

Cédric Cotter, doctorant à l'unité d'Histoire suisse de l'Université de Genève

Un front pas si loin de la Suisse, comme l'explique l'historien Cédric Cotter (interview complète à lire ci-dessous).

"L'offensive allemande a pour but de 'saigner' l'armée française, selon les mémoires du commandant en chef allemand, Erich von Falkenhayn", explique le chercheur à l'Université de Genève. "L'idée est de prendre Verdun pour avancer vers le centre de la France et prendre Paris, mais la contre-offensive des alliés sur la Somme va stopper les velléités allemandes".

Le déluge de feu durera jusqu'en décembre 1916 à Verdun. Il tuera plus de 163'000 soldats français et 143'000 allemands.

Verdun, ville de l'est de la France, va devenir, dans les consciences nationales française et allemande le symbole de la Grande Guerre, celui aussi des monstruosités du conflit, même si la bataille de la Somme (juillet-novembre 1916) fut encore plus meurtrière (442'000 morts ou disparus).

La ligne de front en 1916
La ligne de front en 1916

Les soldats suisses morts en 1916

Costa/AFP

Au cours de la Première Guerre mondiale, on estime que plus de 1,3 million de militaires français sont décédés sur le champ de bataille ou des suites de maladies contractées dans les tranchées.

Les Archives nationales françaises tentent de recenser le plus exhaustivement possible ces soldats morts au combat au travers des fiches manuscrites de l'époque.

Cette base de données intitulée "Mémoire des hommes" identifie les pays d'origine des soldats.

Au total, 1991 fiches indiquent "Suisse" comme pays d'origine. Et sur la seule période de la bataille de Verdun, qui se déroula du 21 février au 19 décembre 1916, 288 soldats suisses ont été recensés.

>> En Suisse, le CICR à Genève détient également un "trésor" de quelque 8 millions de fiches manuscrites, celles des prisonniers de guerre et disparus.

On y trouve notamment celle du Général de Gaulle, capturé à Verdun en mars 1916:

>> 1er août 1914: la Suisse décrète la mobilisation des réservistes.

En 1964, on célèbre le 50e anniversaire de la "mob". Monsieur Jacottet, ancien premier lieutenant de l’armée, témoigne de l'ambiance dans la troupe et des sentiments des hommes appelés sous le drapeau.

"Vivre la neutralité n'était pas évident pour la Suisse"

Keystone - Anonymous

Cédric Cotter rédige une thèse sur les liens entre action humanitaire et neutralité suisse pendant la Première Guerre mondiale.

Collaborateur scientifique et doctorant à l'Unité d'Histoire suisse du Département d'Histoire de l'Université de Genève, il participe également au projet de recherche Sinergia du FNS "La Suisse pendant la Première Guerre mondiale: perspectives transnationales sur un petit Etat dans une guerre totale".

RTSinfo: Quel est la particularité de la bataille de Verdun et pourquoi est-elle devenue un tel symbole?

Cédric Cotter: Pour la France, c'est La bataille de 14-18, le symbole du territoire à préserver. C'est aussi un échec total pour l'armée allemande, puisqu'en décembre 1916, elle aura perdu le peu de terrain qu'elle avait acquis au début de l'offensive en février-mars.

70% des troupes françaises ont connu Verdun

Cédric Cotter

Verdun a touché un très grand nombre de soldats et de familles. Près de 70% des troupes françaises ont connu Verdun. L'armée française fonctionnait avec un système de rotation des troupes sur les différents fronts, c'est pour cela qu'autant de soldats sont passés par Verdun - les combats ont duré 10 mois - et que la bataille a donc autant marqué les esprits.

Les pertes humaines sont très importantes à Verdun. Et le 80% des victimes sont mortes suite à des bombardements. C'est donc également le symbole de la guerre industrielle et moderne.

Enfin, le ravitaillement de Verdun est un exploit en tant que tel. Matériel, nourriture et hommes doivent tous passer par la seule route qui mène aux tranchées, la fameuse "Voie sacrée". Ce sont des files continues de camions qui se succèdent le long de la route. Lorsque l'un d'entre eux tombe en panne, il est simplement jeté sur le bas-côté pour permettre aux autres de continuer.

Les files de camions se pressent sur la "Voie Sacrée" pour ravitailler Verdun. [Photopress-Archiv/Anonymous]
Les files de camions se pressent sur la "Voie Sacrée" pour ravitailler Verdun. [Photopress-Archiv/Anonymous]

Pourquoi des Suisses s'engagent-ils pour la France?

