Bolsonaro ou Lula, le Brésil élit son nouveau président

Grand Format

AP/Keystone - Eraldo Peres

Introduction

Dimanche, les Brésiliens et Brésiliennes se rendent aux urnes pour élire le successeur du très controversé président Jair Bolsonaro. L'ancien président de gauche Lula da Silva est donné gagnant dans les sondages face au chef d'Etat sortant, au terme d'une campagne violente et ultra-polarisée. Immersion dans un pays très touché par la pandémie de Covid-19 et qui se trouve face à d'importants défis sociaux, économiques et environnementaux.

Chapitre 1
Un choix de société

AFP - Ivan Pacheco

Ce dimanche 2 octobre, 156 millions de Brésiliens et Brésiliennes se rendent aux urnes pour élire un nouveau président, avec la probabilité d'un second tour le 30 octobre. Le scrutin devra départager les deux candidats principaux, l'ex-président Luiz Inacio Lula da Silva, leader de la gauche donné favori, et le président sortant Jair Bolsonaro, au mandat controversé notamment pour sa gestion de la pandémie de Covid-19.

Au cours d'une campagne tendue et polarisée à l'extrême, les deux candidats ont présenté deux visions de la société radicalement différentes. Alors que Jair Bolsonaro dit défendre Dieu, la liberté, lutter contre la criminalité et l’idéologie communiste, Lula de son côté invoque le souvenir de ses deux précédents mandats (2003-2011), associés par une partie de la population à une période de prospérité, et place les questions sociales et la défense de l'Amazonie au centre de son programme . Il est très attendu par une partie des Brésiliens pour résoudre le problème de la pauvreté et de la faim, dans une économie fortement affectée par la pandémie et par l’inflation qui a encore augmenté depuis la guerre en Ukraine.

Luiz Inacio Lula da Silva et Jair Bolsonaro. [AP/Keystone]
Luiz Inacio Lula da Silva et Jair Bolsonaro. [AP/Keystone]

De son côté, le président Bolsonaro a mis fin à de nombreux programmes sociaux. Hormis une réforme des retraites et des privatisations, son bilan économique déçoit une partie des poids-lourds du patronat qui avaient voté pour lui il y a quatre ans. Ce mécontentement pourrait profiter à son rival Lula, qui a choisi comme colistier Geraldo Alckmin, politicien de centre-droit, dans l'espoir de récupérer une partie des voix à droite.

Lula "voleur" et Bolsonaro "tonton relou"

Côté image, le libéral Jair Bolsonaro, arrivé en politique après une carrière militaire, revendique celle d’un homme proche du peuple qui, avec un langage volontiers cru, représente "tout sauf ces élites de gauche", comme le dit l'un de ses militants rencontrés à Salvador de Bahia. "Il est ce tonton qui fait des grillades, qui nous gêne parfois avec ses blagues sexistes, mais qui nous comprend", décrit-il.

Face à lui, le socialiste Lula, ex-ouvrier métallurgiste et syndicaliste, peine à se départir de l'image de "Lula corrompu, Lula voleur", instrumentalisée par la droite et relayée par les médias. Cette image, conséquence de l’enquête Lava Jato - vaste opération anti-corruption au cours de laquelle Lula avait été condamné pour avoir perçu des pots-de-vin en lien avec l'affaire Petrobras, puis blanchi pour vice de procédure - dissuade aujourd'hui une partie de la classe populaire de voter pour l'ancien président tentant son come-back.

>> L'éclairage sur les enjeux des élections dans Tout un monde :

Le Brésil est en campagne pour les élections présidentielles du 2 octobre. [Keystone/AP Photo - Rodrigo Abd]Keystone/AP Photo - Rodrigo Abd
Tout un monde - Publié le 14 septembre 2022

La question de la représentativité des jeunes se pose également, alors que Jair Bolsonaro affiche 67 ans et Luiz Inacio Lula da Silva 76. Le premier est très présent sur les réseaux sociaux - Facebook, Twitter, Instagram et surtout Whatsapp, où il touche les plus jeunes - et où la machine de la désinformation, chez lui et d'autres candidats, marche à plein régime. Son rival Lula n'est pas en reste, avec un focus sur les réseaux sociaux sur les 16-18 ans, qui peuvent déjà voter au Brésil.

