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"La lenteur des opérations en Ukraine ralentit l'intérêt de l'opinion publique"

Fabrice d'Almeida, historien des médias et de la propagande. [Georges Seguin]
Usure de l'information: interview de Fabrice Almeida, historien des médias et de la propagande / Forum / 6 min. / le 26 mars 2022
Un mois après le début de l'invasion russe en Ukraine, un certain désintérêt commence à poindre dans l'opinion publique. Mais ce phénomène peut servir les deux parties en conflit, comme l'explique dans Forum Fabrice d'Almeida, historien des médias et de la propagande.

Après un peu plus d'un mois de guerre en Ukraine, l'opinion publique semble se désintéresser en partie des événements. Comment expliquer ce phénomène?

Pour Fabrice d'Almeida, historien des médias et de la propagande, interrogé samedi dans Forum, "l'information repose sur le concept de nouvelles. A partir du moment où il y a moins de nouvelles, l'information refroidit. Le problème avec l'Ukraine, c'est que la guerre de siège et la lenteur des opérations ralentissent notre intérêt". S'il ne se passe pas de grands événements, "nous en parlerons moins, mais s'il y a des changements dans la stratégie militaire, nous aurons un nouvel intérêt".

Ce désintérêt peut-il servir la Russie qui pourrait agir à sa guise? "C'est exactement cela, mais c'est ambigu. Pour les Ukrainiens, faire durer la guerre, c'est montrer leur capacité de résistance. Pour les Russes, c'est essayer de faire que le conflit finisse par s'oublier, s'enliser et à ce moment-là mener des frappes. Le problème si les Russes changent la nature de leurs actions, s'ils se mettent à mener des frappes très violentes sur les grandes villes, à ce moment-là nous aurons un nouveau intérêt de la part de la presse et cela fera redémarrer l'intérêt pour le conflit".

"Pas de mort en direct"

De plus, depuis les images des différents attentats, des prises d'otages, les Occidentaux ont mis en place une espèce de déontologie qui montre peu la mort. "Nous avons tendance à éviter l'obscénité d'une mort en direct. Au bout d'un moment, comme il n'y a pas d'escalade dans l'horreur, une partie du public ne regarde pas", relève encore Fabrice d'Almeida.

Mais les Ukrainiens vont certainement vouloir montrer des images très dramatiques, "encore plus dramatiques que ces deux femmes qui sortaient de la maternité qui venait d'être détruite", pour essayer de nous rappeler que cette guerre continue, explique l'historien.

Par ailleurs, "c'est un conflit très particulier dans lequel nous nous sentons très investis et en même temps très impuissants. Cette impuissance suscite une espèce d'inconfort qui nous pousse à passer à autre chose".

Combien de temps avant d'être lassé d'une information? "Il y a un rapport à l'intérêt qui est proportionnel à l'importance de l'information. L'Ukraine a été très importante car c'était le retour de la guerre en Europe avec une menace de frappes nucléaires, cela a suscité un très grand émoi. Mais à mesure que la menace nucléaire s'éloigne, que les pays occidentaux sont moins à risque d'être dans une contagion du conflit, notre intérêt décroît. Sans parler que d'autres sujets viennent concurrencer notre intérêt: la présidentielle en France et la remontée des cas de Covid dans de nombreux pays."

Propos recueillis par Thibaut Schaller/lan

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