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Avec la pandémie, le retour en force du revenu universel

Géopolitis: Vivre sans travailler [Adobe Stock - S. J. Lievano]
Vivre sans travailler / Geopolitis / 26 min. / le 9 janvier 2022
La pandémie de Covid-19 a relancé l'idée d'un revenu universel versé sans conditions. Mais alors que les expériences se multiplient à travers le monde, il reste pour beaucoup un oreiller de paresse difficile à financer.

La Suisse est à ce jour le seul pays à avoir voté sur un revenu universel. En 2016, une initiative pour un revenu de base inconditionnel de 2500 francs par mois avait été balayée par trois-quarts de l'électorat. Mais la question n'a pas disparu du débat public. En septembre 2021, un nouveau texte pour un revenu de base inconditionnel a été présenté à Berne. Pour les initiants, le Covid-19 a changé la donne.

"On en parle davantage, c'est vrai, mais les termes du débat n'ont pas vraiment changé", rétorque Cédric Tille, professeur d'économie à l'Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID), invité dans l'émission Géopolitis. Pour lui, le revenu universel pose deux questions incontournables: faut-il aider tout le monde? Et avec quel financement? "La plupart des gens n'ont pas besoin d'être aidés et c'est tant mieux. Leur verser de l'argent fait courir le risque d'un gaspillage", observe-t-il, ajoutant qu'à ses yeux lever un impôt supplémentaire sur les revenus du travail pour financer un tel revenu aurait des effets secondaires indésirables. "Les gens risquent de se demander à quoi bon travailler", précise-t-il.

Des expériences pilotes

De fait, une quinzaine de pays ont mené diverses expériences avec des résultats plus ou moins concluants. En 2010, l'Iran a par exemple remplacé ses subventions sur l'énergie et l'alimentation par une allocation directe à tous ses citoyens, équivalente à presque 30% du salaire

Le revenu de base testé dans une quinzaine de pays. [RTS - Géopolitis]

médian. Cela en fait le seul pays qui peut revendiquer la mise en place d'un véritable revenu universel. En raison d'une très forte inflation, le montant fixe alloué s'est révélé de moins en moins avantageux et le programme cible désormais uniquement les plus démunis.

Cibler les plus démunis, c'est aussi le choix qui a été fait à Stockton, aux Etats-Unis, où un quart de la population vit sous le seuil de pauvreté. Pendant un an et demi, cent personnes ont reçu 500 dollars par mois avec un effet bénéfique sur la santé et leur retour à l'emploi.

En Italie, en revanche, le revenu de citoyenneté introduit par le Mouvement 5 étoiles en 2019 pour "abolir la pauvreté" est accusé d'avoir entraîné une hausse du travail au noir. D'un montant moyen d'un peu moins de 500 euros par famille, il a cependant permis de réduire le niveau de pauvreté d'1,2 million de familles et d'atténuer les effets de la pandémie, selon l'OCDE. "Le nombre des bénéficiaires qui ont trouvé un travail (environ 150'000 personnes) est néanmoins trop faible", indique-t-elle dans son rapport 2021 sur l'Italie, recommandant de "réduire l'allocation pour inciter celles et ceux qui la perçoivent à chercher un emploi".

En période de crise, il faut soutenir les gens qui en ont le plus besoin

Cédric Tille, professeur d'économie à l'IHEID

Ces données ne surprennent pas Cédric Tille qui prône des mesures ciblées. Il cite en exemple l'indemnité de réduction de l'horaire de travail (RHT) introduite en Suisse pendant la pandémie. "Ou alors, si on ne peut pas proposer une aide ciblée, il faut un plan B. C'est par exemple ce qu'ont fait les Etats-Unis en envoyant des chèques ponctuels". En 2021, l'administration Biden a ainsi envoyé 1400 dollars à chaque Américain qui gagne moins de 75'000 dollars par an, pour un total estimé à 400 milliards de dollars.

Taxer les robots

Cet avis ne fait pourtant pas l'unanimité, d'aucuns estiment que cela ne suffira pas à faire face à l'extrême pauvreté qui augmente à nouveau après deux décennies de recul et aux destructions d'emplois qui s'accélèrent.

D'ici 2025, 85 millions d'emplois auront disparu, alors que 97 millions de nouveaux postes pourraient être créés, selon des estimations du Forum économique mondial (WEF). "Il y a beaucoup de gens qui vont perdre leur travail. Il y en a qui ne vont pas pouvoir raisonnablement et assez rapidement s'adapter. Je ne crois pas beaucoup à l'idée de la destruction créatrice", nuance pour sa part Xavier Oberson à Géopolitis.

Professeur de droit fiscal à l'Université de Genève, il voit dans la taxation des robots une source de financement qui viendrait remplacer le travail qui disparaît. Au niveau européen, des discussions ont déjà lieu pour créer une personne électronique, comme il y a des personnes physiques ou morales, qui serait donc imposable.

Juliette Galeazzi

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