Un jeune homme de gauche, actif dans la culture, a confié à la RTS qu'il regrettait que le débat se résume à ces deux candidats, alors qu’il y a une relève, des personnalités intéressantes même parmi les autres candidats. "Mais il nous fait faire bloc, pour contrer Bolsonaro", a-t-il souligné. L'ancien président Lula, qui a terminé son deuxième mandat en 2011 avec une cote de popularité sans précédent, reste un mastodonte de la politique.

Attendu pour redresser la barre

Pauvreté, environnement, éducation: Lula est vu par certains comme celui qui pourra redresser la barre dans tous les domaines où l'urgence est la plus grande, même si les circonstances sont très différentes.

"Pour ne pas souffrir de la faim, j’ai besoin que mon fils puisse recevoir une formation", témoigne une mère rencontrée dans une favela: elle se souvient que Lula a beaucoup aidé pour l’émancipation des personnes pauvres et noires. "Il y a urgence", alerte pour sa part une professeure d’université: Jair Bolsonaro a stoppé des financements pour la recherche, un désastre selon elle dans le secteur de l’éducation.

Parmi la population, la crainte existe d'un potentiel coup d'Etat si Jair Bolsonaro ne reconnaît pas les résultats du scrutin. Une instabilité qui peut être provoquée par n’importe quel camp, répliquent les pro-Bolsonaro. Une partie de l’armée soutient le président sortant, qui l'a choyée. Mais ces dernières semaines, certains militaires ont pris leur distance et désapprouvé le discours aux accents putschistes de Jair Bolsonaro.

>> Les précisions dans l'éclairage du 19h30 :

Les Brésiliens s’apprêtent à se rendre aux urnes ce dimanche pour le 1er tour de l’élection présidentielle
19h30 - Publié le 29 septembre 2022

Chapitre 2
Faire face à la pauvreté et la faim

EPA/Keystone - Fernando Bizerra

Le scrutin de la présidentielle brésilienne se tient dans un contexte de crise économique et de hausse de la pauvreté, dans un pays où 33 millions de personnes souffrent de la faim et plus de la moitié de la population vit une situation d’insécurité alimentaire.

Dans une favela de l'ouest de Salvador, l'association CUFA (la Centrale Unique des Favelas) distribue des bonbonnes de gaz aux habitants les plus nécessiteux.

Une femme et son enfant dans les locaux de l'association CUFA, la Centrale Unique des Favelas, dans un quartier de l'ouest de Salvador. [RTS - Isabelle Cornaz]
Une femme et son enfant dans les locaux de l'association CUFA, la Centrale Unique des Favelas, dans un quartier de l'ouest de Salvador. [RTS - Isabelle Cornaz]

Zilma, quarante ans, a perdu son mari, décédé du cancer pendant la pandémie. "J’ai pu avoir de quoi manger grâce à ma famille, aux paniers de première nécessité qu’on nous distribue ici. Mais c’était difficile parfois de se retrouver sans gaz, de devoir cuisiner à l’alcool ou choisir entre le repas du midi et celui du soir", témoigne-t-elle.

C'est que les prix ont grimpé, explique Marcio Lima, président de la CUFA de l’Etat de Bahia. "Avant, le litre de lait coûtait entre 70 et 90 centimes. Aujourd’hui, c’est le double. Quelqu’un qui gagne un salaire minimum ne parvient pas à acheter les produits de base. Avant, c’était surtout des femmes âgées qui venaient ici. Mais beaucoup de jeunes ont perdu leur travail et ont besoin aussi de cette aide alimentaire, des mères de famille célibataires aussi. C’est préoccupant de voir des gens de ma génération, dans la force de l’âge, qui souffrent de la faim, je n’avais jamais vu ça."

Impact de la guerre en Ukraine

Ces paniers sont financés par des grandes entreprises ou des particuliers, mais les dons sont en chute libre cette année. "Les dons ont diminué à cause de la guerre en Ukraine, vers laquelle l’attention s’est tournée. Avant, il y avait de nombreuses campagnes dans les médias sur le thème de l’insécurité alimentaire au Brésil. Quand la guerre a commencé, le problème de la faim s’est retrouvé au second plan", indique Marcio Lima.

