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"Si on a décidé de ne plus acheter de gaz russe, on doit faire de même pour l'uranium"

Géopolitis: Nucléaire, la relance [Imago/ZUMA Press - Antti Yrjonen]
Nucléaire, la relance / Geopolitis / 26 min. / le 30 avril 2023
Plus de 10 ans après la catastrophe de Fukushima, l'énergie nucléaire redevient une option pour certains Etats, face à l'urgence climatique puis à la guerre en Ukraine. Mais la Russie est aussi un acteur de poids sur le marché du nucléaire civil.

Ce sont deux stratégies à l'opposé l'une de l'autre. L'Allemagne vient de débrancher ses trois derniers réacteurs et entend tout miser sur le renouvelable pour assurer sa transition énergétique. La Finlande, elle, augmente ses capacités, avec la mise en service du plus puissant réacteur nucléaire d'Europe. Celui-ci doit produire, à lui seul, 15% de l'électricité consommée dans le pays.

Selon Juha Poikola, responsable des relations publiques de TVO, qui exploite la centrale, "c'est un chiffre important qui va nous permettre de ne plus importer d'électricité ou très peu." Il estimait récemment dans le 19H30 que "cette centrale nucléaire permettrait à elle seule d'alimenter 3,6 millions de voitures électriques pendant une année".

La Finlande n'est pas seule à miser sur l'atome. La Belgique, qui devait sortir du nucléaire en 2025, vient de trouver un accord pour prolonger deux de ses réacteurs, avec l'objectif de reprendre en mains le destin énergétique du pays, selon les mots de son Premier ministre, Alexander De Croo. La France, qui produit plus de la moitié de son électricité à partir du nucléaire, veut pour sa part donner une nouvelle impulsion à la filière et construire six réacteurs de nouvelle génération.

Plus de 10 ans après l'accident de la centrale de Fukushima, l'énergie nucléaire revient au centre des débats, alors que les Etats cherchent à décarboner leur économie et que la guerre en Ukraine a mis en lumière la dépendance énergétique de certains pays et la vulnérabilité du marché mondial de l'énergie.

Nouvelles dépendances?

L'énergie nucléaire fournit 10% de la production mondiale d'électricité, avec 422 réacteurs dans 32 pays. Ces sont les Etats-Unis qui possèdent le plus de réacteurs sur leur territoire (92), suivis par la France (56) et la Chine (56), devant la Russie (37).

C'est Pékin qui augmente le plus ses capacités avec 19 réacteurs en chantier sur son territoire. Mais le clan des pays producteurs d'énergie nucléaire s'agrandit. Parmi eux, la Turquie, qui vient d'inaugurer son premier réacteur, ou l'Egypte, qui a lancé le chantier de sa première centrale l'année dernière. Dans ces deux pays, c'est le géant russe du nucléaire, Rosatom, qui a été choisi. La Russie est le pays qui construit le plus de réacteurs à l'étranger.

Pays qui comptent le plus de réacteurs nucléaires. [RTS - Géopolitis]

La Russie a également un poids important dans l'industrie stratégique du nucléaire civil: 5% de la production minière d'uranium provient de Russie. C'est le sixième pays producteur, derrière le Kazakhstan (45%), la Namibie (12%), le Canada (10%), l'Australie (9%) et l'Ouzbékistan (7%).

Mais c'est surtout le pays qui possède les plus importantes capacités d'enrichissement d'uranium (46%). "Si on a décidé de ne plus acheter de gaz russe  - et d'acheter du gaz de schiste aux Américains, ce qui est vraiment loin d'être bien - on doit faire la même chose pour l'uranium", estime Stéphane Genoud, professeur en management de l'énergie à la HES-SO Valais, dans Géopolitis. "En termes de géostratégie, ce n'est pas un bonne idée de se mettre dans une position où, pour de longues périodes, il faut qu'on soit copains avec les Russes ou avec les Chinois, par exemple."

Le Kazakhstan produit près de la moitié de l'uranium mondial. [RTS - Géopolitis]

Pour le chercheur, c'est un argument de plus pour favoriser les énergies renouvelables. "Mes panneaux solaires photovoltaïques produisent de toute façon, souligne Stéphane Genoud. Je n'ai pas besoin de négocier avec le soleil." Mais face à l'urgence climatique, le nucléaire est selon lui une option plus séduisante pour de nombreux politiciens. "Il y a deux stratégies: soit on réduit nos consommations, soit on produit défossilisé. La réduction de la consommation prend du temps et surtout il faut avoir envie de le faire. Et on a de la peine à imaginer un monde en décroissance. Donc, on essaie de trouver une autre solution, c'est-à-dire le nucléaire", souligne-t-il.

Un choix pour l'avenir

De l'exploitation d'une centrale à son démantèlement, le nucléaire génère des dizaines de milliers de tonnes de matériaux contaminés. Une partie de ces déchets sont fortement radioactifs. L'enfouissement est la solution choisie ou testée par plusieurs Etats, comme la Finlande ou la France.

"C'est quand même problématique de profiter pendant deux ou trois générations et de laisser à des dizaines de générations derrière nous la gestion du démantèlement, le coût du stockage. Honnêtement, j'ai envie de regarder vos enfants dans les yeux en disant: "Je ne vous ai pas imposé ça!" On leur a imposé déjà tellement de choses à ces petits qui naissent aujourd'hui que peut-être qu'on peut trouver d'autres solutions", plaide Stéphane Genoud.

Selon l'Agence internationale de l'énergie, 28% de la production mondiale d'électricité provenait des énergies renouvelables en 2021, contre 10% pour le nucléaire, 23% pour le gaz naturel et 36% pour le charbon.

Elsa Anghinolfi

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