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A l'étroit, excentrées, quand les capitales décident de déménager

Des ouvriers sur un chantier de construction de la nouvelle capitale administrative (NAC) égyptienne, à quelque 45 kilomètres à l'est du Caire, en Égypte, le 12 septembre 2022. [Keystone - Khaled Elfiqi / EPA]
Ces capitales qui déménagent / Tout un monde / 6 min. / le 21 février 2023
Du Canada au Brésil, en passant actuellement par l'Egypte, des dizaines de capitales ont été déplacées dans le monde. Aujourd'hui, la tendance se poursuit avec de nouvelles villes qui émergent. Les raisons de ces déménagements sont multiples et varient avec le temps.

La capitale de l'Egypte étouffe: chaque année, Le Caire compte en moyenne jusqu'à 300'000 habitants et habitantes supplémentaires. Face à cette situation, le président Al-Sissi a ordonné en 2015 la construction d'une nouvelle ville à une quarantaine de kilomètres à l'est.

Aujourd'hui, les travaux ont bien avancé. "C'est un projet gigantesque, qui prend forme d'année en année. On commence à voir actuellement les différents quartiers sortir de terre, notamment le quartier administratif avec les bâtiments qui vont accueillir les ambassades et les administrations. Le ministère de la santé est déjà en fonction", rapporte mardi dans l'émission Tout un monde Corine Remande, présidente de l'association Caire Accueil, qui s'occupe de faciliter l'intégration des expatriés francophones. Le transfert des institutions prendra encore plusieurs années.

Sept fois la superficie de Paris

La nouvelle capitale égyptienne doit s'étendre sur une superficie équivalente à sept fois celle de Paris. Mais ce mégaprojet urbain fait aussi grincer des dents. Si le nom de la ville n'est pas encore connu, les opposants et détracteurs du président Al-Sissi l'appellent déjà "Sissi-City".

Face à un chantier qui doit coûter 45 milliards de dollars, un clivage commence à naître au sein de la population. La classe moyenne et les classes populaires peinent à comprendre l'intérêt de cette construction coûteuse, note Corine Remande, qui estime néanmoins le projet nécessaire, car "il permettrait de désengorger Le Caire et d'avoir sur un même site toutes les administrations et institutions". L'industrie et l'emploi seraient aussi favorisés. Cette nouvelle capitale est en outre une occasion pour l'Egypte de montrer sa puissance face aux pays du Golfe.

Le site en construction de la nouvelle capitale administrative égyptienne, à quelque 45 kilomètres à l'est du Caire, le 12 septembre 2022. [Keystone - Khaled Elfiqi / EPA]

Une "misère urbanistique" et environnementale

Le volet écologique du projet est critiqué. Si les responsables promettent une ville verte et durable fonctionnant à partir d'énergie renouvelable, la nouvelle capitale ne répond pas aux défis environnementaux actuels. "C'est une ville qui singe les cités occidentales et qui ne fera que reproduire la misère urbanistique de l'anthropocène, qui utilise beaucoup de ressources, gaspille énormément d'énergie et fabrique beaucoup de déchets", juge Laurent Guidetti, architecte urbaniste.

A l'exception d'un train qui la reliera au Caire, la ville n'aura pas de transports publics, s'étonne le spécialiste. "C'est tout l'envers du bon sens. Les autoroutes, ce que l'on a toujours fait, mènent à l'échec de l'urbanisme moderne."

Des solutions plus adaptées aux milieux arides existent pourtant. La construction de murs de terre très épais permet par exemple de mieux stocker la chaleur la nuit et de rendre la fraîcheur durant la journée, sans utiliser de climatiseurs comme dans les immeubles de verre et d'acier, très énergivores. La question de l'approvisionnement en eau d'une ville construite en plein désert interroge aussi, souligne Laurent Guidetti.

Des transferts pour marquer un nouveau temps

L'Egypte n'est pas le seul pays à déménager sa capitale. Comme Le Caire, la ville de Jakarta, en Indonésie, est à saturation. La capitale est également menacée par la montée des eaux. Une nouvelle ville nommée Nusantara sera construite à 2000 kilomètres de là, sur l'île de Bornéo, en pleine jungle.

Une image de synthèse montre le futur palais présidentiel indonésien, dans le cadre du transfert de la capitale de Jakarta vers l'île de Bornéo recouverte de jungle, dans la nouvelle ville nommée Nusantara. [AFP - Nyoman Nuarta]

>> Lire aussi : En Indonésie, le projet fou d’une nouvelle capitale à Bornéo

L'exemple le plus populaire de transfert de capitale se trouve au Brésil. En 1960, la ville de Brasilia devient la nouvelle capitale du pays, à la place de Rio de Janeiro. "Le Brésil a considéré que la ville de Rio, excentrée et située sur le littoral, n'était pas en mesure d'administrer la vie économique et sociale du pays. Depuis le début du 19e siècle, des propositions ont été faites pour transférer la capitale brésilienne vers l'intérieur", explique Laurent Vidal, historien spécialiste du Brésil. En 1956, le président Juscelino Kubitschek avait permis d'accélérer le déménagement en faisant de ce transfert l'objectif de son programme politique. Actuellement, Brasilia est l'une des plus grandes métropoles du pays, avec trois millions d'habitantes et d'habitants.

Brasilia et sa cathédrale emblématique à la tombée de la nuit, 14.04.2020. [AFP - Sergio Lima]

A l'instar du Brésil, de nombreux pays des continents américains devenus indépendants à la fin de la colonisation ont voulu effacer les stigmates du passé par un acte symbolique. "Ces pays se posaient tous la même question: quelle va être la ville qui va symboliser ce nouveau temps? Chacun a répondu à sa façon. La plupart ont souhaité changer de capitale, c'est le cas du Canada et des Etats-Unis par exemple, mais certains n'ont pas connu de transfert, comme en Argentine", indique Laurent Vidal.

Selon l'historien, une partie de la population n'a pas bien accueilli ces déménagements. Au Brésil, certaines personnes ne l'acceptent toujours pas, et le sujet fait encore régulièrement débat.

Emilien Verdon/iar

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