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L'armée russe pourrait-elle lancer une nouvelle offensive de grande ampleur pour s'emparer de Kiev?

Une femme marche dans une rue près de constructions antichars dans le centre de Kiev, le 7 décembre 2022. [reuters - Gleb Garanich]
Une femme marche dans une rue près de constructions antichars dans le centre de Kiev, le 7 décembre 2022. - [reuters - Gleb Garanich]
Ce sont les Ukrainiens qui l'affirment: Moscou prépare une offensive majeure et retentera, tôt ou tard, de prendre Kiev. Mais après dix mois d'une guerre qui ne cesse de s'enliser et alors que les troupes russes sont sur la défensive presque partout, la perspective est difficile à confirmer.

Dans un article de l'hebdomadaire britannique The Economist paru jeudi, le chef d'état-major ukrainien Valery Zaluzhny a estimé qu'une attaque majeure pourrait intervenir "en février, au mieux en mars et au pire fin janvier".

Les Russes pourraient selon lui viser le sud, le Donbass ou la capitale elle-même. "Je n'ai aucun doute qu'ils retenteront leur chance à Kiev", a assuré l'officier. Les raisons sont nombreuses d'en douter.

La situation sur le terrain au 18 décembre 2022. [War Mapper - RTS]
La situation sur le terrain au 18 décembre 2022. [War Mapper - RTS]

L'échec du mois de mars 2022

L'hypothèse se heurte d'abord aux leçons du passé. En attaquant l'Ukraine le 24 février, le Kremlin espérait voir le pouvoir ukrainien se déliter, son armée s'effondrer et le peuple l'accueillir en sauveur.

L'inverse s'est produit. Les forces ukrainiennes ont résisté, le peuple s'est soulevé et les Russes ont témoigné de faiblesses que nul n'imaginait: logistique défaillante, unités sans initiative, coordination militaire insuffisante, renseignement inefficace et incapacité à contrôler l'espace aérien.

>> Relire à ce propos : Tanks à l'arrêt, camions en panne sèche... les carences logistiques de l'armée russe, Après 20 jours de guerre, pourquoi l'armée russe n'a toujours pas le contrôle du ciel en Ukraine? et Des communications radio interceptées confirment les défaillances de l'armée russe

Une attaque sur Kiev au début 2023? "En théorie, c'est possible", indique l'analyste militaire russe indépendant Alexandre Khramtchikhine. "Clairement, cela devra être mieux réfléchi, sans cette idée insensée que tout se passera sans combattre, comme cela avait été le cas pour la Crimée en 2014".

Le piège des villes

Ces derniers mois, le rouleau compresseur russe s'est avéré efficace en associant bombardements intenses et progression lente des forces au sol. Le tout plutôt hors des agglomérations. "Prendre une ville sans la détruire est difficile, sauf en cas de décision de reddition, comme Paris en 1940", note Alexandre Khramtchikhine.

>> Les explications d'Alexandre Vautravers dans Forum :

Nouvelles frappes massives de la Russie en Ukraine
Nouvelles frappes massives de la Russie en Ukraine / Forum / 4 min. / le 16 décembre 2022

"Toutes celles qui ont été prises en Ukraine par un camp l'ont été par surprise [...] ou après un encerclement ou une menace d'encerclement", confirme Michel Goya, ex-colonel de l'armée française et historien de la guerre. "Aucune grande ville n'a pu être saisie alors qu'elle était reliée à son camp et que le défenseur pouvait toujours ravitailler et relever ses forces".

Le siège de Marioupol (sud-est), entre février et la fin mai, a réduit la ville en poussière. Un assaut sur Kiev serait plus long et plus difficile encore, avec un enjeu stratégique fondamental.

>> Revoir le reportage du 12h45 sur le siège de Marioupol au mois de mai :

La Russie s'apprête à célébrer la capture totale de Marioupol.
La Russie s'apprête à célébrer la capture totale de Marioupol. / 12h45 / 1 min. / le 6 mai 2022

La mobilisation russe

Certains analystes occidentaux soulignent que l'armée russe peut gagner en efficacité avec la nomination au début octobre du général Sergueï Sourovikine comme commandant des opérations russes en Ukraine.

Il "travaille à l'unification de l'armée" et "prépare presque certainement des plans de bataille ciblés, à la différence des assauts passés qui avaient dispersé les troupes russes", écrit l'ex-général australien Mick Ryan sur le site Foreign Policy.

Moscou a compensé ses lourdes pertes par une vaste mobilisation, mais pour remplacer des unités d'élite décimées par des conscrits formés à la hâte. Le moral russe est très bas, insiste l'Australien. Mais le général Sourovikine "va commencer à préparer ses troupes pour de nouvelles opérations".

>> Revoir le portrait de Sergueï Sourovikine dans le 19h30 :

Le général Sergueï Sourovikine, commandant des forces russes en Ukraine, s'est fait connaître par sa brutalité en Syrie
Le général Sergueï Sourovikine, commandant des forces russes en Ukraine, s'est fait connaître par sa brutalité en Syrie / 19h30 / 2 min. / le 12 octobre 2022

Les options de Moscou

La stratégie du président russe Vladimir Poutine n'a cessé de surprendre tout le monde et rien n'est à exclure. Mais Washington reste circonspect sur la possibilité d'une vaste opération russe pendant un hiver qui met les organismes et les machines à rude épreuve, mais qui simultanément gèle les sols et permet aux chars de progresser. "Nous ne voyons aucune indication d'un mouvement imminent sur Kiev", a déclaré un porte-parole de la Maison-Blanche, John Kirby.

>> Réécouter le reportage de La Matinale sur le rôle de l'hiver dans la guerre en Ukraine :

Avec la fin de l'automne, la gadoue fait son retour en Ukraine. [AFP - Dimitar Dilkoff]AFP - Dimitar Dilkoff
En Ukraine, l'hiver pourrait changer les règles de la guerre / La Matinale / 2 min. / le 3 novembre 2022

"Je ne veux pas spéculer sur de potentielles opérations futures", relevait pour sa part le porte-parole du Pentagone, le général Pat Ryder, notant pour autant que "le champ de bataille est dynamique".

Peu avant les déclarations des Ukrainiens, l'expert américain Michael Kofman jugeait "plutôt improbable" que les Russes puissent "retrouver un potentiel offensif après février". Selon lui, "ils utilisent bien plus de munitions qu'ils n'en produisent". Mais ils peuvent en revanche "consolider les lignes défensives".

>> Relire également : Après avoir repris plus de 50% du territoire perdu en février, le plus dur reste à faire pour l'Ukraine

Le jeu de Kiev

En dépit d'une aide occidentale militaire et financière massive, le président ukrainien Volodymyr Zelensky n'a d'autres options que de demander plus. Moscou parie sur la durée et un affaiblissement de l'aide, notamment face à la fatigue des opinions publiques devant l'inflation et la crise énergétique.

"Les Ukrainiens hurlent - et ont raison de le faire - qu'il faut continuer à les aider", analyse l'amiral à la retraite Pascal Ausseur, directeur de la fondation méditerranéenne d'études stratégiques (FMES). L'Ukraine rappelle qu'elle peut "encore tout perdre", ajoute-t-il.

L'expert suggère qu'elle pourrait aussi faire diversion en préparant une attaque, dans le sud du pays notamment. "La phase offensive de l'hiver commence maintenant. Qui a intérêt à se lancer dans une aventure aujourd'hui? Ce ne sont pas les Russes".

ther avec l'ats

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