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Pologne, la colère des femmes

Depuis la révolte des ouvriers de Gdansk, on n’avait plus connu ça. C’est un soulèvement d’une ampleur inédite auquel on assiste depuis quelques jours en Pologne. La décision du Tribunal constitutionnel d’interdire les avortements en cas de malformation du fœtus, « même grave et irréversible », a soulevé une tempête. La loi était déjà très restrictive mais la décision supprime de fait tout droit à l’avortement.

En première ligne, les femmes polonaises qui disent leur dégoût sur tous les tons. Elles scandent un juron que l’on pourrait traduire en français par « Allez-vous faire f… ! », un équivalent plus cru du « dégage ! » francophone. Preuve du ras-le-bol qui s’est emparé d’une bonne partie de la société, les lettrés les plus fins relaient le juron sur les réseaux sociaux acceptant la vulgarité du propos. Ici et là, le gros mot devenu slogan s’inscrit en rouge et noir dans la graphie célèbre de Solidarnosc convoquant les heures les plus glorieuses de la révolte contre le communisme.

André Crettenand - 2019. [RTS - Jay Louvion]
André Crettenand - 2019. [RTS - Jay Louvion]

Les femmes polonaises avaient déjà manifesté leur colère par le passé mais le mouvement qu’elles ont lancé ces jours est particulier car il ne s’en prend pas seulement aux juges ou au parti au pouvoir, le très conservateur PiS, le parti Droit et Justice, mais aussi à l’Eglise qui a salué la décision du Tribunal avec un communiqué hâtif et triomphant. Dimanche, les femmes ont perturbé les messes, tagué les parvis des cathédrales, jeté des tracts vengeurs dans les travées des nefs. Lundi, elles ont bloqué le centre de Varsovie. Mercredi, elles ont fait grève. Vendredi, elles ont appelé à marcher sur Varsovie. Et elles entraînent derrière elles les jeunes et une grande partie du pays, y compris dans les petites villes, réputées conservatrices, proches du parti au pouvoir. Le leader du parti PiS et vice-premier ministre Jaroslaw Kaczynski, lui, ne fait rien pour apaiser la situation. Il appelle des milices nationalistes et d’extrême-droite à se mobiliser et à défendre les églises. Les organisations féministes estiment que 200'000 Polonaises sont contraintes chaque année d’avorter à l’étranger. Les sondages montrent d’ailleurs qu’une majorité de Polonais est favorable à un avortement légal.

Le pays raillé jadis par Alfred Jarry - Ubu roi - fait régulièrement l’objet de procédures d’ « infraction » de la part de l’Union européenne, sans grand succès. La Pologne se veut un mauvais élève de l’Europe comme sa voisine, la Hongrie. Elle détricote la Constitution, contrôle les médias publics, elle limite l’indépendance des juges, elle s’en prend aux droits des femmes et des LGBT. Elle s’inscrit sur la liste des démocraties désormais dites illibérales. Elle l’assume. Triste pour un pays qui a tant bénéficié de son adhésion à l’Union européenne, de la libre-circulation des personnes et du soutien inconditionnel de tous ceux qui se sont réjouis de voir la Pologne échapper au glacis soviétique et retrouver le giron naturel de l’Europe. La Suisse, qui réserva à la Pologne la plus grande part de ses fonds de solidarité, en fit partie.

Difficile de dire si le mouvement va déboucher sur le recul du pouvoir, sur des concessions substantielles, ou sur une révolution. Mais il a réveillé un sentiment très profond de la société polonaise que l’on découvre moins sous l’emprise de l’Eglise que l’on croyait. Il a révélé un besoin de liberté qui croît et qui annonce un changement de génération et, sans doute, à terme, des bouleversements sur le plan politique. Le Tribunal constitutionnel, le gouvernement, l’Eglise ont cru profiter de la crise du Covid-19 pour frapper un grand coup. Ils ont sous-estimé le degré de résistance de la société polonaise.

André Crettenand

andre.crettenand@rts.ch

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