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"Mulan" lève le voile sur l'influence grandissante de la Chine à Hollywood

Le film Mulan est sorti vendredi sur les écrans de cinéma chinois. [AFP - Greg Baker]
L’impact grandissant de la Chine dans les productions d’Hollywood / Tout un monde / 6 min. / le 14 septembre 2020
Alors que la sortie du film "Mulan" en Chine fait l'objet d'appels au boycott après le tournage de certaines scènes au Xinjiang, la nouvelle superproduction de Disney met en lumière l'impact grandissant de la Chine sur Hollywood.

Le film "Mulan" est sorti vendredi sur les écrans de cinéma chinois. Privée de sortie en salle dans la plupart des pays pour cause de Covid-19, la superproduction de Disney espérait capitaliser en Chine. Or les autorités ont ordonné aux médias de ne pas couvrir l’évènement. En cause les condamnations internationales depuis les révélations, la semaine dernière, de plusieurs scènes tournées au Xinjiang – région où Pékin mène une violente répression à l'encontre de ses minorités musulmanes.

La polémique dérange visiblement les autorités, soucieuses de ne pas afficher ces critiques internationales à domicile. A cette publicité réduite s'ajoutent les premiers avis des spectateurs chinois, mauvais. Le film recueille une note de 4,9 sur 10 sur le site chinois Douban. "Mulan est à l’image de la nourriture servie dans un restaurant chinois en Europe ou aux Etats-Unis: décevante", écrit par exemple un internaute.

Entre polémiques et premières diffusions en demi-teinte, Mulan vire au fiasco pour Disney qui fait également face au mécontentement d’une partie du public occidental. L’entreprise avait pourtant mis les petits plats dans les grands pour courtiser le deuxième marché mondial du cinéma. Deux cents millions de dollars, une brochette de stars chinoises et hongkongaises, ainsi que des paysages époustouflants pour mettre en scène cette légende traditionnelle populaire. Cette superproduction constitue un clair appel du pied à l’alléchant marché chinois.

Le film "Mulan" est sorti vendredi dans les salles obscures chinoises. [Keystone - EPA/ALEX PLAVEVSKI]
Le film "Mulan" est sorti vendredi dans les salles obscures chinoises. [Keystone - EPA/ALEX PLAVEVSKI]

Autocensure d'Hollywood

En 2018, la Chine a vu fleurir 25 salles obscures par jour. Elle en compte désormais environs 60'000, contre 40'000 aux Etats-Unis. Ces chiffres révèlent l’engouement en Chine pour le septième art. Au moment où les ventes de billets en Europe et en Amérique du Nord sont en baisse, les Chinois, eux, se ruent au cinéma.

De quoi faire saliver Hollywood, qui doit cependant composer avec la censure draconienne du Parti communiste et une compétition féroce: 34 films seulement sont autorisés à être diffusés en Chine chaque année. Le Wall Street Journal le révélait la semaine dernière; pour éviter toute complication, Disney avait fait relire le script de "Mulan" par les autorités chinoises avant le tournage, en y intégrant leurs "suggestions".

Si les sociétés de production se soumettent ainsi à la censure chinoise, le Parti communiste n’a généralement pas besoin d’intervenir. "La plupart du temps, Hollywood se livre à l’autocensure. Les Chinois savent l’appétit pour leur marché et laissent les studios de cinéma décider eux-mêmes ce qu’ils désirent inclure dans leurs films", explique Stanley Rosen. Ce sinologue et professeur de relations internationales à l'Université de Californie du Sud a récemment participé à la rédaction d’un rapport mettant en lumière l’impact de la censure de Pékin sur Hollywood. "C’est plus insidieux que la censure directe. Cette autocensure est imperceptible, invisible" s’alarme-t-il.

