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A Petra et dans le désert, le surtourisme menace la société jordanienne

Des touristes sur le site jordanien de Pétra. [Khalil Mazraawi - afp]
Le surtourisme menace en profondeur la société jordanienne / Tout un monde / 4 min. / le 19 septembre 2023
Toujours plus de touristes se rendent en Jordanie pour visiter ses bijoux architecturaux et ses paysages à couper le souffle. Mais s'ils rapportent beaucoup à l'économie du pays, ils menacent aussi en profondeur la société jordanienne et en premier lieu les populations vivant dans le désert.

Le désert du Wadi Rum, la cité antique de Pétra ou une baignade dans la mer Morte attirent en Jordanie des touristes de monde entier. Et le fait que ce pays soit considéré comme l'un des seuls Etats véritablement stables au Moyen-Orient contribue aussi à ce succès.

Ce sont ainsi quelque 4,5 millions de visiteurs et visiteuses qui ont été enregistrés l'année dernière en Jordanie. Et ceux-ci ont rapporté l'équivalent de 5 milliards de francs à l'économie du pays. Mais pour la population, cet afflux de touristes n'est pas toujours positif.

Des camps pérennes qui se multiplient dans le désert

Dans le désert de Wadi Rum, les campements réservés aux touristes se multiplient ces dernières années. Toutes alignées, ces tentes sont des structures pérennes, des dômes en plastique avec à l'intérieur une chambre à coucher, une salle de bain privative, un système de climatisation et même, parfois, un jacuzzi.

Motab, un jeune bédouin qui vit dans la région, constate jour après jour l'éclosion de ces structures réservées aux visiteurs étrangers au milieu des dunes du sud de la Jordanie. "On voit un camp là et un autre là-bas, cela fait plus d'une dizaine juste pour cette vallée. Et il y a des camps qui sont encore en construction", relève le jeune homme de 26 ans, interrogé cette semaine dans l'émission de la RTS Tout un monde.

Quelque chose est en train de changer dans le désert et, un jour, ce ne sera plus un désert

Motab, un jeune bédouin

Et les conséquences de ce tourisme de masse dans le désert sont immédiatement visibles: il y a quelques semaines, trois cadavres de dromadaires ont été retrouvés dans le sable, près de plusieurs campements. "Ils ont mangé des restes de nourritures, regrette Motab, mais on ne sait pas quel camp a jeté cela. Ces animaux sont très importants pour nous. Ce sont nos amis, on aime vivre avec eux."

Pour le jeune bédouin, "quelque chose est en train de changer dans le désert et, un jour, ce ne sera plus un désert".

Des tribus nomades repoussées plus loin

Motab est membre de la tribu des Al-Zalabiah, une communauté qui se déplace constamment pour que le bétail trouve à manger. Son frère Attalah explique que les animaux mangent peu à peu toute l'herbe qui se trouve autour du campement et qu'il faut alors se déplacer pour trouver de nouvelles zones herbeuses.

Or, poursuit Attalah, "quand on change de place, des gens viennent construire des camps qui ne sont pas démontables. Donc, chaque fois que l’on bouge, ils prennent nos emplacements et ils installent de la lumière et des générateurs pour la nuit". Ces nouveaux campements poussent ainsi peu à peu les bédouins en dehors du désert et détruisent la beauté de ce site.

Le désert de Wadi Rum attire toujours plus de touristes. [Francesco Fanti / Robert Harding RF - afp]Le désert de Wadi Rum attire toujours plus de touristes. [Francesco Fanti / Robert Harding RF - afp]

Attalah dénonce aussi le fait que les autorités ne s’intéressent pas à ce qui se passe: "Les gens peuvent faire ce qu’ils veulent." Il a tenté d’alerter les autorités locales mais sans succès.

Au total, au moins 200 campements sont désormais réservés aux touristes dans le Wadi Rum et seulement une quarantaine d'entre eux auraient reçu un permis de construire officiel.

Pétra, la citée envahie de touristes

Plus au nord, à une centaine de kilomètres des dunes du Wadi Rum, un autre site exceptionnel est pris d’assaut par les touristes: Pétra, la cité antique inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco. Chaque matin, des dizaines de bus déversent des centaines de voyageurs qui se ruent immédiatement dans le canyon débouchant sur le monument le plus célèbre.

Pendant les fortes chaleurs, près de 4000 personnes visitent le site chaque jour et elles seront 6000 lorsque les températures baisseront à partir de fin septembre. La foule est toujours importante dans ce lieu étroit et il est souvent impossible d’admirer la beauté de cet ancien tombeau. Le risque est également de dénaturer ce temple fondé au VIIIe siècle avant Jésus-Christ et toujours plus menacé par les touristes, l'érosion et les inondations.

Comment trouver plus de ressources en eau naturelle pour des hôtels cinq étoiles qui en consomment une grande quantité?

Mohamed Tawahad, spécialiste de la gestion de l’eau

En outre, les autorités locales prévoient d’ouvrir dans les prochains mois des restaurants et des hôtels pour accueillir encore plus de monde. Des structures qui nécessitent aussi beaucoup d’eau, alors que la Jordanie est le deuxième pays au monde le plus pauvre en eau.

Spécialiste de la gestion de l’eau dans la région, Mohamed Tawahad estime que ce problème va prendre une grande importance à l'avenir: "Comment trouver plus de ressources en eau naturelle pour des hôtels cinq étoiles qui en consomment une grande quantité?"

>> Revoir le doc consacré au site de Petra:

Petra, merveille du désert [RTS]
Petra, merveille du désert / Divers / 29 min. / le 3 mai 2015

Reportage radio: Céline Martelet

Adaptation web: Frédéric Boillat

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