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Controversé, mais toujours écouté, Henry Kissinger fête ses 100 ans

Henry Kissinger fête ses 100 ans. [Keystone - Omer Messinger - EPA]
A 100 ans, Henry Kissinger toujours aussi controversé / La Matinale / 1 min. / le 26 mai 2023
L'ancien secrétaire d'Etat américain Henry Kissinger fête ses 100 ans ce samedi. L'homme, qui fascine et divise toujours autant, conserve l'oreille des grands de ce monde et distille savamment ses conseils en géopolitique.

Visionnaire pour les uns, "criminel de guerre" pour d'autres, le "sage" à la silhouette courbée mais toujours reconnaissable à sa grosse monture de lunettes noires reste actif. Henry Kissinger a participé mardi à un hommage pour ses 100 ans au Club économique de New York.

Les apparitions publiques de l'ancien chef de la diplomatie américaine sont devenues rares au fil des ans et elles ont le plus souvent lieu par visioconférence, comme au Forum économique mondial de Davos en janvier dernier. Mais pour celui qui aura marqué de son empreinte la politique étrangère des Etats-Unis de la seconde moitié du 20e siècle, cette longévité est exceptionnelle.

Et il conserve, depuis ses bureaux à New York et son cabinet de conseil Kissinger Associates, une relative aura auprès de l'élite à Washington et à l'étranger, y compris chez des démocrates comme l'ancienne secrétaire d'Etat Hillary Clinton qui disait un jour "reposer sur les conseils" de son "ami".

"Realpolitik" à l'américaine

Acteur incontournable de la diplomatie mondiale pendant la Guerre froide, ce lauréat du prix Nobel de la paix a initié le rapprochement avec Moscou et Pékin dans les années 70, fort d'une vision pragmatique du monde, une sorte de "Realpolitik" à l'américaine.

Dans un signe que sa vision du monde n'a guère changé, il estimait mardi devant ses convives que les Etats-Unis se devaient de défendre leurs "intérêts vitaux". "Il nous faut être toujours plus forts afin de résister à toute pression", a-t-il dit.

Mais l'image de l'homme à la voix rocailleuse et au fort accent hérité de ses origines allemandes reste ternie et liée à des pages sombres de l'histoire des Etats-Unis, comme le soutien au coup d'Etat de 1973 au Chili, l'invasion du Timor oriental en 1975 et, bien sûr, le Vietnam.

"Pour moi, il ne fait aucun doute que sa politique a provoqué des centaines de milliers de morts et détruit la démocratie dans de nombreux pays", relève Reed Kalman Brody, un avocat spécialisé dans les droits humains. "Je suis stupéfait qu'il s'en soit tiré comme ça", ajoute-t-il.

Bombardements au Cambodge et génocide au Bangladesh

Henry Kissinger n'a de fait jamais été inquiété par la justice, une plainte ayant été classée sans suite en 2004.

Une récente enquête affirme que la campagne de bombardements américains au Cambodge, dont Henry Kissinger fût l'architecte, avait été largement sous-estimée. [Keystone - AP Photo]

Dans une enquête publiée mercredi, The Intercept, un site d'investigation journalistique, affirme sur la base de documents d'archives du Pentagone et de témoignages de survivants que la campagne de bombardements américains au Cambodge entre 1969 et 1973, dont Henry Kissinger fût l'architecte, avait été largement sous-estimée faisant bien plus de morts civils que précédemment admis.

L'historien Muntassir Mamoon de l'Université de Dacca souligne lui qu'Henry Kissinger a "activement soutenu le génocide au Bangladesh" en 1971. "Je ne vois aucune raison de faire l'éloge de Kissinger", dit-il, en ajoutant que son point de vue était partagé dans de nombreux pays, dont le Vietnam.

"L'ironie est qu'on retient qu'il a fait la paix, mais on oublie tout ce qu'il a fait pour prolonger la guerre pas seulement au Vietnam, mais au Cambodge et au Laos", renchérit l'historienne Carolyn Eisenberg, de l'Université Hofstra aux Etats-Unis.

