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Chine et Afrique, des relations dynamiques mais asymétriques

Le président sénégalais Macky Sall s'exprime durant la cérémonie d'ouverture du Forum sur la Coopération Sino-Africaine (FOCAC). Dakar, le 29 novembre 2021. [Reuters - Cooper Inveen]
Le président sénégalais Macky Sall s'exprime durant la cérémonie d'ouverture du Forum sur la Coopération Sino-Africaine (FOCAC). Dakar, le 29 novembre 2021. - [Reuters - Cooper Inveen]
Depuis le début du siècle, la présence de la Chine s'est considérablement développée sur le continent africain. Coopération économique, échanges commerciaux, importations de matières premières: une relation empreinte de dynamisme mais aussi d'inégalité.

La Chine est le premier partenaire commercial du continent africain: elle représente 20% du commerce extérieur de l'Afrique, alors que ce n'est que 3% dans le sens inverse.

L'origine de ce que l'on appelle la Chinafrique remonte à plus de trente ans, à l'époque de la répression du mouvement étudiant sur la place Tiananmen. Un événement qui a marqué un tournant pour la Chine dans ses relations avec l'Occident.

>> Ecouter Tout un Monde, "Chinafrique :

Xi Jinping lors d'une conférence sur les relations entre la Chine et l'Afrique. [AP/Keystone - Huang Jingwen]AP/Keystone - Huang Jingwen
Chinafrique (1/3): l’origine et la signification pour l’Afrique / Tout un monde / 9 min. / le 6 décembre 2021

Une nouvelle forme de dépendance se crée entre le continent africain et l'Empire du Milieu et, au sommet Chine-Afrique qui s'est tenu les 29 et 30 novembre au Sénégal (FOCAC), des demandes africaines ont été entendues pour rééquilibrer la relation. Le gouvernement sénégalais s'est réjoui des promesses chinoises dans ce sens; il en attend maintenant la concrétisation.

Pékin investit le continent dans tous les sens du terme, avec des gains pour le développement de l'Afrique et une compréhension parfois meilleure des réalités que l'Occident. Mais les inquiétudes sur l'emprise chinoise sont réelles (lire encadré).

Importance économique

La Chine ne verrait dans le continent africain qu'une source de matières premières, avec pour objectif l'exploitation de précieux minerais et de terres rares indispensables à l'essor industriel et technologique du pays.

Ce n'est pas faux, mais résumer les intérêts de Pékin en Afrique à ce seul aspect serait une erreur, car les relations sont complexes: "L'Europe, les Etats-Unis et les autres puissances d'Asie ont détourné leur attention de l'Afrique qu'ils n'ont jamais perçue comme une opportunité. Le continent a toujours été vu sous le spectre de l'assistance humanitaire, de l'aide au développement; un endroit où surgissent des épidémies et des conflits", analyse dans l'émission Tout un monde Eric Olander, cofondateur du China-Africa Project, un observatoire des relations sino-africaines.

Des trains en gare de Mobolaji Johnson. La ligne ferroviaire Lagos-Ibadan est un exemple de la coopération sino-africaine au Nigeria. Lagos, novembre 2021. [Xinhua via AFP - Emma Houston]
Des trains en gare de Mobolaji Johnson. La ligne ferroviaire Lagos-Ibadan est un exemple de la coopération sino-africaine au Nigeria. Lagos, novembre 2021. [Xinhua via AFP - Emma Houston]

"La Chine s'est dit pour sa part: '[Les pays africains] sont au stade où nous étions il y a trente ou quarante ans'. Il y a vingt ans, elle a perçu l'opportunité de vendre ses produits bon marché: des téléphones, des biens de consommation courants, etc. Et puis il y avait aussi et surtout, à cette époque, l'opportunité pour Pékin d'en extraire les ressources", explique Eric Olander.

Les ressources africaines ne sont cependant plus la motivation principale de la Chine en Afrique. L'intérêt pour les ressources du continent aurait même sensiblement diminué, car la Chine a largement diversifié ses sources d'approvisionnement ces dernières années: "Il y a vingt ans, les nouvelles routes de la soie n'existaient pas: la Chine dépendait alors de manière disproportionnée de l'Afrique en matière d'hydrocarbures, de minerais ou de bois par exemple. Mais aujourd'hui elle s'approvisionne partout: en Amérique latine, en Russie, en Asie du Sud-Est. L'Afrique a perdu en importance pour la Chine d'un point de vue économique", note Eric Olander.

...et géopolitique

Et d'ajouter: "Mais politiquement, le continent est devenu extrêmement important. C'est d'ailleurs la clef aujourd'hui: l'Afrique est un bloc de 54 pays qui votent de manière très unie, voire homogène à l'ONU, au FMI, à l'OMS". Soigner sa relation avec cet imposant bloc politique est devenu une nécessité pour la Chine qui cherche à accroître son influence internationale.

