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Les Chinois déboussolés face à la fin abrupte du "zéro-Covid"

La Chine allège ses règles anti-Covid. [AP Photo - Ng Han Guan]
Le renoncement abrupt à la stratégie zéro-Covid déboussole certains Chinois / Tout un monde / 7 min. / le 14 décembre 2022
Pékin a enfoncé le dernier clou dans le cercueil du "zéro-Covid". Les autorités ont aboli cette semaine l'application de traçage nationale installée d'office sur tous les téléphones portables pour suivre les déplacements de chacun et déterminer les zones à risques. La décision s'inscrit dans le cadre d'un assouplissement général de la politique sanitaire draconienne du gouvernement.

Fini l'internement en centres de quarantaine, fini la corvée du test PCR quasi-quotidien dans de nombreuses mégapoles chinoises, fini le traçage systématique des moindres déplacements. Les restrictions draconiennes tombent une à une en Chine. Fermées à double tour depuis bientôt trois ans, les frontières nationales pourraient rouvrir en début d'année prochaine avec une levée des quarantaines obligatoires pour les voyageurs venus de l'étranger.

Peu de monde aurait parié sur une telle évolution il y a quelques semaines à peine. Les médias d'Etat, les autorités, Xi Jinping lui-même martelaient encore les bienfaits de la stratégie "zéro-Covid" dans le sillage du 20e congrès du Parti communiste en octobre dernier. Rien ne laissait présager le changement de politique annoncé dans l'urgence le 7 décembre 2022 par les autorités sanitaires.

Précipité par une situation économique de plus en plus morose, l'assouplissement spectaculaire est surtout le fruit d'un constat d'échec. Les autorités de plusieurs localités – dont Guangzhou, Chengdu, Chongqing et Pékin – se débattaient depuis l'automne avec le coriace et hautement contagieux variant Omicron. Malgré un redoublement des confinements et des diverses mesures restrictives comprises dans la panoplie du "zéro-Covid", les cas ont continué d'exploser.

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Après plus de deux ans de politique zéro Covid, la Chine renonce aux tests et à l'isolement obligatoires.
Après plus de deux ans de politique zéro Covid, la Chine renonce aux tests et à l'isolement obligatoires. / 19h30 / 2 min. / le 13 décembre 2022

Le mécontentement généralisé a joué un rôle

Cerise sur le gâteau, une autre éruption, populaire celle-là, s'est mise à secouer le pays du nord au sud. De quel poids ont pesé ces manifestations dans la décision de desserrer le carcan sanitaire? Difficile à évaluer. Si le mécontentement généralisé a bel et bien joué un rôle dans la levée des mesures, le gouvernement central sentait se rapprocher le point de rupture. "Les autorités chinoises ont dû réaliser qu'elles ne pourraient plus freiner la propagation du SARS-CoV-2 dans sa variante la plus contagieuse", a déclaré mercredi un haut représentant de l'OMS lors d'une conférence de presse.

Répondant à une question de nos confrères du Temps, Michael Ryan, responsable du programme des urgences à l'Organisation mondiale de la santé, a exclu tout lien entre l'explosion du nombre de cas de Covid-19 en Chine et l'assouplissement de la politique "zéro-Covid", soulignant une tendance préexistante.

L'explosion des infections au lendemain de la fin officielle du régime sanitaire a surpris. Depuis une semaine, Pékin voit déferler sur ses 22 millions d'habitants une vague sans précédent. Le centre de la capitale est quasi-désert. Malades ou inquiets, les Pékinois se terrent chez eux.

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Aujourd'hui, les Chinois se soignent chez eux

Les stocks des pharmacies sont vides, beaucoup s'étant rués sur les médicaments et les autotests. Les autorités tentent de prévenir l'apparition de marchés noirs en ligne. Devant les hôpitaux, les files d'attente s'allongent. Médecins et infirmières en congé ont été rappelés au travail. Même les membres du personnel soignant atteints du Covid ont été priés de rejoindre leurs équipes. Un retournement de situation kafkaïen: il y a deux semaines à peine, ne pas détenir un test PCR de moins de 48 heures risquait de valoir aux potentiels patients un refus d'accéder aux urgences.

Comme des millions de Chinois, Yingyu, 20 ans, s'est récemment réveillée enrouée et fiévreuse. Elle a vu apparaître incrédule deux barres sur son autotest. Jamais encore, elle n'avait eu de proches atteints par le virus. Elle reconnaît toutefois une chance dans son malheur: "Au moins, j'ai pu rester chez moi. Il y a deux semaines, si vous étiez positif, on vous envoyait dans des camps d'isolement. Les mesures étaient alors tellement strictes. (...) J'ai vraiment beaucoup de chance d'être malade maintenant."

Yingyu commence tout juste à se remettre. Sa fièvre a disparu. L'épreuve aura duré à peine trois jours. Dans la tête de la jeune femme, les questions se bousculent: Omicron circule en Chine depuis le début de l'année. Les autorités n'auraient-elles pas pu rouvrir plus vite? Pourquoi avoir tant attendu? "Si toutes les méthodes mènent au même résultat, pourquoi avoir fait un si grand détour? Ils ont tenté d'atteindre le "zéro-Covid" à coups de quarantaines à répétition avant de se rendre compte qu'il était tout simplement impossible d'isoler et d'enrayer le virus complètement."