Prix Nobel en 1973

Le jeune Juif allemand Heinz Alfred Kissinger est né le 27 mai 1923 à Fürth, en Bavière. Il s'est réfugié à 15 ans aux Etats-Unis avec sa famille, avant d'être naturalisé américain à 20 ans. Fils d'instituteur, il intègre le contre-espionnage militaire et l'armée américaine avant d'entamer de brillantes études à Harvard, où il a également enseigné.

Sous Richard Nixon, Henry Kissinger devient le conseiller à la sécurité nationale, puis le secrétaire d'Etat. [Keystone - AP Photo]

Il s'est imposé comme le visage de la diplomatie mondiale lorsque le républicain Richard Nixon l'appelle à la Maison Blanche en 1969 comme conseiller à la sécurité nationale, puis comme secrétaire d'Etat.

C'est alors qu'il lance la détente avec l'Union soviétique et le dégel des relations avec la Chine de Mao, lors de voyages secrets pour organiser la visite historique de Richard Nixon à Pékin en 1972.

Il mène aussi, toujours dans le plus grand secret et parallèlement aux bombardements de Hanoï, des négociations avec Le Duc Tho pour mettre fin à la guerre du Vietnam. La signature d'un cessez-le-feu lui a valu le prix Nobel de la paix avec le Nord-Vietnamien en 1973, l'un des plus controversés dans l'histoire du Nobel.

>> Le portrait d'Henry Kissinger dans un Temps Présent de 1977 :

La diplomatie de Kissinger
Le visage de la diplomatie américaine / Temps présent / 61 min. / le 27 janvier 1977

edel avec afp

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Henry Kissinger en cinq moments-clés

Dégel avec la Chine

Henry Kissinger s'est rendu secrètement à Pékin en juillet 1971 afin de nouer des liens avec la Chine communiste, ouvrant la voie à la visite historique du président Richard Nixon à Pékin en 1972.

Cette main tendue à la Chine a mis fin à l'isolement du géant asiatique et contribué à la montée en puissance de Pékin, d'abord économique, sur la scène mondiale.

Vietnam et Nobel

Henry Kissinger a mené des négociations secrètes avec Le Duc Tho pour mettre fin à la guerre du Vietnam. [Keystone - Michel Lipchitz - AP Photo]

Henry Kissinger a mené, dans le plus grand secret et parallèlement aux bombardements de Hanoï, des négociations avec Le Duc Tho pour mettre fin à la guerre du Vietnam.

La signature d'un cessez-le-feu lui a valu le prix Nobel de la paix avec le Nord-Vietnamien en 1973 que ce dernier refuse arguant que la trêve négociée n'était pas respectée. Henry Kissinger lui n'ose pas se rendre à Oslo, de peur de manifestations, et s'y fait remplacer par l'ambassadeur américain.

Le soutien aux dictatures

Les détracteurs d'Henry Kissinger pointent son soutien aux coups d'Etat en Amérique latine, au nom de la lutte contre le communisme, et tout particulièrement au Chili où les Etats-Unis aident à porter au pouvoir le dictateur Augusto Pinochet après le suicide de Salvador Allende, en 1973.

Les invasions

La défense de l'intérêt général des Etats-Unis l'amène aussi à soutenir, plus ou moins tacitement, plusieurs invasions à l'époque. C'est le cas notamment de son soutien au président indonésien Suharto dont l'invasion du Timor Oriental a entraîné 200'000 morts en 1975.

C'est aussi le cas pour la Turquie qui a saisi en 1974 un tiers du territoire de Chypre et la conduite d'opérations de déstabilisation lors de la guerre civile en Angola.

Le Proche-Orient

Henry Kissinger a consacré une bonne partie de son temps au Moyen-Orient, organisant notamment un pont aérien massif, l'opération Nickel Grass, pour ravitailler l'allié israélien en armes après l'attaque surprise de pays arabes lors de la fête juive de Yom Kippour en 1973.

Il y inaugure ensuite la "diplomatie de la navette" négociant avec Israël, la Syrie et l'Egypte, qui deviendra un allié clé sortant de la sphère d'influence de Moscou.