Enrico Letta: "Fragmentés comme on est, on laisse le leadership aux Etats-Unis et à la Chine"

Entretien avec Enrico Letta, ancien premier ministre italien
Entretien avec Enrico Letta, ancien premier ministre italien / 19h30 / 4 min. / le 5 décembre 2024
Invité jeudi dans le 19h30, l'ancien Premier ministre italien Enrico Letta plaide pour un renforcement de l'intégration européenne dans certains secteurs clés. L'enjeu n'est ni plus ni moins que d'éviter de devenir "une colonie américaine ou chinoise".

Chef du gouvernement italien entre avril 2013 et février 2014, Enrico Letta est un Européen convaincu. Et cet homme de centre-gauche ne voit pas d'un bon œil les déboires du gouvernement français. "Cette crise arrive à côté d'une situation politique et économique allemande qui n'est pas simple. L'Europe a toujours eu la France et l'Allemagne pour moteurs principaux. L'impression est que ces deux moteurs sont grippés. C'est pour cela qu'il faut une relance aujourd'hui", déclare-t-il.

Enrico Letta et son compatriote Mario Draghi, également ancien Premier ministre, ont produit un rapport qui appelle l'Union européenne à se réformer pour lutter contre le décrochage économique face à la Chine et aux Etats-Unis. En effet, les signaux inquiétants se multiplient pour les 27. En 2008, sur le plan du PIB, l'UE faisait jeu égal avec son allié d'outre-Atlantique. L'union du Vieux continent se trouve désormais loin derrière.

Aujourd'hui, 75 % des Européens aiment l'euro parce qu'ils pensent qu'il s'agit d'une protection

Enrico Letta, ex-Premier ministre italien

Celui qui est aujourd'hui président de l'Institut Jacques Delors propose quelques pistes pour redonner du poil de la bête à l'Europe: "La solution est de s'intégrer dans les secteurs dans lesquels on ne l'a pas fait pour des raisons d'inertie. Pour moi, il s'agit des télécoms, de l'énergie et surtout des services financiers."

Suivre l'exemple de l'euro

Enrico Letta développe sur ce dernier domaine: "C'est un peu paradoxal. Nous avons dans nos poches, pratiquement dans toute l'Europe, une même monnaie, l'euro. Et en même temps, les marchés financiers sont divisés. Nous nous retrouvons par exemple à employer des cartes de crédit américaines. Il n'y a pas de carte de crédit européenne", relève-t-il.

Le citoyen italien plaide donc pour une approche "pragmatique" et souhaite éviter la dispersion. Car, "fragmentés comme on est, on laisse le leadership aux Etats-Unis et à la Chine", assène-t-il.

>> Voir le sujet du 19h30 sur les difficultés des 27 :

L'Europe est à la traine sur les technologies d’avenir. Les signaux inquiétants se multiplient
L'Europe est à la traine sur les technologies d’avenir. Les signaux inquiétants se multiplient / 19h30 / 2 min. / le 5 décembre 2024

Il conçoit l'Europe comme un "parapluie" protecteur. Un modèle qui, à l'entendre, a fait ses preuves. "Il y a 20 ans, l'opposition à la monnaie unique était énorme dans nos pays. Aujourd'hui, 75% des Européens aiment l'euro parce qu'ils pensent qu'il s'agit d'une protection", argumente-t-il.

Et de lancer: "Cette intégration dans ces domaines clés est fondamentale pour éviter que dans quelques années, on soit obligé de décider si on doit être une colonie américaine ou une colonie chinoise."

Texte web: Antoine Michel

Propos recueillis par Philippe Revaz

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