Habitante des hauteurs de la favela, Margarida a parfois dû aller ramasser des crustacés sur la plage pour se nourrir ou pour les vendre. "Quand il pleut, j’ai toujours peur que ma maison s’écroule", raconte-t-elle. "Mais je n’ai pas les moyens de la réparer. Ou je mange ou je fais les travaux. Mon candidat, c’est Lula, que j’ai toujours aimé. Et j’espère qu’avec lui, je vais pouvoir réparer ma maison."

>> L'éclairage dans La Matinale sur la pauvreté au Brésil :

De jeunes résidents d'un squat dans l'ancien Institut brésilien de géographie et statistiques à Rio de Janeiro, le 9 septembre 2017. [AP/Keystone - Felipe Dana]AP/Keystone - Felipe Dana
La Matinale - Publié le 20 septembre 2022

"La pauvreté est un grand défi pour n’importe quel président. Lula a souffert de la faim, il sait ce qu’est la pauvreté. Donc les gens, notamment les pauvres du Nordeste, se reconnaissent beaucoup en lui", indique Marcio Lima.

Plusieurs facteurs expliquent cette hausse de la pauvreté. Alors que le Brésil s'était enfoncé dans la récession en 2016 déjà, la pandémie de Covid-19 a encore péjoré l'économie et renforcé la précarité existante. A cela s'ajoute le démantèlement des politiques publiques par le gouvernement Bolsonaro.

Recours aux microcrédits

Dans le quartier populaire d'Urugay, à Salvador, une banque communautaire offre des microcrédits aux habitants, en monnaie locale, pour que cet argent circule au sein de la communauté.

"Une des premières choses que Bolsonaro a faites quand il a pris ses fonctions, ça a été d’en finir avec le Secrétariat national pour l’Économie solidaire", raconte Carlos Eduardo Barbosa, coordinateur de la banque. "Il avait été créé sous Lula pour appuyer l’Économie solidaire dans tout le pays. Nous avons bénéficié en 2016 de la dernière subvention." Depuis, les établissements de ce type comptent sur le soutien des régions.

Deux militants pro-Bolsonaro, dont Luis Tourinho (à gauche), candidat au Parlement fédéral brésilien. [RTS - Isabelle Cornaz]
Luis Tourinho (à g.) et Iago De Carvalho (à dr.), militants pro-Bolsonaro et candidats libéraux aux élections fédérales. [RTS - Isabelle Cornaz]

Parmi les électeurs pauvres, certains soutiendront néanmoins Bolsonaro. Même si Lula a été libéré de prison, nombreux sont ceux qui associent le parti des travailleurs à la corruption. "Je veux que Bolsonaro soit réélu pour qu’il continue sa lutte contre la corruption", explique un jeune portier. "J’ai voté longtemps pour le gouvernement précédent, le parti des travailleurs, mais ils sont très corrompus. La situation économique va s’améliorer progressivement. On a souffert de tout cet argent détourné", estime-t-il.

Luis Tourinho, militant du parti de Bolsonaro et candidat au Parlement fédéral, abonde. "Certes, il y a de la pauvreté, mais dire qu’il y a des gens qui n’ont pas de quoi se nourrir, c’est une exagération de l’opposition. Et avec le combat de notre gouvernement contre l’inflation, pour la hausse des revenus, on peut espérer un futur meilleur", avance-t-il.

A la veille des élections, Jair Bolsonaro a augmenté les allocations pour les plus démunis dans l’espoir d’attirer davantage d’électeurs et électrices des milieux populaires.

Chapitre 3
Le racisme, grand absent du débat électoral

AP/Keystone - Leo Correa

La question du racisme est la grande absente du débat électoral au Brésil. Les militants de la cause noire tirent pourtant un constat très sombre du mandat de Jair Bolsonaro, marqué notamment par la hausse des violences policières, avec la population noire comme première victime. Une législature marquée aussi par les dérapages racistes du président sortant, ce qui n’empêche pas une partie des afro-descendants de le soutenir.

Selon des observateurs, le succès du bolsonarisme auprès d'une partie de l'électorat noir s'explique en partie par son habileté à exploiter les divisions dans la société, à séduire par exemple un électeur noir misogyne, ou très conservateur qui, pour cette raison, votera Bolsonaro.

