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Les pénuries alimentaires aggravées par la guerre en Ukraine

Géopolitis: Famine, la menace [Reuters - Asmaa Waguih]
Famine, la menace / Geopolitis / 26 min. / le 1 mai 2022
Guerres, pandémie, inflation et crise climatique entraînent les pays les plus pauvres dans "une spirale infernale et létale", alerte le directeur adjoint du bureau genevois du Programme alimentaire mondial (PAM). La famine menace 13 millions de personnes supplémentaires.

"C'est cauchemardesque comme situation", lance d'emblée Gian Carlo Cirri sur le plateau de Géopolitis, très inquiet des répercussions de la guerre sur une situation déjà délétère. "Juste avant la crise ukrainienne, l'augmentation de la faim aiguë et sévère était déjà spectaculaire. La crise ukrainienne vient encore bouleverser la situation et empirer cet état de fait", poursuit le directeur adjoint du bureau genevois du PAM.

Le Programme alimentaire mondial, qui dépend des Nations unies, est la plus grande agence humanitaire qui lutte contre la faim dans le monde. Depuis 2020, la faim s'est considérablement aggravée. Une personne sur dix en souffre, et presque 2 milliards et demi souffrent de malnutrition, soit environ un tiers de la population mondiale. La FAO, organisation de l'ONU pour l’alimentation et l’agriculture, estime qu'entre 8 et 13 millions de personnes supplémentaires pourraient subir des privations de nourriture en raison des conséquences de la guerre en Ukraine. Les premières régions touchées seraient l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Asie.

Forte dépendance au blé russe et ukrainien

La Russie et l'Ukraine représentent environ un tiers des exportations mondiales de céréales. De nombreux pays en dépendent. En particulier une trentaine d'Etats - situés principalement en Asie centrale et sur le continent africain - qui importent plus de la moitié de leur blé de ces deux pays. Une dépendance qui atteint même 100% pour l'Erythrée, ou quasiment autant pour le Kazakhstan (99%), la Mongolie (99%) et l’Arménie (98%).

Pays qui importent plus de la moitié de leur blé de Russie et-ou d'Ukraine. [RTS - Géopolitis]

La Russie et l'Ukraine sont aussi d’importants fournisseurs d’orge, de soja, de maïs et d’huile de tournesol. Le secrétaire général des Nations unies António Guterres redoute "un ouragan de famines et l'effondrement du système alimentaire mondial."

"En Ukraine, il n'y aura pas le même niveau de récoltes, mais on estime que 60-70% pourront être faites. Mais le problème n'est pas tant la disponibilité des céréales au niveau mondial. C'est un problème d'accès", précise Gian Carlo Cirri, qui pointe la hausse massive des prix. Selon la FAO, les prix des denrées alimentaires ont atteint "les plus hauts niveaux jamais enregistrés." Ce spécialiste, qui a notamment travaillé au Yémen et en République centrafricaine, craint que les pays les plus pauvres n'aient donc plus les moyens de les acheter.

Les prix flambent

Fin avril, le cours du blé dépassait les 400 euros la tonne sur le marché européen. Une inflation rapide et massive qui s’inscrit dans une tendance déjà haussière, visible depuis plusieurs années, en raison notamment du Covid et des conséquences du réchauffement climatique (sécheresses, inondations).

Gian Carlo Cirri relève ces quatre causes fondamentales de la crise actuelle: conflits, Covid, crise climatique et renchérissement généralisé. "Tous ces effets conjugués sont en train de se combiner pour entraîner les pays les plus pauvres et les personnes les plus vulnérables dans une spirale infernale et létale", dit-il.

En République démocratique du Congo par exemple, trois quarts des ménages vivent déjà sous le seuil de pauvreté. La flambée des prix les impacte massivement, alors que le pays dépend à plus de 80% des importations de blé russe.

Emeutes de la faim?

Au Sri Lanka, le prix du pain et de l'essence ont doublé en quelques semaines. Manifestations et émeutes se succèdent dans ce pays qui affronte sa pire crise économique, déjà durement affecté par deux ans de pandémie. "On sous-estime souvent le rôle de l'insécurité alimentaire sur une certaine stabilité politique. (...) En 2011, cela a carrément déclenché les printemps arabes", rappelle Gian Carlo Cirri, qui s'attend à "une période de turbulences comme rarement vue".

Pour aider les pays les plus vulnérables à traverser cette crise, il évoque la possibilité d'une aide spécifique pour compenser la hausse des prix. "Cela coûterait quand même 25 milliards dollars s'il fallait compenser à 100% ce renchérissement des importations", précise-t-il. Gian Carlo Cirri avance également "une solution à très court terme" et en appelle à la solidarité internationale. Selon lui, il est impératif "d'augmenter les financements en matière d'assistance humanitaire en général". Il vise un doublement de l'aide mondiale.

Mélanie Ohayon

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