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"Ces sanctions ne vont pas stopper les projets géopolitiques de Poutine"

Géopolitis: Poutine l’envahisseur [Sputnik / Kremlin via Reuters - Alexey Nikolsky]
Poutine l’envahisseur / Geopolitis / 26 min. / le 27 février 2022
Plusieurs pays occidentaux se sont accordés samedi soir sur un paquet de sanctions inédites contre la Russie. La chercheuse Tatiana Kastouéva-Jean doute cependant que cela infléchisse la politique étrangère de Vladimir Poutine.

Alors que la bataille pour le contrôle de Kiev se poursuit, les Occidentaux ont accentué samedi la pression sur Moscou, en excluant des banques russes de la plateforme Swift. Le président américain Joe Biden avait déjà annoncé jeudi des "sanctions dévastatrices". Parmi elles figurent par exemple des sanctions financières contre le marché bancaire russe et des entreprises stratégiques actives dans le domaine des énergies et de la défense.

"Nous assistons à un mouvement de plaques tectoniques. Beaucoup de pays sont en train de revoir leur politique étrangère. Par exemple, les pays neutres cherchent désormais à se rapprocher de l'Otan. S'il ne s'agit pas encore de demande d'adhésion formelle, il y a demande de plus de concertations et de coordination", explique la chercheuse Tatiana Kastouéva-Jean, directrice du Centre Russie / Nouveaux Etats indépendants à l'Institut français des relations internationales (Ifri), dans l'émission Géopolitis.

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Un tournant pour l'Allemagne

L'Allemagne en particulier a beaucoup évolué depuis le début de l'invasion de l'Ukraine par la Russie le 24 février. Après s'être d'abord opposé à l'exclusion du système Swift, par crainte pour son approvisionnement en charbon et en gaz russes, Berlin a finalement accepté samedi "une restriction ciblée" de l'accès de la Russie à la plateforme. L'espace aérien allemand sera, à l'instar de celui d'autres pays européens, fermé aux compagnies russes et aux jets privés russes à partir de dimanche.

Pour la Russie, le Kremlin se doit de protéger les russophones

"L'Allemagne voulait intégrer la Russie à l'Europe par les voies économiques, financières et commerciales. Aujourd'hui, elle est en train de changer sur la question de la livraison d'armes à l'Ukraine, sur la question de Nordstream. Il y a un rapprochement au sein de la coalition beaucoup plus fort sur cette base-là", observe Tatiana Kastouéva-Jean.

La livraison à Kiev de 1400 lance-roquettes antichar, de 500 missiles sol-air Stinger et de neuf obusiers, annoncée par le gouvernement allemand, met fin à un tabou. Depuis la Seconde Guerre mondiale, la position officielle de Berlin était de ne pas transmettre d'armes "létales" dans les zones de conflit. "L'agression russe contre l'Ukraine marque un changement d'époque, elle menace l'ordre établi depuis l'après-guerre", a justifié le chancelier Olaf Scholz dans un communiqué. "Dans cette situation, il est de notre devoir d'aider l'Ukraine autant que nous pouvons à se défendre contre l'armée d'invasion de Vladimir Poutine".

Jusqu'où ira Vladimir Poutine ?

Pour la chercheuse Tatiana Kastouéva-Jean, il n'est pas certain que les sanctions décidées jusqu'ici suffisent. "Les sanctions annoncées sont beaucoup plus fortes qu'en 2014. Elles peuvent toucher durement certains secteurs", constate-t-elle, tout en relevant qu'à ses yeux, "il y a encore de la marge, notamment sur la coupure totale du système Swift et l'arrêt définitif du gazoduc Nordstream 2, qui pour l'instant est suspendu".

Même des sanctions visant directement Vladimir Poutine et son chef de la diplomatie, Sergueï Lavrov, auraient un impact limité, et ce d'autant que la Chine et l'Inde n'ont à ce stade pas formellement décidé de s'associer à ces différents trains de mesures. "Je pense que les élites russes, y compris Vladimir Poutine, ont dû se préparer à cette option en mettant à l'abri leurs actifs, en les rapatriant en Russie. Ces sanctions seront très désagréables pour l'élite russe, mais probablement pas celles qui vont stopper Vladimir Poutine dans ses projets géopolitiques".

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Quant à savoir quels sont précisément ses projets géopolitiques, la question reste en suspens. "On sait où la guerre commence, pas où elle finit", met en garde Tatiana Kastouéva-Jean, qui n'exclut pas que l'invasion de l'Ukraine soit la première étape d'un plan plus large. "A mon avis, la plus grande menace pèse aujourd'hui sur la Moldavie, dont une région, la Transnistrie, est occupée par des troupes russes depuis trente ans". Et c'est bien pour parer ce danger que l'Otan renforce sa présence dans tous les pays voisins de la Russie.

Juliette Galeazzi

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