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Y a-t-il un virage prorusse en Europe de l'Est?

Séisme électoral en Roumanie : un candidat pro-russe arrive en tête du premier tour de l'élection présidentielle. [RTS]
Y a-t-il un virage prorusse en Europe de l'Est? / Tout un monde / 6 min. / le 26 novembre 2024
Les Etats d'Europe centrale et orientale entretiennent avec la Russie des rapports particuliers, façonnés par leur proximité historique, et souvent compliqués, ambivalents, voire conflictuels. Dernier exemple en date, la Roumanie pourrait élire un président prorusse.

Surprise dimanche dernier: le candidat d’extrême-droite, populiste et prorusse Calin Georgescu est sorti en tête du premier tour de l’élection présidentielle roumaine. S’il devait l’emporter dans deux semaines, la Roumanie, pays voisin de l’Ukraine, connaîtrait un virage majeur, avec une défiance marquée à l’égard de l’Union européenne et de l’Otan.

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Hongrie, Slovaquie, Bulgarie et peut-être bientôt Roumanie: une part importante de l’Europe centrale et orientale affiche si ce n'est des penchants prorusses, du moins une certaine indulgence à l’égard de Moscou et de Vladimir Poutine.

"Un des seuls vrais leaders mondiaux", disait de lui Calin Georgescu. Les valeurs du candidat à la présidence roumaine sont très religieuses, ultra-conservatrices, anti-Otan et prorusses, mais l'homme ne se résume pas à cela, nuance Antonela Pogacean, chercheuse à Sciences-Po CERI, mardi dans l'émission Tout un monde de la RTS.

Il y a en Roumanie un rejet de l'élite et du système politique

Antonela Pogacean, politologue

"Je crois que les électeurs qui ont voté pour lui ne l'ont pas seulement fait avec des considérations géopolitiques Occident-Russie, mais qu'ils ont davantage voté en lien avec leurs difficultés du quotidien. Il y a un rejet de l'élite et du système politique tel qu'il se cristallise depuis la chute de Ceaușescu en 1989", observe-t-elle.

La politologue relève une volonté de dégagisme des gouvernants en poste, davantage qu’un virage prorusse, de la part d'une partie de l'électorat roumain. Moscou et Bucarest partagent d'ailleurs nombre de contentieux historiques. "En Roumanie, on ne trouve pas de slavophilie ou de panslavisme. Le pays a eu des litiges et des conflits territoriaux avec l'Union soviétique et la Russie", rappelle Lukas Macek, chercheur à l’institut Jacques Delors.

Le sentiment prorusse peut également s’interpréter comme une attitude anti-occidentale, où "la Russie est juste le vecteur d'une prise de distance par rapport à l'orientation géopolitique majeure de la Roumanie depuis 1989", estime le chercheur.

Le poids de la guerre en Ukraine

La guerre en Ukraine – un pays avec lequel la Roumaine a plus de 600 kilomètres de frontière – a également joué un rôle. S'il y a bien eu un vote marqué par le ressentiment envers la classe politique et l’Europe, la guerre aux frontières est également un facteur majeur, selon Jacques Rupnik, professeur à Sciences-Po Paris.

"L'idée est que l'on dépense énormément d'argent pour l'Ukraine, et que la guerre représente une menace en raison de la frontière directe avec la Roumanie. On peut donc jouer sur ce sentiment qui n'est pas explicitement prorusse, mais du type 'nous ne voulons pas être entraînés dans un conflit qui n'est pas le nôtre par des va-t-en-guerre du nord et de l'ouest de l'Europe.'"

Historiquement, la Russie est vue comme le protecteur des Slaves. Cela remonte au 19ᵉ siècle, au moment de la grande rivalité entre la Russie et l'Empire ottoman dans les Balkans

Jacques Rupnik, politologue

En Europe centrale et orientale, chaque pays a un rapport particulier avec la Russie, compliqué, ambivalent, conflictuel parfois, mais avec également dans certains cas des liens de proximité historique, relève le politologue. La Slovaquie et la Bulgarie sont ainsi les deux pays les plus prorusses au sein de l'Union européenne.

"Il y a des racines historiques à cela, avec le thème du 'frère slave'. Historiquement, la Russie est vue comme le protecteur des Slaves. Cela remonte au 19ᵉ siècle, au moment de la grande rivalité entre la Russie et l'Empire ottoman dans les Balkans", explique Jacques Rupnik.

Il y a également le cas de la Hongrie, dont le dirigeant Viktor Orban est proche de Moscou, alors même que son pays, historiquement, l’est beaucoup moins. En 1849, les troupes du Tsar ont écrasé la révolution démocratique hongroise. Et en 1956, les Hongrois gardent en mémoire les chars soviétiques à Budapest.

Le rôle d'influence des "hommes forts"

"Il n'y a pas de russophilie en Hongrie", estime Jacques Rupnik. Le positionnement de Viktor Orban est, selon lui, avant tout pragmatique: l'Ukraine ne peut pas gagner cette guerre, donc mieux vaut trouver un arrangement le plus vite possible. Et se positionner pour la suite.

"Cela a plusieurs avantages pour Viktor Orban qui voudrait être l'interlocuteur entre Poutine et les Européens, et qui est déjà implicitement l'interlocuteur entre Trump et les Européens. Ce n'est pas de la russophilie à proprement parler, mais une indulgence vis-à-vis de la politique de Poutine, cynique et purement transactionnelle. C'est placer Orban et la Hongrie dans un rôle d'influence dans la politique européenne."

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La quête de l'homme messianique est liée au vécu des personnes qui sont les perdantes des grands changements de ces dernières décennies

Antonela Pogocean, politologue

Autre aspect dans ce "tropisme" russe: l’aspiration à un pouvoir fort, jugé plus efficace et rassurant dans le chaos du monde actuel. Un thème qui peut être porteur auprès d’une partie des citoyens et citoyennes, relève Antonela Pogocean.

"La quête de l'homme messianique n'est pas tant liée au modèle russe, qu'au vécu d'une partie des personnes qui sont les perdantes des grands changements de ces dernières décennies, économiques, politiques et culturels. Et ces personnes rêvent donc d'un acteur politique messianique qui va régler tous les problèmes", explique Antonela Pogocean.

L'image du leader messianique n'est pas porteuse uniquement en Europe centrale ou à Moscou, remarque Jacques Rupnik qui se souvient d’une affiche de campagne du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, il y a trois ans. "Il posait aux côtés de Donald Trump, Viktor Orban, Jair Bolsonaro et... Vladimir Poutine. Et la légende sous l'affiche disait: 'Voilà ceux qui savent répondre'."

Patrick Chaboudez/kkub

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