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"Le risque nucléaire est plus élevé que pendant la guerre froide"

Géopolitis: Confrontation nucléaire [Reuters - Carlos Barria]
Confrontation nucléaire / Geopolitis / 26 min. / le 7 juin 2020
La course aux armements nucléaires reprend avec de nouveaux missiles toujours plus rapides et précis, mais aussi avec l'abandon progressif de plusieurs traités internationaux de contrôle de l'armement.

Les stocks d'armes nucléaires sont en diminution constante depuis la guerre froide. Pourtant la tension et la compétition entre les grandes puissances qui détiennent ces arsenaux ne cessent de s'accroître.

Pour Marc Finaud, invité de Géopolitis, la menace nucléaire n'a jamais été aussi importante. "Nous sommes dans une situation de risque de guerre nucléaire plus élevé que pendant la guerre froide", souligne cet ancien diplomate français, aujourd'hui rattaché au Centre de politique de sécurité de Genève (GCSP). Les États-Unis, la Corée du Nord ou Israël ont encore tout récemment effectué des tests de missiles, en pleine crise sanitaire mondiale. Et le président américain Donald Trump envisagerait même de reprendre des essais nucléaires, abandonnés depuis 1992, selon des fuites révélées par le Washington Post.

La dissuasion nucléaire reste centrale dans la stratégie officielle des États. En janvier dernier, Donald Trump le soulignait encore lors d'une allocution: "le fait de disposer de cette grande armée et de cet équipement ne signifie pas pour autant que nous devons les utiliser. Nous ne voulons pas les utiliser. La puissance américaine tant militaire qu'économique est le meilleur moyen de dissuasion".

Mais selon Marc Finaud, les dernières innovations militaires sont en contradiction avec ce principe. "Il y a une évolution des doctrines mais aussi surtout des technologies, des armements qui montrent qu'on se dirige vers un emploi de ces armes", analyse le spécialiste. "Le but n'est plus de les garder à titre préventif, mais bien de les employer. Donc on a des missiles plus rapides, plus précis, mais surtout capables d'être utilisés dans la bataille nucléaire."

Le but n'est plus de garder ces armes à titre préventif, mais bien de les employer.

Marc Finaud, conseiller en sécurité et désarmement au GCSP

Missiles hypersoniques

Parmi ces nouvelles armes, les capacités hors-normes des missiles dit hypersoniques sont brandies par plusieurs États. Ils ont l'avantage d'être très rapides - cinq fois la vitesse du son pour le prototype américain - et facilement manoeuvrables, même à basse altitude. Les États-Unis, la Russie et la Chine ont déjà testé ces armes qui pourraient déjouer n’importe quels boucliers, y compris les systèmes de défense américains. Le Royaume-Uni, la France et l’Inde développent aussi des programmes.

Parallèlement à cette course, plusieurs traités internationaux qui avaient permis de contrôler et de limiter la taille des arsenaux depuis la guerre froide sont abandonnés ou menacés de l'être. L'année dernière, Donald Trump a dénoncé le Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI) qui interdisait le déploiement de missile d'une portée de 500 à 5500km. Il avait été signé en 1987 par Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev. Le 21 mai dernier, c'est un autre accord qui a été dénoncé par le président américain: le Traité Open Skies, signé en 1992, réglemente les vols de surveillance militaire entre 35 pays signataires.

Enfin, tout semble annoncer la mort du Traité New Start qui arrive à échéance en février prochain alors qu'aucune négociation n'a été lancée pour le remplacer. Donald Trump réclame que la Chine intègre les discussions. Mais Pékin ne semble pas intéressée. Le New Start avait été signée par Barack Obama et Dmitri Medvedev en 2010 avec pour objectif de diminuer le nombre d'ogives nucléaires et de missiles de longue portée (plus de 5500 km).

Une dangereuse escalade

Pour Marc Finaud, Washington envoie un mauvais signal, même s'il reconnaît que la Russie a régulièrement violé ses engagements en matière de désarmement. "C'est donner carte blanche à l'adversaire pour continuer à tricher", explique l'ancien diplomate, "mais c'est aussi un encouragement pour développer, soi-même, de nouveaux systèmes. Donc au lieu d'avoir un système juridique qui tend à la réduction et à l'élimination, on est dans un système d'escalade et de course aux armements."

Cette situation inquiète de plus en plus d'experts. Certains se sont même publiquement engagés pour la suppression totale des armes nucléaires. "Regardez Global Zero qui est l'un des principaux think tanks américains. Ses membres sont d'anciens ministres, généraux, ambassadeurs qui ont tous travaillé en faveur de la dissuasion nucléaire, mais ils sont convaincus désormais qu'elle était dangereuse et inefficace. Et qu'il fallait abolir ces armes avant qu'elles ne nous abolissent", conclut Marc Finaud.

Elsa Anghinolfi

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Le business de l'armement

Les dépenses militaires ont connu, en 2019, une hausse record depuis une décennie. Au total, 1917 milliards de dollars ont été consacrés aux budgets militaires dans le monde. C'est 3,6% de plus qu'en 2018, selon les données de l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI). En tête des pays qui exportent le plus d'armement, les Etats-Unis fournissent à eux seuls plus d’un tiers des exportations mondiales. Ils sont suivis par la Russie et la France. Côté importations, c'est l'Arabie saoudite qui achète le plus d'armes, devant l'Inde et l'Egypte.

Pour mémoire, le monde compte encore plus de 13'000 ogives nucléaires, bien moins qu’à l’époque de la guerre froide. Ces arsenaux sont détenus par neuf États, avec en tête du classement la Russie (6370 ogives), suivie des États-Unis (5800), de la Chine (320), la France (290), le Royaume-Uni (195), le Pakistan (160), l'Inde (150), Israël (90) et la Corée du Nord (35).