Le président Bolsonaro avec une drapeau contre l'avortement et la légalisation des drogues. [EPA/Keystone - Joedson Alves]
Le président Bolsonaro avec une drapeau contre l'avortement et la légalisation des drogues. [EPA/Keystone - Joedson Alves]

Le Brésil a également développé l’image d’une démocratie raciale, un pays métis aux relations interraciales harmonieuses. Mais pour les militants de la cause noire, cette vision d’une cohabitation pacifiée, transmise de génération en génération, est un mythe qui passe sous silence le racisme structurel et ne favorise pas la mobilisation de la communauté noire, notamment au moment des élections.

Nombre record de candidats noirs

Cette année, un nombre record de candidats noirs et métis se présentent aux élections - le 2 octobre, les Brésiliens et Brésiliennes élisent non seulement leur président, mais également les députés fédéraux et régionaux ainsi que les gouverneurs.

Cela s'explique par des quotas pour faciliter l’accès des Noirs - et des femmes également d'ailleurs - à la politique. Les partis qui présentent des candidats dans ces catégories reçoivent un financement plus important de l’État - avec le risque que certains partis le fassent par opportunisme, pour toucher plus de fonds. Reste à voir aussi combien de ces candidats seront élus.

Salvador, dans l'Etat de Bahia au nord du Brésil, est l'une des villes les plus noires du continent américain, où près de 80% de la population se considère comme noire ou métisse. Le 7 septembre, jour de la fête nationale, un rassemblement pro-Bolsonaro a lieu devant le phare de Barra, au bord de la mer. Dans la foule de drapeaux jaunes et verts, Mayra, une femme noire de 37 ans, défend "son" candidat.

Le "regard colonial" en politique

Le jour de la fête nationale brésilienne, une manifestation pro-Bolsonaro à Salvador. [RTS - Jean-Claude Gerez]
Le jour de la fête nationale brésilienne, une manifestation pro-Bolsonaro à Salvador. [RTS - Jean-Claude Gerez]

"Non, Bolsonaro n’est pas raciste. Il a des amis noirs aussi. Il est déjà venu ici, à Bahia, qui est l’État qui compte le plus des Noirs et il a été très bien accueilli. Il n’y a pas de racisme dans le gouvernement Bolsonaro, bien au contraire", estime-t-elle. "Comme il le dit lui-même, en tant que président, il agit comme un daltonien. Nous avons tous la même couleur de peau. Nous sommes une seule race, la race humaine. C’est la gauche qui fait de la ségrégation, comme toujours", blâme-t-elle.

Son discours est similaire à celui de proches de Bolsonaro, comme Sergio de Carmargo, un Afro-descendant nommé par le président à la tête de la fondation Palmares, célèbre organisation de défense des droits des Noirs. Sergio de Carmargo a tenu des propos très controversés, minimisant le racisme ou les conséquences de l’esclavage

De quoi choquer Eldon Neves, militant de la cause noire et membre du mouvement Unegro. "Sergio de Carmargo a commencé à démanteler cette fondation, détruisant plusieurs documents, proférant des insultes, tentant de dévaloriser les religions afro-descendantes, qui sont l’un des piliers de notre communauté", dénonce-t-il.

Eldon Neves, militant de la cause noire au Brésil. [RTS - Isabelle Cornaz]
Eldon Neves, militant de la cause noire au Brésil. [RTS - Isabelle Cornaz]

Pour lui, les mesures pour encourager la participation des Noirs en politique sont insuffisantes. "L’existence de ces quotas ne garantit pas toujours une mobilisation populaire", observe-t-il. "Parfois, l’électeur noir ne voit pas dans cet autre Noir, dans ce candidat, quelqu’un qui pourrait être son député, une référence. On a encore un regard colonial en politique. Rendez-vous compte, à Salvador, il n’y a eu qu’un seul maire noir, et il n’a même pas été élu, parce que c’était pendant la dictature. Ceci, alors que nous sommes la ville la plus noire du Brésil!"

Invisibilité symbolique

Fondée en 1549, Salvador a été l’un des premiers marchés d’esclaves du Nouveau Monde. L'historienne Luciana Cruz de Brito a créé un projet avec d’autres chercheurs pour questionner les traces de cette histoire dans la ville.