Il y a plusieurs typologies de soldats suisses qui ont combattu pour la France. Ceux qui sont déjà dans la Légion étrangère en 1914 sont directement mobilisés. Certains sont aussi de parents suisses mais sont nés en France et possèdent donc la nationalité française; ils n'ont pas le choix et doivent partir se battre.

Beaucoup de Suisses ne supportaient pas de vivre la guerre en simple spectateur

Cédric Cotter

Mais la majorité des Suisses qui s'engagent vivaient en Suisse et ressentaient le besoin de partir se battre, de ne pas vivre la guerre en simple spectateur.

Il y a aussi des personnalités qui mobilisent, comme Blaise Cendrars, engagé volontaire dès 1914, qui avait lancé un appel aux Suisses à rejoindre la Légion.

A l'automne 1914, beaucoup de Suisses (surtout des Romands, mais aussi quelques Tessinois et Alémaniques) rejoignent les rangs des troupes françaises, soit par nécessité économique (le chômage en Suisse est important et la nourriture n'est pas toujours abondante à cette époque), soit par idéal.

Cédric Cotter, collaborateur scientifique à l'Unige
Cédric Cotter, collaborateur scientifique à l'Unige

Idéal, c'est-à-dire?

La propagande, même dans un pays neutre, est forte à l'époque. Le slogan utilisé pour décrire la guerre est "le combat de la civilisation contre la barbarie". Si on ne veut pas y prendre part, on est vivement critiqué. Personne ne veut être contre la civilisation. Vivre la neutralité n'est pas si évident pour la Suisse de l'époque. Comment peut-on rester sans rien faire face à autant de barbarie? Le gouvernement, tout autant que les individus, doivent chercher des justifications à la neutralité. Certains préfèrent s'engager activement. D'autres choisissent la voie humanitaire.

L'invasion par l'Allemagne de la Belgique, petit pays dont la neutralité était normalement garantie par le droit international, incite aussi de nombreux Suisses à partir défendre cette neutralité au front.

Soldats à Verdun, 22 novembre 1916. [The Picture Desk - The Art Archive]
Soldats à Verdun, 22 novembre 1916. [The Picture Desk - The Art Archive]

Combien de Suisses se sont-ils battus en France?

Les estimations les plus larges parlent de 6000 à 14'000 soldats suisses. Mais si on prend en compte les Suisses naturalisés, on tourne certainement autour de 10'000. Cela reste très difficile d'être précis.

Ce qui est sûr, c'est que les Suisses représentent environ un tiers des troupes de la légion étrangère, soit le plus gros contingent devant les Belges et les Américains.

Et cela ne pose pas un problème pour la neutralité du pays?

Si. Le Conseil fédéral doit constamment justifier sa neutralité qu'il avait déclarée le 4 août 1914, juste après l'annonce de la mobilisation générale le 1er août. Le gouvernement est inquiet pour sa population qui part au combat et pour son image. L'attitude du gouvernement est très changeante à l'époque.

(ndlr: Lors de la discussion sur le nouveau code pénal militaire en 1918, les Chambres décideront de rendre punissable le fait de servir dans une armée étrangère afin d'éviter que la neutralité de la Suisse soit mise en cause. Le nouveau code sera adopté en 1927).

La neutralité absolue n'existe pas, la Suisse a toujours été engagée d'un côté ou de l'autre. Et la Romandie penche forcément plus du côté de la France de par une culture linguistique commune. Mais le développement de l'humanitaire permettra justement à la Suisse de mieux vivre sa neutralité et de se sentir unis autour d'une même cause.

Cette Première guerre est un choc gigantesque pour l'Europe. Aujourd'hui, la Deuxième guerre l'a surpassé dans les mémoires, mais les Suisses de l'époque ne pouvaient évidemment pas se la représenter.

Cédric Cotter

Le rôle de la presse romande

La conquête de la Belgique par l'Allemagne va marquer l'esprit des Suisses

Christophe Vuillemier

Christophe Vuillemier, président de la société d'histoire de Suisse romande, a rappelé dans l'émission Forum qu'après l'invasion de la Belgique, la presse romande a joué un rôle important pour l'engagement des Suisses, autant en attisant la peur du conflit, qu'en relatant les exploits et les décès de Suisses sur le champ de bataille.

