Dans l'Etat brésilien de Bahia, la police multiplie les raids meurtriers
Gamboa est une petite favela située au bord de la mer dans le centre de Salvador de Bahia. Ici, trois jeunes ont été tués par des policiers le 1er mars 2022. Parmi eux, Alexandre, 20 ans.
Officiellement, les agents ont essuyé des tirs avant de répliquer. Mais la mère d'Alexandre, Silvana de Santos, a une autre version. Avertie par une voisine, elle est allée à la rencontre des policiers qui retenaient son fils dans une maison abandonnée de la favela.
La police militaire agit dans une logique de guerre, une guerre contre la drogue dont l'ennemi a un profil précis. Il est noir, jeune, pauvre et habite dans les quartiers périphériques.
"Quand je suis arrivée sur les lieux, mon fils était encore vivant. Je me suis présentée comme la mère d'un des jeunes. Les policiers m'ont accueillie en me pointant une arme sur la tête et au moment où je me suis retournée pour quitter les lieux, j'ai entendu trois tirs (...) je suis partie en courant pour demander de l'aide en disant qu'ils allaient tuer mon fils, mais c'était trop tard", explique-t-elle.
Des victimes au profil identique
Alexandre fait partie des 1464 personnes tuées l'an dernier par la police militaire (en charge du maintien de l'ordre au sein des Etats brésiliens, ndlr) de Bahia, Etat peuplé de 15 millions d'habitants. Ces près de 1500 morts représentent un cinquième du total des morts causées par la police au Brésil.
Dans le pays, 98% des victimes sont de jeunes Noirs vivant dans les bidonvilles. Un chiffre qui n'étonne pas Wagner Moreira, coordinateur d'IDEAS, une ONG qui milite pour l'accès au droit des populations défavorisées et dénonce même "une violence systémique".
"La police militaire agit dans une logique de guerre, une guerre contre la drogue dont l'ennemi a un profil précis. Il est noir, jeune, pauvre et habite dans les quartiers périphériques. C'est une réalité au Brésil, c'est l'idée d'extermination sous prétexte de guerre contre la drogue", juge-t-il.
Je crois que la police est aujourd'hui à l'image de la société: malade. Quotidiennement, les policiers vivent des situations de stress, des échanges de tirs et des affrontements.
"Certains policiers agissent en dehors des règles"
Dans ce contexte de tensions, impossible ou presque de recueillir le sentiment des policiers militaires. L'un d'entre eux a pourtant accepté de s'exprimer, mais de manière anonyme et à condition que sa voix soit méconnaissable. A 38 ans, dont douze passés au sein de la police militaire, il admet que certains de ses collègues ont un comportement violent.
"Je crois que la police est aujourd'hui à l'image de la société: malade. Quotidiennement, les policiers vivent des situations de stress, des échanges de tirs et des affrontements. Vous comprenez? Alors, quand ils attrapent quelqu'un qui, entre guillemets, enfreint la loi, certains agissent en dehors des règles. Selon eux, ils minimisent le problème. Vous comprenez?", explique le policier.
Une justice à deux vitesses
La lenteur de la justice dans le traitement des bavures policières est également dénoncée par les organisations de la société civile. C'est le cas de l'Association des femmes noires "Odara", qui accompagne et conseille les familles de victimes.
Pour l'avocate Gabriela Ramos, coordinatrice de l'association dans l'Etat de Bahia, tous les accusés ne sont pas logés à la même enseigne
C'est un discours public qui consiste à dire que le crime ne peut être affronté que par la violence.
"La justice fonctionne différemment selon les profils des victimes de ces meurtres. Ainsi, l'ouverture du procès d'un policier prendra plus de temps. Ce n'est pas un hasard si les institutions juridiques fonctionnent de manière si différente lorsque les victimes ont des profils différents, des profils sociaux et raciaux différents", analyse-t-elle.
Dans un pays fédéral où les gouverneurs des Etats sont responsables du fonctionnement d'une partie de la police, la situation de Bahia, un Etat géré depuis 2007 par le Parti des travailleurs, interpelle. Pour Samuel Vida, professeur de droit à l'Université fédérale de Bahia, le parti du président Lula a cédé, au moins localement, aux sirènes du populisme punitif.
"C'est un discours public qui consiste à dire que le crime ne peut être affronté que par la violence. Ce discours est très présent au Brésil, y compris au sein des classes populaires, où l'on dit qu'un bon bandit est un bandit mort. C'était d'ailleurs l'un des principaux axes de la politique de Jair Bolsonaro", rappelle-t-il.
Une solution, les caméras corporelles
Samuel Vidas propose un changement radical de philosophie qui passe par exemple par l'obligation pour les policiers de porter des caméras corporelles.
"Cette mesure simple a produit un résultat immédiat à Sao Paulo. Dans certaines unités, la létalité a chuté de 90%. C'est donc une politique qui ne crée aucun type de gêne à l'action policière. A condition, évidemment, qu'elle ne soit pas illégale."
Un appel d'offres a été lancé en début d'année par le gouvernement de Bahia pour l'achat de telles caméras, mais il a été suspendu en mai. En attendant, le nombre de morts sous les balles des policiers ne cesse de grimper. L'ONG Feux croisés en a dénombré 50 à Bahia entre le 15 août et le 13 septembre 2023.
Reportage radio: Jean-Claude Gerez
Adaptation web: ther