L'historienne Luciana Cruz de Brito devant la statue de Zumbi dos Palmares. [RTS - Isabelle Cornaz]
L'historienne Luciana Cruz de Brito devant la statue de Zumbi dos Palmares. [RTS - Isabelle Cornaz]

Devant l’une des rares statues à Salvador d’un homme qui a lutté contre l’esclavage, Zumbi dos Palmares, elle explique: "Nous avons commencé à répertorier tous les monuments à la gloire des propriétaires et trafiquants d’esclaves, et aussi les rares statues qui célèbrent des personnalités noires, comme celle-ci qui est probablement la seule d’un héros noir que l’on trouve au centre-ville."

La chercheuse déplore le fait que la question du racisme soit absente du débat électoral - alors même que plus de la moitié de la population brésilienne est noire ou métisse.

"De la droite à la gauche, aucun des principaux candidats n’en parle. Durant le dernier débat télévisé, aucun ne s’est engagé en faveur de politiques pour combattre l’inégalité raciale. Nous avons pourtant de sérieux problèmes, en particulier la pandémie: les Noirs sont ceux qui ont eu le moins accès au système de santé. On a le même genre de problèmes qu’aux Etats-Unis: on a constaté une hausse des violences policières, mais on ne parle pas de l’aspect racial de cette violence. D’un autre côté, durant la campagne de l’extrême-droite, on a vu une célébration de l’image du Blanc, du mâle, du patriarche. Et on constate que le nombre de groupes néonazis et suprémacistes a triplé", note-t-elle.

Droits civiques ou privilèges?

La comparaison avec les Etats-Unis, et notamment les mobilisations du mouvement Black Lives Matter, a pourtant ses limites, souligne Luciana Cruz de Brito. "Aux Etats-Unis, l’idée des droits civiques est bien ancrée. Si vous les niez, c’est une manière de nier la nation. Au Brésil en revanche, je pense qu’on ne comprend pas l’idée de droits civiques, mais l’idée de privilèges. Ce pays a vécu la dictature militaire, donc si on filme un policier en action ici au Brésil, il va nous battre, détruire notre téléphone, et nous serons arrêtés. Et les médias aussi, d’une certaine manière, refusent d’accepter à quel point le racisme est violent et structurel au Brésil. Après chaque épisode de violence policière, si vous allez dans les quartiers concernés, vous verrez des protestations, partout à travers le pays, surtout des femmes, qui à l’entrée de la communauté défient la police. Des mères, des sœurs, des épouses, des voisins qui protestent. Mais les médias en général ne couvrent pas ces manifestations."

"Black lives matter" dit en portugais cette pancarte lors d'une manifestation contre les violences policières au Brésil. [Keystone - Silvia Izquierdo]
"Black lives matter" dit en portugais cette pancarte lors d'une manifestation contre les violences policières au Brésil. [Keystone - Silvia Izquierdo]

L’année du meurtre de George Floyd aux Etats-Unis, l’ex-président Lula avait eu ces mots."Je n’arrête pas de me demander: combien de George Floyd avons-nous au Brésil, combien de Brésiliens ont perdu la vie pour le fait de ne pas être Blanc?"

Parmi les membres du Parti libéral de Jair Bolsonaro, le point de vue sur les violences policières est tout autre. "Dans les quartiers périphériques, où les populations sont majoritairement noires et pauvres, le grand responsable de la violence, c'est le crime organisé, qui attire les jeunes, les pousse vers le trafic de drogue, les entraîne dans une guerre des gangs", soutient Iago De Carvalho, candidat libéral au Parlement de l’État de Bahia. "Et bien sûr, la police réagit, ce qui malheureusement provoque des morts. Mais les partis politiques, les universitaires, ne parlent pas de la cause des violences policières, c’est-à-dire du trafic de drogues. Ils veulent faire porter le chapeau à la police. Leur discours est trompeur, mal intentionné", estime-t-il.

>> Le sujet de Tout un monde sur la question raciale dans les élections brésiliennes :

Une manifestation de femmes noires contre le racisme et les inégalités sociales à Rio de Janeiro, le 31 juillet 2022. [AP/Keystone - Bruna Prado]AP/Keystone - Bruna Prado
Tout un monde - Publié le 23 septembre 2022

Le racisme au Brésil se manifeste également à travers les cas d’intolérance religieuse. Les personnes pratiquant des religions afro-brésiliennes sont peu nombreuses, mais sont fréquemment la cible d’attaques, notamment de la part des églises évangéliques.