Consultants chinois

Les sociétés de production américaines recourent régulièrement à des consultants chinois et disposent également de bureaux en Chine dont le rôle est de les conseiller directement. "Il est plus économique de voir son film validé du premier coup plutôt que d’avoir à faire des coupes, ou pire, réécrire une partie du script et retourner des scènes", souligne Stanley Rosen.

En juin dernier, l’acteur américain Richard Gere témoignait de cette influence croissante face à une commission du Congrès américain. "Je le vois dans tous les sociétés de production. J’y ai moi-même récemment été confronté avec un film dont le script se déroule en partie en Chine. Les producteurs ont subi des pressions parce que je suis proche du dalaï lama. De célèbres actrices chinoises, approchées pour l’un ou l’autre rôle, ont refusé de participer. Leurs carrières seraient ruinées." Et Richard Gere d’ajouter: "Imaginez 'Kundun', le film de Martin Scorsese sur la vie du dalaï lama ou encore mon film, 'Red Corner', très critique envers la Chine. Personne n’accepterait de les produire aujourd’hui."

Excuses de Disney

L'affiche du film "Kundun", sorti en 1997. [Dune Films/AFP - Collection Christophel © De Fina Cappa]
L'affiche du film "Kundun", sorti en 1997. [Dune Films/AFP - Collection Christophel © De Fina Cappa]

"Kundun", produit par Disney en 1997, avait provoqué les foudres de Pékin. De nombreux films, dont la version animée de Mulan sortie en 1998, ont été interdits en Chine en représailles. Michael Eisner, patron de Disney, s'était confondu en excuses quelques années plus tard. Face au Premier ministre de l’époque Zhu Rongji, il n’avait pas hésité à qualifier le film d'"erreur stupide". "Ce film était une insulte à nos amis, mais mis à part les journalistes, très peu de gens l’ont vu" avait déclaré le PDG lors de son entrevue, s’offrant ainsi les clés de l’empire du milieu.

Un exercice de contrition qui ne surprend pas Stanley Rosen: "Les résultats du box-office chinois font d’un film un succès ou un échec." Pékin a indirectement mis le grappin sur les grands films commerciaux à gros budget. Hollywood s’adapte. Dans la réédition de Top Gun, la Paramount a par exemple gommé les drapeaux taïwanais et japonais de la veste d’aviateur de Tom Cruise.

L'adaptations du livre World War Z voit la Corée du Nord remplacer la Chine comme lieu d’apparition d’un dangereux virus. Contrairement à l’époque de la Guerre froide où les "méchants" étaient russes, ils ne sont jamais chinois aujourd’hui. Hollywood évite aussi les acteurs de certaines origines ou les références au Tibet par exemple. Un excès de zèle risqué, met en garde Stanley Rosen: "Le risque, c’est de fâcher les gens, de donner l’impression d’une capitulation face aux valeurs chinoises. C’est le cas avec 'Mulan' et je ne serais pas surpris de voir Disney et d’autres représentants de studios convoqués au Congrès pour défendre leurs films."

Eviter les références positives

Loin d’être un simple enjeu artistique ou de marketing, cette censure prend désormais une dimension politique. Le découplage en marche avec la Chine et la probabilité d’une réélection de Donald Trump menace Hollywood, qui pourrait être prise au piège.

Un piège que tentent de contourner les maisons de production en évitant les références positives à la Chine. "On ne verra plus les flagorneries comme dans le film catastrophe '2012', où lorsque le déluge s’abat sur le monde, on demande à la Chine de construire des arches et où le héros déclare: laissez ça aux Chinois, eux-seuls peuvent y arriver", indique Stanley Rosen.

Des appels du pied plus discrets devraient cependant continuer. Entre le placement de marques et de produits chinois, les références culturelles subtiles et une autocensure invisible, Hollywood continuera de courtiser le public chinois. "Ils sont très créatifs pour ça. Et surtout, vous ne saurez jamais quels films n’ont pas vu le jour ou quels projets ont été abandonnés", conclut Stanley Rosen.

Michael Peuker

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