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Le président turc Erdogan dans "l'ivresse du pouvoir"

Recep Tayyip Erdogan pose dans son luxueux palais en octobre 2014. [Umit Bektas]
Recep Tayyip Erdogan pose dans son luxueux palais en octobre 2014. - [Umit Bektas]
Le président turc Recep Tayyip Erdogan gouverne son pays d'une main de fer. Il y a 15 ans, l'homme d'Etat incarnait un nouvel espoir; son règne s'est transformé en personnalisation extrême du pouvoir.

Changement, stabilité et modernité, voici les termes qui définissaient le mieux Recep Tayyip Erdogan, alors Premier ministre en Turquie, il y a près de 15 ans. De ce tableau, qui incarnait rapprochement avec l'Union européenne et renforcement de la démocratie, il ne reste aujourd'hui que des ruines, à l'heure des législatives du 1er novembre.

Soif de grandeur

En 2003, Erdogan accède aux hautes sphères du pouvoir turc en qualité de Premier ministre. Fondateur du Parti pour la justice et le développement (AKP), il fait figure d'homme providentiel face aux affaires de corruption en lien avec la mafia et à la mainmise de l'armée sur la vie politique. Erdogan promet l'Europe et entame des réformes sur le plan social et économique qui permettent au pays de se hisser au rang des Etats influents sur la scène internationale.

Les ambitions patriotiques s'accompagnent toutefois d'un contrôle croissant des affaires publiques. Erdogan est touché "par l'ivresse du pouvoir", commente Hasni Abidi, politologue au Global Studies Institute de l'Université de Genève et spécialiste du monde arabe. Cette mainmise concerne notamment le monde de la presse et internet, à l'image du blocage de Twitter et Youtube ordonné en mars 2014 et le contrôle imposé de deux chaînes de télévision liées à l'opposition le 28 octobre, à quelques jours des législatives.

Rien ne présageait cette dérive autoritaire, ce contrôle de l'appareil politique.

Hasni Abidi, politologue au Global Studies Institute

Les manifestations hostiles au gouvernement sont aussi sévèrement réprimées, donnant lieu à des affrontements réguliers avec la police, comme lors du projet de rénovation de la place Taksim en juin 2013. "Rien ne présageait cette dérive autoritaire, ce contrôle de l'appareil politique", précise Hasni Abidi.

Un pouvoir personnel et ostentatoire

Erdogan fait construire un luxueux palais présidentiel à Ankara, inauguré en octobre 2014: un millier de chambres, près de 200'000 m2 et quelques centaines de millions de francs déboursés.

Fort de ces victoires politiques, Erdogan s'est forgé sa propre conception du pouvoir.

Hasni Abidi
Le palais présidentiel d'Erdogan à Ankara. [KEYSTONE - EPA/OZGE ELIF KIZIL/ANADOLU AGENCY]
Le palais présidentiel d'Erdogan à Ankara. [KEYSTONE - EPA/OZGE ELIF KIZIL/ANADOLU AGENCY]

"Fort de ses victoires politiques, Erdogan s'est forgé sa propre conception du pouvoir. Il estime probablement qu'il peut se permettre ce genre d'excès au vu de sa fonction présidentielle", souligne l'expert Hasni Abidi.

Toujours plus inquiet que l'on porte atteinte à sa vie, le président turc a même équipé son palais d'un laboratoire pour prévenir des empoisonnements. Un bataillon de plusieurs centaines de gardes du corps le suit également dans tous ses déplacements.

Le retour du conflit kurde

A son arrivée au pouvoir en 2003, Erdogan fait considérablement avancer le droit des Kurdes en Turquie, cibles de répressions constantes dans le pays. En juillet dernier, l'attentat meurtrier de Suruç met fin au processus de paix avec les Kurdes. Erdogan se montre déterminé à faire la guerre au PKK "jusqu'à ce qu'il ne reste aucun terroriste".

"Erdogan représentait l'homme rassembleur", note Hasni Abidi. "L'arrêt du processus de paix a été perçu comme une trahison par les Kurdes, malgré la distinction qu'Erdogan martèle entre la question kurde et le PKK", ajoute-t-il.

Revers électoral pour Erdogan en juin dernier, le HDP, parti pro-kurde de gauche, rafle 80 sièges au Parlement turc, faisant perdre la majorité absolue à l'AKP.

La déception européenne

Recep Tayyip Erdogan obtient la promesse européenne de débuts de négociations sur l'adhésion à l'UE en 2004. Mais cette victoire se heurte aux réticences de certains Etats membres, notamment la France. Le président d'alors, Nicolas Sarkozy, se déclare clairement hostile à un rapprochement.

Erdogan a été déçu par le modèle de démocratie européenne.

Hasni Abidi

"Erdogan a certainement été blessé, frustré et a voulu prouvé qu'il pouvait faire grandir la Turquie sans les Européens. Mais, il a aussi été déçu par le modèle de démocratie européenne, notamment sur les réponses occidentales au conflit en Syrie. Il s'est alors aventuré dans sa propre conception de la démocratie", poursuit Hasni Abidi. Mais Erdogan "n'a pas abandonné le rêve européen", assure le politologue.

Mélanie Ohayon

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