Rencontrée dans un lieu de culte du candomblé, l’une des religions afro-brésiliennes, la prêtresse Mameto Kamurici explique que pendant longtemps l’Église catholique se rendait dans les prisons pour visiter les détenus et les convertir.

Mameto Kamurici, prêtresse candomblé. [RTS - Isabelle Cornaz]
Mameto Kamurici, prêtresse candomblé. [RTS - Isabelle Cornaz]

"Aujourd’hui, ce sont les évangéliques qui y vont pour 'sauver' les personnes qui ont commis des crimes. Tous les détenus ont besoin d’un soutien spirituel et je crois que, grâce à cela, ils peuvent changer. Sauf que dans ce cas, l’objectif est différent. Le but de ceux qui se font appeler 'pasteurs', c’est de conditionner les détenus, et quand ces derniers sortent de prison, ils sont très agressifs à l’égard des autres religions. À Rio, c’est très marquant. On y voit des 'soldats de Jésus' envahir littéralement les prisons et faire cette évangélisation agressive", raconte-t-elle.

"Eux peuvent entrer dans les prisons, mais pas nous", déplore la prêtresse. "Même pas pour accompagner les détenus qui pratiquent notre religion. Il y a pourtant une loi qui nous y autorise, mais c’est toujours très difficile"."

Un geste en dit long: le président Bolsonaro, lorsqu’il a pris ses fonctions, a fait décrocher des salons du palais présidentiel un tableau représentant des divinités de la religion candomblé.

Chapitre 4
L'Amazonie, enjeu majeur de l'élection

EPA/Keystone - Marcela Sayao

Les questions environnementales, et notamment la déforestation de l'Amazonie, représentent un enjeu majeur de la présidentielle. Le bilan de Jair Bolsonaro est jugé désastreux par les écologistes: sous son mandat, la déforestation annuelle en Amazonie a augmenté en moyenne de 75% par rapport à la décennie précédente.

Jair Bolsonaro, dont le père a été orpailleur en Amazonie dans les années 80, s'est toujours montré favorable aux activités agricoles ou minières au détriment de la forêt, y compris dans des zones protégées comme les réserves indigènes.

L'an dernier, le budget consacré aux organes publics de préservation de l'environnement a été divisé par trois par rapport à 2014, année où il était le plus élevé, sous la présidence de Dilma Rousseff, dauphine de Lula, selon une étude menée par l'Université fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ).

Des incendies de forêt en Amazonie, en août 2019. [AP/Keystone - Leo Correa]
Des incendies de forêt en Amazonie, en août 2019. [AP/Keystone - Leo Correa]

Selon une étude récente, l'Amazonie brésilienne est déjà passée de "puits de carbone" à source de CO2, relâchant sur la dernière décennie 20% de plus de ce puissant gaz à effet de serre qu'elle n'en a absorbé. Et ces émissions provenant d'Amazonie ont doublé lors des deux premières années du gouvernement Bolsonaro.

Les promesses de Lula

Lula a également essuyé son lot de critiques quand il était président, notamment pour sa décision de construire l'énorme centrale hydro-électrique de Belo Monte, dans l'Etat amazonien du Para.

Sa première année de mandat, en 2003, a été la deuxième la pire jamais enregistrée en termes de déforestation de l'Amazonie, avec 27'772 km2 déboisés, deux fois plus que les 13'038 km2 sous Bolsonaro en 2021. Mais son gouvernement est ensuite parvenu à réduire progressivement cette déforestation à des niveaux historiquement bas: en 2010, quand il a quitté le pouvoir, elle était quatre fois moins élevée qu'en 2003.

Lula a promis durant sa campagne d'aller "encore plus loin" que les engagements pris par le Brésil pour réduire ses émissions lors de l'Accord de Paris sur le climat, avec une politique de tolérance zéro contre la déforestation.

