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Désemparés, les pêcheurs irlandais s'estiment sacrifiés par le Brexit

Vue sur le port du village de Castletownbere, en Irlande. [AFP - Walter Bibikow / Hemis.fr]
Reportage avec des pêcheurs irlandais qui se voient comme des sacrifiés du Brexit / Tout un monde / 5 min. / le 21 février 2023
Après les accords commerciaux du Brexit, l'Irlande a été dépossédée d'une bonne partie des quotas de pêche européens, au profit du Royaume-Uni. De nombreux pêcheurs irlandais, privés d'exercer, se voient ainsi contraints d'abandonner leur métier.

Comme dans de nombreux villages de la côte irlandaise, Castletownbere dépend presque exclusivement de la pêche. Mais depuis le Brexit, la pratique s'est compliquée. Si l'Union européenne fixe des contingents toujours plus restrictifs, le Royaume-Uni a pu récupérer une grande partie des quotas irlandais lors des accords commerciaux, et la pêche sur l'île a fortement diminué.

L'Irlande, où cette activité occupe la première place de l'économie nationale avec l'agriculture, souffre ainsi davantage que ses voisins. Le gouvernement évalue la perte à un équivalent de 43 millions de francs par an.

A Castletownbere, les pêcheurs livrent tout le poisson à la coopérative du village. Après le Brexit, le pays a perdu 26% de quotas sur le maquereau, indique John Nolan, manager de la coopérative depuis 40 ans, mardi dans l'émission Tout un monde.

Les machines, actuellement à l'arrêt, occupent habituellement trente salariés et produisent 50 tonnes de filets par jour. "Avant le Brexit, cette usine comptait 110 salariés. On finira à 70, peut-être moins", poursuit-il.

Des quotas déséquilibrés

"Ce qui est arrivé à l'industrie de la pêche en Irlande est un scandale. Avec le Royaume-Uni, on partage les mêmes eaux. Mais pour le hareng, par exemple, l'UE lui a donné 99% des quotas. En ce qui concerne le cabillaud, les Britanniques avaient auparavant 6,8% des contingents et se retrouvent avec 52% aujourd'hui. Quant au thon rouge, l'Irlande n'a pas de quotas sur ce poisson alors qu'il est majoritairement pêché dans nos eaux", se désole John Nolan.

Pour pallier ce manque, les pêcheurs irlandais ont négocié de l'argent. "On nous paie pour qu'on renonce à notre mode de vie. Nous sommes devenus le bouc émissaire de l'UE, on s'est pris gifle après gifle", ajoute le manager, qui affirme que sans pêche, sa communauté mourra.

Comble du désespoir, les bateaux étrangers se fournissent en gazole dans les ports du pays. Leur pêche est donc comptabilisée dans les émissions de carbone annuelles de l’île, pour du poisson qui n'a pas touché les filets irlandais.

Faute imputée au gouvernement

L'année dernière, l'UE a mis en place un plan de rachat pour équilibrer la flotte en fonction de ces nouveaux quotas, et dédommager les pêcheurs irlandais ayant perdu leur activité. Une fois vendus, les bateaux sont détruits. Sur les 160 navires du pays, 64 se sont portés candidats. "On déteste les voir découpés. Ils font partie de la famille, c’est comme si vous perdiez votre animal de compagnie", affirme Alan Carton, qui attend son tour comme 19 autres capitaines du village.

Il dénonce un non-sens dans l'attribution des quotas: alors que l'Irlande est un des pays européens avec le plus d'étendue maritime, elle s'est vue attribuer les plus petits quotas. "La Belgique a très peu de côtes et ses bateaux viennent pêcher ici. Leurs dirigeants politiques ont bien travaillé, on ne peut pas blâmer les pêcheurs. C'est notre gouvernement, qui n'a pas négocié de meilleur accord, qu'il faut tenir pour responsable. L'industrie ici en paie le prix", avance Alan Carton.

Quant à l'avenir, les perspectives pour le capitaine sont encore floues: "Cela va être dur de passer à autre chose alors que je fais ce métier depuis 30 ans". Chaque année, Bruxelles réévalue les quotas. Les pêcheurs espèrent que leur avenir sera renégocié.

Laura Taouchanov/iar

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