D'où de nombreux prêts octroyés à différents pays d'Afrique pour leur permettre de développer leurs infrastructures. Ces prêts sont d'ailleurs soupçonnés de créer une dépendance excessive à la Chine. Et de nombreuses voix critiques, notamment en Occident, laissent entendre que c'est en somme le but de Pékin. Les crédits octroyés – parfois à courts termes ou à des conditions peu transparentes – plongeraient les nations redevables dans le fameux "piège de la dette".

Des accusations qu'Eric Olander tient à nuancer: "Le problème avec la rhétorique du 'piège de la dette', c'est qu'il n'y a absolument aucune preuve tangible que la Chine octroie volontairement des montants insoutenables dans le seul but de se saisir ensuite d'atouts stratégiques, lui permettant de 'conquérir' ces pays où de les 'rendre dépendants' d'elle. Est-ce qu'elle cherche à créer une dépendance? La réponse n'est pas si évidente. La Chine cherche à réorienter l'ordre international en sa faveur: elle veut être le cœur d'une nouvelle orbite centrée autour d'elle. Il n'est pas tant question pour Pékin de créer une dépendance que de créer les conditions lui permettant de se placer au centre du nouveau système. La nuance est de taille".

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Vue sur le quartier des affaires à Pékin. [AP/Keystone - Aritz Parra]AP/Keystone - Aritz Parra
Chinafrique (3/3): Comment la Chine perçoit-elle ses relations avec l’Afrique? / Tout un monde / 5 min. / le 8 décembre 2021

Alignement plutôt que dépendance

Il faut donc remplacer le terme de "dépendance" par celui d'"alignement". Et les efforts chinois en la matière ont porté leurs fruits, puisque Pékin est parfaitement parvenu à aligner ses partenaires africains sur ses intérêts fondamentaux: "La Chine ne s'intéresse pas aux problèmes de l'Afrique en tant que tels. Ce qui lui importe, ce sont les enjeux qui lui sont propres. Des enjeux essentiellement territoriaux: Hong Kong, Taïwan, la mer de Chine du Sud, le Xinjiang, le Tibet", remarque Eric Olander.

"Pour les pays d'Afrique, il n'y a aucun coût politique à soutenir la Chine sur ces questions. Quand le Botswana la soutient sur la question du Tibet ou du Xinjiang, personne, au Botswana, ne fait pression pour que le gouvernement agisse autrement. Et les Etats-Unis ainsi que l'Europe ont été incapables de persuader les pays africains de prendre leurs distances sur ces problématiques. La Chine a été très efficace dans son opération, tout simplement parce qu'elle est présente sur le terrain".

Le puzzle du "Grand Sud"

Le président chinois Xi Jinping entouré de ses homologues des pays africains lors du Forum on China-Africa Cooperation (FOCAC) à Pékin, le 3 septembre 2018. [Keystone/EPA - How Hwee Young/Pool]
Le président chinois Xi Jinping entouré de ses homologues des pays africains lors du Forum on China-Africa Cooperation (FOCAC) à Pékin, le 3 septembre 2018. [Keystone/EPA - How Hwee Young/Pool]

Finalement, plus que des matières premières, la Chine exploite en Afrique le vide laissé par les autres grandes puissance – Europe et Etats-Unis en tête. La montée chinoise en puissance géopolitique, sa solidité, peut en partie être attribuée à l'Afrique.

Toutefois, elle n'est qu'une fraction d'un projet bien plus large: "La Chine est désormais très impliquée en Amérique latine, en Asie du Sud-Est et en Asie centrale. Le concept du 'Grand Sud' dans sa globalité devient très complexe: il ne faut pas extraire l'Afrique de ce contexte. Elle est l'une des pièces d'un puzzle que la Chine assemble avec les pays du Sud".

Un projet auquel l'Occident s'intéresse somme toute assez peu. Pékin a donc le champ libre pour développer et renforcer son réseau global d'influence.

Série radio: Michaël Peuker, Benoît Almeras, Patrick Chaboudez et Eric Guevara-Frey

Version web: Stéphanie Jaquet

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Tensions autour de la pêche au Sénégal

La mainmise de la Chine sur les matières premières inquiète bien souvent en Afrique.

Au Sénégal, le secteur de la mer concentre une partie des tensions. Les pêcheurs artisanaux soupçonnent des chalutiers d’origine chinoise de piller les ressources halieutiques.

Dans la ville côtière de Kayar, la communauté toute entière est tournée vers l’océan Atlantique; près de 30’000 personnes y vivent au rythme des vagues.

>> Ecouter le reportage de Tout un Monde, "Les pêcheurs sénégalais face aux navires chinois" :

Un pêcheur sénégalais. [Keystone/EPA - Nic Bothma]Keystone/EPA - Nic Bothma
Chinafrique (2/3): les pêcheurs sénégalais face aux navires chinois / Tout un monde / 4 min. / le 7 décembre 2021