>> Le reportage sur la ruée vers l'or au Brésil dans Tout un monde :

Un orpailleur clandestin près d'Itaituba, dans l'Etat brésilien du Para en Amazonie. [Reuters - Nacho Doce]Reuters - Nacho Doce
Tout un monde - Publié le 28 septembre 2022

Chapitre 5
Le poids des milieux évangéliques

AP/Keystone - Leo Correa

A la veille de la présidentielle, l’électorat évangélique est très courtisé au Brésil. Quelque 14'000 nouvelles églises évangéliques seraient créées chaque année dans le pays, selon l'Institut national de géographie et de statistiques. Cette croissance fulgurante, notamment dans les quartiers pauvres, a pour corollaire un poids politique de plus en plus grand: les évangéliques représentent actuellement entre 25% et 33% de l'électorat du pays. Ces milieux sont donc un enjeu majeur dans la campagne électorale.

Les deux principaux candidats Bolsonaro et Lula se disent certes croyants. Mais avec son discours ultraconservateur, le président sortant a une longueur d’avance. Alors que les sondages l'indiquaient à la peine, il a multiplié ces derniers jours les apparitions publiques dans des assemblées évangéliques.

Romana Rios, pasteure à l’église du Caminho das Arvores à Salvador. [RTS - Isabelle Cornaz]
Romana Rios, pasteure à l’église du Caminho das Arvores à Salvador. [RTS - Isabelle Cornaz]

Romana Rios, 43 ans, est pasteure à l’église du Caminho das Arvores, une petite salle au premier étage d’un immeuble. "Nous avons une vie basée sur la parole de Dieu et nous recherchons des politiciens qui portent cette parole, qui défendent la famille, la liberté de diffuser la parole de Dieu. J’ai voté pour Bolsonaro il y a quatre ans et nous allons voter pour lui à nouveau", affirme-t-elle.

Chez les bolsonaristes, toutes sortes de rumeurs circulent, comme celle affirmant que Lula aurait l’intention de fermer les églises.

Romana Rios, elle, n'y croit pas. "Mais je crois à la possibilité d’être persécutés. D’autant qu’il a déjà exprimé cela de différentes manières, en disant que l’Église était responsable d’avoir disséminé le Covid, et beaucoup d'autres choses qu’on a pu voir sur internet. On craint aussi qu’il légalise l’avortement et la drogue", explique-t-elle.

De son côté, le candidat Lula tente de séduire une partie de cet électorat en promettant des garanties sociales aux familles, en affirmant vouloir respecter tant la Constitution que la Bible, alors que Jair Bolsonaro, lui, place Dieu au-dessus de tout.

"Il devrait penser avant de parler"

Le président Bolsonaro prie lors de l'assemblée d'une importante église évangélique à Rio de Janeiro. [AP/Keystone - Bruna Prado]
Le président Bolsonaro prie lors de l'assemblée d'une importante église évangélique à Rio de Janeiro. [AP/Keystone - Bruna Prado]

Parmi les fidèles, au premier rang de l'église du Caminho das Arvores, Gilciara Moura vante le travail social de la femme de Bolsonaro, Michelle. Fervente évangélique très présente dans cette campagne, son intervention est nécessaire pour rattraper les mots parfois choquants du président, estime Gilciara Moura.

"Je n’aime pas les manières de Bolsonaro. Il est authentique, mais il devrait penser avant de parler. Malheureusement, il ne se contrôle pas, il est sans filtre. Mais je dois passer outre et retenir sa personnalité: il est pour la famille, il place Dieu avant tout", expose-t-elle.

Selon un récent sondage de l'institut Datafolha, les femmes évangéliques seraient toutefois moins enclines que les hommes à accorder à nouveau leur confiance à Jair Bolsonaro, à cause de sa gestion de la pandémie notamment, et de ses propos jugés méprisants envers les malades.

>> L'éclairage du 12h30 sur l'influence des cercles évangéliques :

Une église évangélique à Salvador, au Brésil. [AFP - Philippe Lissac - Godong - Photononstop]AFP - Philippe Lissac - Godong - Photononstop
Le 12h30 - Publié le 27 septembre 2022

Chapitre 6
La désinformation, fléau de la campagne électorale

DR

Au Brésil, la désinformation a inondé les réseaux sociaux jusqu'au seuil des élections présidentielles. Les autorités semblent toutefois un peu mieux armées pour y faire face qu’en 2018, lors du précédent scrutin. Le Tribunal supérieur électoral collabore notamment avec différentes plateformes, comme Facebook, Youtube ou Telegram. Mais la bataille est loin d’être gagnée.

