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L'Espagne va régulariser les immigrés sans-papiers pour des raisons économiques

Le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez et le président des Iles Canaries Fernando Clavijo, le 10 octobre 2024, lors d'une rencontre pour parler d'immigration. [Keystone - Chema Moya]
L'Espagne veut régulariser en masse des immigrés sans-papier, à contre-courant des politiques européennes / Tout un monde / 6 min. / le 28 novembre 2024
A contre-courant des politiques européennes, l'Espagne a voté une réforme pour régulariser en masse les immigrés sans-papiers. Entre hausse du nombre de contribuables et pénurie de main d'œuvre, des arguments économiques sont invoqués pour cette réforme qui entrera en vigueur le 20 mai 2025.

En Europe, la tendance est plutôt à freiner l'immigration. Un récent sondage de l'Institut CSA montre que 48% de la population française se dit désormais favorable à un arrêt total de l'immigration, soit sept points de plus qu'en 2021.

>> Pour en savoir plus, lire : En sommet à Bruxelles, les 27 veulent durcir le ton sur l'immigration et L'UE adopte définitivement un pacte migratoire, avec des conséquences pour la Suisse

Mais le président du gouvernement espagnol Pedro Sanchez n'est pas de cet avis. "L'Espagne doit choisir entre un pays ouvert et prospère ou un pays fermé et pauvre. Nous, Espagnols, nous sommes les enfants de l'immigration, nous ne serons pas les parents de la xénophobie", a-t-il résumé début octobre à la tribune du Congrès des députés.

La réforme a été publiée au bulletin officiel le 22 novembre, après son adoption par le gouvernement, et entrera en vigueur le 20 mai 2025.

Les migrants sans-papiers ne peuvent pas payer d’impôts et pas cotiser à la Sécurité sociale

Gonzalo Fanjul, militant activiste contre la pauvreté et directeur des recherches au sein de la Fondation Por Causa

Arguments économiques

Le socialiste souhaite ainsi réduire les délais d'obtention des papiers de trois à deux ans, ce qui pourrait permettre de régulariser quelque 300'000 immigrés chaque année au cours des trois prochaines années. Il s'agit du nombre d'immigrés dont le pays a besoin pour maintenir son niveau de vie et sa croissance (entre 2,7 et 2% en prévision pour 2024), qui est parmi l'une des plus élevées de l'Union européenne.

Chaque immigré sans-papiers qui serait régularisé rapporterait autour de 3500 euros nets par an

Gonzalo Fanjul, militant activiste contre la pauvreté et directeur des recherches au sein de la Fondation Por Causa

Gonzalo Fanjul, militant activiste contre la pauvreté et directeur des recherches au sein de la Fondation Por Causa, insiste sur l'argument économique: "Les migrants sans-papiers ne peuvent pas payer d'impôts et pas cotiser à la Sécurité sociale. C'est pourquoi je pense que le système est immoral, mais surtout idiot. C’est un système irrationnel, c'est se tirer une balle dans le pied du point de vue économique et démographique".

Il estime que "chaque immigré sans-papiers qui serait régularisé rapporterait autour de 3500 euros nets par an". La régularisation est donc "intéressante économiquement pour l’Etat espagnol", souligne-t-il.

Gonzalo Fanjul avance encore l'argument du recrutement: "il y a un problème de main d'œuvre dans les secteurs de l'agriculture, de l'hôtellerie et des services aux personnes et ça devient structurel."

En provenance d'Amérique latine

Le continent africain est souvent accusé d'être le principal pourvoyeur de l'immigration irrégulière, mais, selon Gonzalo Fanjul, c'est une fausse idée. "Les flux de migrants sans-papiers d'Afrique constituent moins de 10% du total", alors que les migrants venant d'Amérique latine représentent "environ 80%" du total, avance-t-il. Ce sont des personnes qui arrivent à l’aéroport de manière légale avec un visa touristique, puis restent en Espagne après la fin de leur visa et tombent donc dans l'illégalité."

"Le gouvernement le sait très bien", assure Gonzalo Fanjul, mais il n'empêche pas ces arrivées car "c’est une population dont l’Espagne a besoin", assure-t-il.

>> Lire également : Le rôle de l'Afrique du Nord dans les routes de l'exil et Forte hausse des arrivées de migrants clandestins dans l'archipel espagnol des Canaries

Valérie Demon/juma

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Loi d'initiative citoyenne déposée

La société civile et les migrants, surtout, veulent aller encore plus loin que la régularisation actée par le gouvernement, car ils craignent que tous les migrants ne soient pas concernés. Ils ont donc créé un processus en parallèle.

Vouloir vivre dans un pays isolé, sans migrants, est une réalité qui n’existe pas

Edith Espinola, l’une des porte-parole de Regularizacion Ya, l’un des mouvements à l’origine de cette loi d’initiative citoyenne

D'anciens migrants sans-papiers, la société civile, des ONG et l’Eglise ont ainsi recueilli 700'000 signatures au début de l'année 2024 pour déposer une loi d'initiative citoyenne au Congrès des députés en avril. Tous les députés, à l'exception de l'extrême droite, ont accepté d'étudier les changements. Le texte, soumis à des amendements, est au Parlement.

Edith Espinola, l'une des porte-parole de Regularizacion Ya, l'un des mouvements à l'origine de cette loi d'initiative citoyenne, et elle-même sans-papiers pendant plusieurs années, explique l'objectif: "Nous voulons que personne ne reste en dehors des processus de régularisation, que le marqueur revienne à zéro".

Edith Espinola, à gauche, fait partie de l’un des mouvements à l’origine de cette loi d’initiative citoyenne. [RTS - Valérie Demon]
Edith Espinola, à gauche, fait partie de l’un des mouvements à l’origine de cette loi d’initiative citoyenne. [RTS - Valérie Demon]

Pour elle, les migrants ne "volent pas" le travail des autres, comme ils en sont souvent accusés. "Quelles sont les Espagnoles qui se battent pour être employée de maison? Qui a envie de travailler pour la récolte des oranges sous 40 degrés? Qui réellement se bat pour s'occuper des personnes âgées? Vouloir vivre dans un pays isolé, sans migrants, est une réalité qui n’existe pas", se défend-elle.

Si cette loi est votée, elle permettra une régularisation extraordinaire de presque un demi-million de personnes, selon des ONG, avec des délais beaucoup plus courts.

Reste à savoir si la loi sera finalement votée ou si les partis politiques vont la laisser en sommeil au Parlement et comment les pays européens réagiront. A noter que l'Espagne est habituée à ce type de régularisations extraordinaires. Il y en a déjà eu plusieurs sous des gouvernements de gauche et de droite.