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En plein essor en Espagne, le trafic de cannabis inquiète les autorités

Un policier catalan dans une plantation indoors de cannabis à Martorell, près de Barcelone, en octobre 2020. [AFP - Josep Lago]
Le trafic de cannabis en Catalogne / Tout un monde / 5 min. / le 28 avril 2022
Le ministère espagnol de l’Intérieur a lancé à fin 2021 un plan national pour lutter contre la production de marijuana. Car le pays est devenu l’un des plus gros producteurs en Europe et la Catalogne en est l'épicentre.

Quelque 86 tonnes de cannabis ont été saisies l’année dernière en Espagne, soit quatre fois plus qu’il y a cinq ans. Et en Catalogne, 662 plantations ont été démantelées en 2021.

Les mafias se sont installées et cultivent de manière industrielle le cannabis pour ensuite l’exporter vers toute l’Europe. Ce trafic, qui est devenu une grande menace, préoccupe de plus en plus la police régionale catalane (Mossos d'Esquadra).

Interrogé cette semaine dans l'émission Tout un monde, le responsable de sa division recherche criminelle relève que les causes sont multiples. Il y a d’abord un taux de chômage plus élevé qu’ailleurs, augmentant l'attrait pour des quantités d’argent alléchantes.

Il y a aussi la situation géographique de la Catalogne, proche de la frontière française et donc du marché européen, avec des zones rurales étendues propices aux plantations.

Peines de prison plus légères qu'ailleurs

La question climatique joue aussi un rôle. "C’est vrai que l’on parle du climat, qui serait un avantage pour les plantations de cannabis à l’air libre. Mais seulement 35% des plantations saisies par la police régionale catalane sont à l’air libre", souligne Joan Carles Granja avant de s'interroger: "La majorité est en intérieur et pourquoi ce n’est pas le cas à Paris? Ce serait plus pratique, plus central, près du marché européen, non? En fait, les peines de prison sont probablement moins grandes ici que dans d’autres pays européens."

En Espagne, elles sont de un à trois ans de prison si le trafic de cannabis n’excède pas les dix kilos, et de trois à quatre ans et demi au-delà des dix kilos. C'est effectivement moins qu’ailleurs en Europe, surtout lorsqu'on sait que des personnes sans antécédent judiciaire ne vont pas en prison en Espagne pour une condamnation inférieure à deux ans.

Du coup, ce trafic juteux attire: 53% des personnes arrêtées en 2021 n’avait aucun antécédent.

Un gain en plus pour les camionneurs

Dans son dernier rapport, la police catalane s’inquiète aussi de ce qu’elle appelle la "connivence" entre ces réseaux mafieux et des structures légales. "Il existe des citoyens espagnols avec un travail légal, mais qui voient une opportunité pour gagner plus d’argent avec le cannabis", relève Joan Carles Granja.

Ce sont par exemple des transporteurs qui vont du sud de l’Espagne vers l’Allemagne avec des fruits dans leur camion. "Ils s’arrêtent sur des aires de repos où les mafias cachent 100 kilos de marijuana. Le camionneur gagne un plus. Certains électriciens aussi voient qu’installer toute l’électricité dans un hangar pour cannabis peut leur apporter beaucoup d’argent."

Progression exponentielle des surfaces

Et ces structures mafieuses de production deviennent de plus en plus sophistiquées. Elles ont même leur courtier et redoublent d’innovations technologiques pour accélérer le nombre de récoltes.

La police espagnole est en alerte face au volume exponentiel des cultures: comportant quelque 200 plants de cannabis autrefois, elles atteignent aujourd’hui 3000 plants en moyenne. Les mesures de protection de ces plantations augmentent en conséquence, tout comme la violence entre bandes rivales - ce qui ne manque pas de surprendre parfois les enquêteurs.

"Ce que nous constatons, c’est une défense importante pour que personne n’entre dans ces plantations pour voler le cannabis", note ce responsable à la police régionale catalane. "Nous trouvons à chaque fois plus d’armes à feu et les homicides correspondent à des affrontements entre mafias".

A Tarragone, par exemple, tout le hangar d’une plantation était électrifié, raconte Joan Carles Granja. "Si quelqu’un tentait d’y pénétrer, il s’électrocuterait dès la porte d’entrée. Cela pourrait arriver à n’importe quel enfant". Autre exemple à Lerida, dans une forêt qui cachait 10'000 plants de cannabis: "Il y avait tout un système de protection de câbles, qui déclenchaient un lancement de couteaux ou un tir d’armes à feu. Un policier catalan a même été blessé. Ils se protègent et peu importe qui est blessé."

Un risque pour les cultures légales de CBD

Les enquêteurs ont aussi une autre inquiétude: ils craignent une infiltration des mafias dans les cultures légales de CBD. Le patron de la division recherche criminelle de la police régionale catalane se dit attentif à ces possibles changements: "Ces réseaux criminels voient une opportunité dans ces entreprises légales de CBD. Ils veulent s'y camoufler pour produire du cannabis avec THC."

Il ne faut pas oublier que de nombreux agriculteurs voient une opportunité dans le CBD si les récoltes de fruits ne suffisent pas, rappelle Joan Carles Granja. Dans le sud du pays, par exemple, certaines zones qui produisaient des fraises montent désormais des cultures de CBD. "Si c’est légal, aucun problème", souligne-t-il. Mais "les difficultés commenceront quand ces réseaux criminels leur proposeront de cultiver autre chose pour gagner cinq fois plus. C’est un autre risque et il faut être très attentif."

La police catalane veut doubler le nombre d’enquêteurs pour les délits économiques, afin de s’attaquer au blanchiment d’argent et pouvoir ainsi augmenter les peines de prison infligées.

Valérie Demon/oang

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