Natalia Leal, directrice de l’agence brésilienne de factchecking Lupa, estime que les Brésiliens et Brésiliennes sont plus conscients du risque de désinformation qu’en 2018. Les déclarations loufoques de Bolsonaro sur la pandémie sont passées par là.

Une performance contre la politique sanitaire du président Bolsonaro pendant la pandémie. [Keystone - Eraldo Peres]
Une performance contre la politique sanitaire du président Bolsonaro pendant la pandémie. [Keystone - Eraldo Peres]

"Le Covid a rendu les gens plus attentifs aux mensonges des politiciens. Comme il s’agissait de santé, cela les concernait directement. Ils avaient peur d’attraper le virus, donc quand les politiciens ont commencé à mentir, ils s’en sont davantage rendu compte. En 2018, je n’ai pas l’impression que les gens comprenaient autant que la désinformation pouvait être dangereuse", souligne-t-elle.

>> L'éclairage sur la désinformation dans la Matinale :

Le Brésil et le cas Lula da Silva - Radiographie d’un scandale politique
Le Journal horaire - Publié le 22 septembre 2022

André Lemos, professeur à la faculté de communication à l’Université fédérale de Bahia, note que les pouvoirs judiciaires et les réseaux sociaux commencent à instaurer des solutions techniques pour freiner la désinformation. "Mais cela continue pour autant. On est dans une espèce d'élection tribale, et la désinformation fonctionne très bien, parce que les gens ne sont pas des citoyens rationnels qui vont chercher la vraie information. C'est une forme d'adhésion à l'idole"", illustre-t-il.

Et ce n’est pas qu’un camp qui est pointé du doigt. Une vidéo voulant faire passer Lula pour un alcoolique, alors qu’il boit de l’eau, a été vue par six millions d’internautes. Virales également, les vidéos qui mettent en doute l’attentat à l’arme blanche dont Jair Bolsonaro a été victime il y a quatre ans.

Chapitre 7
Le patronat partagé dans son soutien à Jair Bolsonaro

EPA/Keystone - Andre Coelho

Au Brésil, une partie des milieux d’affaires n’ont pas l’intention de voter à nouveau pour Jair Bolsonaro, déçus des résultats économiques de son mandat et inquiets du risque d’instabilité politique s'il refuse de reconnaître le résultat des élections.

A Salvador de Bahia, Ubiraci Merces a créé Sanar,une startup d’outils technologiques pour étudiants et professionnels de la santé. L’entreprise a grandi, ouvert un bureau à Sao Paolo. Tout en éludant la question de son vote personnel, il estime que Lula, qui a d’ailleurs choisi comme colistier un politicien de centre droit, n'agira pas contre les intérêts de l’économie.

Protéger les institutions

"Je pense que les gens surréagissent par rapport au risque de communisme. Nous aurons soit un gouvernement plutôt social-démocrate, soit plutôt libéral, mais dans les deux cas, l’économie pourra fleurir, car le secteur de la technologie est en train de prendre son essor. Les gens utilisent la technologie dans leur quotidien, même les médecins! Et le Brésil est un pays résilient. Donc peu importe le candidat. Par contre, il faut protéger nos institutions. N’essayez pas de détruire, de violer la Constitution ou les institutions du pays. Parce que ça, oui, cela nous créera des problèmes", affirme cet entrepreneur.

Les attaques de Bolosonaro contre le système électoral et les institutions inquiètent les hommes d’affaires. Des associations patronales, du secteur de la banque ou de l’industrie, ont signé une pétition intitulée "Pour la défense de la démocratie", qui a recueilli plus d'un demi-million de signatures.

Certaines associations craignent également l’impact d’un deuxième mandat de Jair Bolsonaro sur l’image du Brésil à l’étranger. Le président sortant bénéficie toutefois du soutien des secteurs qui ont fleuri sous son mandat - l’industrie agro-alimentaire notamment - ou des commerçants qui ne souhaitaient pas d’un confinement pendant la pandémie.

>> L'éclairage sur les milieux d'affaires dans La Matinale :

Jair Bolsonaro lors du Forum économique mondial (WEF) de Davos en janvier 2019. [Keystone - Gian Ehrenzeller]Keystone - Gian Ehrenzeller
La Matinale - Publié le 29 septembre 2022