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Bertrand Badie: "Xi Jinping n'est pas mécontent d'assister à un affaiblissement du partenariat russe"

Sommet entre la Chine et la Russie à Samarcande en Ouzbékistan: interview de Bertrand Badie
Sommet entre la Chine et la Russie à Samarcande en Ouzbékistan: interview de Bertrand Badie / Forum / 8 min. / le 14 septembre 2022
Pékin profite de la guerre en Ukraine pour se poser en acteur incontournable, alors que la Russie doit redorer son blason, analyse le politologue spécialiste des relations internationales Bertrand Badie avant la rencontre des présidents chinois Xi Jinping et russe Vladimir Poutine jeudi en Ouzbékistan.

Interrogé dans l'émission Forum mercredi soir, le professeur émérite de Sciences Po Paris estime que la position de l'Empire du milieu lors de cette 22e session du Conseil des chefs d'Etat de l'Organisation de coopération de Shanghaï (OCS) est comparable à celle qu'il avait endossée lors de la conférence de Bandung en Indonésie en 1955. Le sommet réunissait 29 pays asiatiques et africains "non-alignés" sur l'Occident ou le bloc soviétique.

À l'époque, la Chine, représentée par le Premier ministre Zhou Enlai, "avait très vite postulé au leadership de ce monde non-aligné", raconte Bertrand Badie. Aujourd'hui à Samarcande, la super-puissance orientale cherche une troisième voie, la sienne. Elle ne favorisera ni le camp russe, ni ses adversaires occidentaux.

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Pas vraiment d'engagement

"La Chine ne souhaite pas qu'à l'occasion de l'affrontement entre l'Occident et la Russie, l'Occident renforce son leadership et son hégémonie", explique-t-il. "D'où cette distance critique et ces propos aimables tenus en direction de la Russie."

Cela ne signifie toutefois pas une alliance avec Moscou, souligne le spécialiste. "Sans le dire, Xi Jinping n'est pas mécontent d'assister à un certain affaiblissement du partenariat russe", pointe le politologue. "La Chine a toujours été gênée par cet ascendant de la Russie sur elle, qui avait conduit à des relations pas très bonnes entre Mao Zedong et Staline. La Chine est contente qu'on aille frapper à sa porte, qu'elle puisse apporter un soutien, être du côté de ceux qui soutiennent plutôt que ceux qui demandent des aides", développe-t-il. Mais en l'occurrence, ce soutien n'est pas total.

"La Russie s'est tournée du côté de la Corée du Nord pour avoir des armements, beaucoup plus que vers la Chine. Celle-ci ne suit pas les sanctions occidentales, mais ne les contrarie pas non plus totalement", relève Bertrand Badie.

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Pression économique

Il remarque par ailleurs que la Chine n'a pas intérêt à une aggravation du conflit russo-ukrainien et, à plus forte raison, à un incident nucléaire, car cela impliquerait une déstabilisation de l'économie, alors qu'elle a su profiter de la mondialisation mieux que quiconque. Une escalade serait ainsi "une catastrophe pour la Chine, qui rencontre depuis un certain temps quelques difficultés, notamment sur le plan économique".

Par conséquent, "la carte que veut jouer de Xi Jinping est plutôt de freiner cette dynamique extrême qui est en train de se reconstituer dans l'entourage de Poutine", avance l'expert des relations internationales. Il note en revanche que Xi Jinping n'est pas en mesure "d'ouvrir des négociations ou de tisser les fils d'une future négociation".

Améliorer l'image russe

Vladimir Poutine va chercher de son côté à redorer le blason de la Russie. Bertrand Badie pointe que l'homme fort de Moscou a essuyé trois défaites en six mois: une défaite militaire, une défaite réputationnelle, car l'armée russe ne bénéficie plus de l'image de super-puissance d'autrefois, et enfin une défaite institutionnelle, car le système russe paraît responsable de ces difficultés. "Je crois qu'il est à la recherche d'un effet de démonstration, qui n'est pas seulement dirigé contre l'Ukraine, mais probablement contre l'Europe", pense le politologue.

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Du reste, explique Bertrand Badie, la Russie pivote vers l'est dans les moments de crise. "Il y a une tradition très ancienne dans l'histoire russe qui a commencé avec Ivan le Terrible (qui fut au XVIe siècle le premier tsar de Russie, ndlr), qui consiste à se tourner vers l'Asie et la Sibérie quand la Russie a des difficultés avec l'Occident, puisque la Russie est en même temps puissance asiatique et puissance européenne", indique l'universitaire. "Elle va chercher à se refaire une jeunesse côté asiatique", ajoute-t-il.

"Mais cela n'effacera pas l'essentiel, qui est très dangereux en relations internationales: une perte spectaculaire de puissance", soulève Bertrand Badie.

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Propos recueillis par Renaud Malik

Adaptation web: Antoine Michel avec afp

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Sommet asiatique

Le sommet de l'Organisation de coopération de Shanghaï, une institution politique, économique et de sécurité créée en 2001 pour rivaliser avec les organisations occidentales similaires, rassemble jeudi et vendredi, outre Vladimir Poutine et Xi Jinping, les dirigeants de l'Inde, du Pakistan et des ex-républiques soviétiques d'Asie centrale comme le Kazakhstan et l'Ouzbékistan.