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Pourquoi la "diplomatie du masque" se révèle contre-productive pour Pékin

Valérie Niquet. [YouTube]
Covid-19 et soft power chinois: interview de Valérie Niquet / La Matinale / 7 min. / le 22 avril 2020
La Chine a réussi à juguler l'épidémie de coronavirus et prône l’efficacité de son système de gouvernance par rapport aux démocraties occidentales. Mais sa "diplomatie du masque", toujours plus critiquée, met surtout en lumière le vrai visage du pouvoir chinois aujourd'hui.

Nombre d’experts ont décrit l’envoi chinois de matériel médical à l’étranger comme une tentative pour le pays de redorer son blason et faire oublier ses responsabilités dans la propagation du virus. Mais ces efforts de Pékin pour réécrire à son avantage la pandémie s'avèrent aujourd'hui contre-productifs.

"Initialement ils ont porté leurs fruits, notamment en direction de l'Italie ou d'autres pays d'Europe orientale, mais cette diplomatie s'apparentait beaucoup plus à de la propagande", relève Valérie Niquet, responsable du pôle Asie à la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS) à Paris, mercredi dans La Matinale.

La Chine utilise ses capacités 'd'offrir' des masques ou du matériel médical pour sa propagande.

Valérie Niquet

"Et assez rapidement, les Etats européens ont été choqués de voir que la Chine mettait tant d'action sur son aide alors que, quand elle-même recevait de l'aide de l'Europe, elle avait demandé beaucoup de discrétion pour ne pas perdre la face".

Cette spécialiste constate par ailleurs que ces livraisons de masques chinois dont on a beaucoup parlé sont en réalité beaucoup plus difficiles à obtenir que ce qui avait été prévu initialement.

"La Chine utilise ses capacités 'd'offrir' des masques ou du matériel médical pour sa propagande", souligne-t-elle, mais "il y a eu des problèmes de qualité également, on l'a vu en Espagne ou aux Pays-Bas. Donc finalement, c'est plutôt contre-productif pour le pouvoir chinois".

La Chine n'a pas été transparente, ni avant ni aujourd'hui.

Valérie Niquet

Ces efforts diplomatiques ont aussi pour but de taire les critiques émises dès janvier à l'encontre de Pékin. "Ce n'est évidemment pas de la faute de la Chine si des pandémies apparaissent", souligne Valérie Niquet, "mais il y a le non-respect de règles sanitaires strictes, que ce soit dans d'éventuels laboratoires ou surtout le plus probablement dans un marché".

Les autorités chinoises ont commencé par dissimuler la gravité de l'épidémie, rappelle la chercheuse française, "peut-être parce qu'elle ne s'en est pas vraiment rendu compte", mais surtout pour des raisons économiques. "Cela n'enlève pas évidemment la responsabilité des autres Etats qui se sont mal préparés, mais on voit bien qu'il y a eu un manque de prise de conscience qui repose aussi sur le fait que la Chine n'a pas été transparente, ni avant ni aujourd'hui. On a du mal à savoir ce qui se passe vraiment".

Ce qui compte à Pékin, c'est l'intérêt du parti communiste.

Valérie Niquet

Ce qu'il faut que l'on comprenne, explique Valérie Niquet, c'est qu'à Pékin ce n'est pas tellement l'intérêt de la Chine en tant qu'Etat qui compte, "c'est l'intérêt du parti communiste dont la priorité est de rester au pouvoir. Et donc l'affirmation nationaliste fait aussi partie de la stratégie de survie et de légitimité, surtout en période de crise interne comme on le voit aujourd'hui avec la crise sanitaire mais aussi la crise économique que la Chine traverse".

Certains prétendent que l’Occident va ressortir affaibli de cette crise au profit de la Chine, qui va prendre un rôle de leader dans l’ordre mondial, mais Valérie Niquet n'y croit pas. "On s'aperçoit que, vu les réactions très négatives aux Etats-Unis, en Europe et en Afrique, il serait très étonnant de voir la Chine émerger comme un leader responsable et fiable sur la scène internationale (…) "Elle se tire une balle dans le pied et d'une manière qui a permis de voir pour beaucoup de gens ce qu'était le pouvoir chinois aujourd'hui".

La dépendance à l'égard de la Chine impose de se poser des questions.

Valérie Niquet

En revanche, cette crise va changer à terme les rapports entre la Chine et l'Occident. "C'est une autre prise de conscience, cette dépendance à l'égard de la Chine dans toute une série de secteurs, sanitaire mais pas uniquement. Cela impose de se poser des questions sur une globalisation totalement focalisée sur un seul pays et ça pourrait entraîner non pas des relocalisations mais une régionalisation et une diversification des zones de production qui pèserait bien sûr sur la future croissance de la Chine elle-même".

La chercheuse du FRS souligne encore que la Suisse, qui entretient des relations privilégiées avec Pékin, "peut contribuer à faire comprendre à la puissance chinoise que si on ne respecte pas certaines règles ou certaines normes internationales, c'est extrêmement dommageable à la fois pour la Chine elle-même et pour le reste du monde".

Propos recueillis par Valérie Hauert/oang

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