>> Sur cette thématique écouter aussi le sujet du 12h30 :

Flambées des cas covid en Chine alors que le pays abandonne ses mesures sanitaires. [AP/Keystone - Dake Kang]AP/Keystone - Dake Kang
Chine, assouplissement des mesures anti-Covid et flambée des cas dans une population démunie / Le 12h30 / 1 min. / le 14 décembre 2022

Une partie de la population est déboussolée

D'autres sont plutôt déboussolés, voire angoissés par l'avalanche de cas positifs. Médusés face au chaos, beaucoup s'interrogent sur la stratégie du gouvernement. "Les gens ordinaires ne vous diront rien," lance un vieil homme assis sur un banc dans un parc de Shanghai. "On ne peut pas s'exprimer, c'est comme ça dans ce pays. Mais la fin de la politique sanitaire, on n'y comprend rien. On a été enfermé si longtemps."

Adeptes de Tai-Chi, de Mahjong, de jeux de cartes ou d'autres activités de plein air, les aînés ont déserté les parcs, lieux de socialisation par excellence. Les quelques frêles silhouettes de sortie ont remplacé leurs fins masques chirurgicaux par d'épais FFP2. M. Zhu, 77 ans, brave le froid et le virus pour sortir son chien: "C'est tellement brusque! On a fait un virage à 180 degrés. Maintenant, on nous dit: 'c'est bon, on peut rouvrir, tout est sous contrôle…' Mais qu'est-ce qu'on va faire de tous les malades ?"

Pendant trois ans, la propagande du Parti communiste a mis l'emphase sur le caractère dangereux et mortel du SARS-CoV-2. Les médias d'Etat n'ont cessé de souligner le million de morts du Covid aux Etats-Unis, autant de victimes d'un gouvernement dépeint comme sacrifiant la santé et le bien-être de ses habitants sur l'autel de l'économie. "Le variant Omicron est beaucoup moins pathogène et virulent que les variants précédents. Il occasionne moins de décès", se sont récemment mis à articuler les mêmes médias chinois. La population aura eu peu de temps pour intégrer ces propos rassurants.

La prochaine vague déjà qualifiée de tsunami

Un haut responsable chinois a récemment estimé qu'un Chinois sur six pourrait contracter le Covid au cours de cette première vague: un tsunami. Un tel scénario pourrait engendrer de nombreux décès, met en garde Jin Dongyan, qui craint que les autorités ne soient prises de vitesse dans leur campagne de vaccination des aînés. "Ils pourraient recourir aux centres de quarantaine construits dans le cadre du "zéro-Covid" et les convertir en centres de quarantaine inversés. C'est-à-dire en structures d'internement des personnes âgées non-atteintes par le Covid, mais qui nécessitent une protection particulière. Cette solution devrait aussi être envisagée."

Le pouvoir, lui, retient son souffle. Certaines modélisations font état d'un à deux millions de morts au cours de cette première vague d'infections. Des estimations incorrectes, espèrent les autorités qui comptent sur une majorité de cas légers et la relance de l'économie pour faire passer la pilule. Un pari risqué et contraint.

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Michael Peuker/miro

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La peur de voir le système hospitalier s'écrouler

Les plus vulnérables sont particulièrement inquiets. Et pour cause: la couverture vaccinale de la population âgée reste largement insuffisante à l'échelle nationale. Mi-novembre, seuls 45% des plus de 80 ans avaient reçu une troisième dose d'un des vaccins nationaux, nécessaire pour assurer une protection satisfaisante. "J'ai 70 ans, j'ai un cancer du sein. Mon mari est, lui aussi, malade d'un cancer. Comme nous sommes malades tous les deux, nous ne pouvons pas nous faire vacciner", affirme Mme Wu, qui précise: "c'est mon médecin qui m'interdit de me faire vacciner". Protégées par la muraille sanitaire, les autorités chinoises n'ont jusqu'à présent jamais mis l'accent sur l'immunisation des plus faibles, focalisant leurs efforts sur les forces vives du pays.

Déterminé à remédier au problème, Pékin a annoncé au début du mois une ambitieuse campagne de vaccination. Quelque 90 à 95% des plus de 60 ans devraient être totalement vaccinés d'ici fin janvier, selon le quotidien économique chinois Caixin. Une échéance que le pouvoir n'a pas attendue pour décréter la fin du zéro-Covid. Une précipitation source d'inquiétude pour de nombreux experts. Jin Dongyuan est épidémiologiste à l'Université de Hong Kong. Il dénonce une stratégie irréfléchie et dangereuse: "Il faut un minimum de préparation. Il faut continuer de recourir à certaines mesures de contrôle pour échelonner les infections. Si une vague déferle à l'échelle nationale et touche environs 60% de la population, le système hospitalier pourrait s'écrouler."

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