L'historien revient également sur les affaires d'espionnage qui ont animé la Confédération à l'époque de la Première Guerre mondiale et sur les "internés", ces soldats étrangers blessés qui sont accueillis en Suisse dans les sanatoriums et des camps d'internement.

>> Ecoutez aussi l'interview de Christophe Vuilleumier, historien, spécialiste de la Suisse pendant la Première Guerre mondiale, dans Forum :

La bataille de Verdun a eu lieu du 21 février au 19 décembre 1916. [EPA/Keystone - Nicolas Bouvy]EPA/Keystone - Nicolas Bouvy
Forum - Publié le 18 février 2016

Les commémorations 2016

Dans l'inconscient français, toutes les familles ont quelqu'un qui a fait Verdun. Même si c'était ailleurs.

Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'État français chargé des Anciens combattants et de la Mémoire

Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'État français chargé des Anciens combattants et de la Mémoire, lance dimanche l'année de commémorations.

Une messe sera célébrée à l'ossuaire de Douaumont, nécropole nationale où reposent les ossements de 130'000 soldats, français et allemands, tombés pendant la bataille.

Le lendemain, le Mémorial de Verdun, inauguré en 1967, rouvrira ses portes après plus de deux années de fermeture, pour devenir un "lieu de mémoire franco-allemand, pédagogique, (...)", selon son directeur Thierry Hubscher.

Point d'orgue des commémorations, Verdun se parera des couleurs de l'amitié franco-allemande, immortalisée sur ses terres lorsque François Mitterrand et Helmut Kohl, dans une image devenue historique, se prirent la main en septembre 1984.

22 septembre 1984:  à Douaumont, près de Verdun, le président François Mitterrand (à gauche) et le chancelier allemand Helmut Kohl se tiennent la main en écoutant les hymnes nationaux français et allemand. Cette cérémonie de réconciliation commémore le souvenir des soldats français et allemands tombés pendant les deux guerres mondiales et scelle l'entente retrouvée. [AFP - MARCEL MOCHET]
22 septembre 1984: à Douaumont, près de Verdun, le président François Mitterrand (à gauche) et le chancelier allemand Helmut Kohl se tiennent la main en écoutant les hymnes nationaux français et allemand. Cette cérémonie de réconciliation commémore le souvenir des soldats français et allemands tombés pendant les deux guerres mondiales et scelle l'entente retrouvée. [AFP - MARCEL MOCHET]

Trente-deux ans plus tard, François Hollande et Angela Merkel, ainsi que des milliers d'enfants, français et allemands, viendront y célébrer la paix. Les deux dirigeants se retrouveront le 29 mai, un mois avant la commémoration officielle d'une autre bataille encore plus meurtrière, celle de la Somme, prévue le 1er juillet.

En octobre sera rendu hommage aux soldats des troupes coloniales tombés à Verdun. Parmi les tirailleurs sénégalais, plus de 30'000 hommes y ont trouvé la mort, et la nécropole de Douaumont abrite aussi un carré musulman.

>> Les commémorations du 21 février 2016 dans le 19h30 :

On commémore les 100 ans de la bataille de Verdun
19h30 - Publié le 21 février 2016

Autres archives à consulter

C'est au cours de la Première Guerre mondiale que l'expression Suisse romande a supplanté celle de Suisse française jusqu'alors concurrente.

>> Retour en images les événements qui ont contribué à ce changement. :

1914-18: la Suisse française devient Suisse romande
Geopolitis - Publié le 8 décembre 2013

Lors de la Première Guerre mondiale, deux officiers de l'état-major suisse ont secrètement transmis à l'armée allemande des dépêches diplomatiques russes décryptées par le service des renseignements.

>> Cette trahison, baptisée "l'affaire des colonels", fut découverte par l'homme chargé de décoder ces dépêches, le Lausannois André Langie. :

Un traître à la patrie
Histoire vivante - Publié le 30 août 2015

14-18.ch explore l’histoire de la Suisse durant la Première Guerre mondiale à travers la collection des cartes postales de la Bibliothèque nationale.

La Suisse 14-18 en cartes postales

Le début de la Première Guerre mondiale en Suisse: le dossier RTS

>> Glissez-vous dans la peau des Suisses de 1914! : Anno 1914

Crédits

Texte et infographie: Sophie Badoux

Vidéo: Mélanie Ohayon