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De plus en plus d'Etats conseillent le port du masque à leur population

Le Chancelier autrichien Sebastian Kurz porte un masque lors d'une session parlementaire dans le palais Hofburg, à Vienne, le 3 avril 2020. [Keystone - Christian Bruna]
Le Chancelier autrichien Sebastian Kurz porte un masque lors d'une session parlementaire dans le palais Hofburg, à Vienne, le 3 avril 2020. - [Keystone - Christian Bruna]
Un temps réservé à l'Asie, le port du masque universel est de plus en plus conseillé par les administrations occidentales pour lutter contre la pandémie de coronavirus. En Autriche, il est devenu obligatoire pour faire ses courses, en République tchèque, en Slovénie ou en Slovaquie, dans l'ensemble de l'espace public. Les Etats-Unis viennent quant à eux de le recommander.

C'est peut-être un tournant auquel on assiste dans la gestion de la crise sanitaire. Alors qu'à l'exception de l'Asie, la plupart des gouvernements jugeaient le port universel du masque "inutile", voire "inefficace", la donne semble être en train de changer.

Cette transformation de paradigme touche aussi le monde académique, où de nombreuses voix s'élèvent désormais pour appeler à une généralisation de son utilisation.

Tour d'horizon des nouvelles mesures et conseils

Il y a peu de temps encore, un front commun bâti sur les directives de l'OMS semblait exister. L'Organisation mondiale de la santé continuait jusqu'à vendredi à ne préconiser le port du masque qu'aux personnes infectées et à celles qui auraient des contacts étroits avec des individus contaminés. Mais le consensus semble peu à peu se fissurer.

Depuis mercredi, les citoyens autrichiens sont dans l'obligation de porter des masques s'ils entendent effectuer leurs commissions. S'ils ne disposent pas de cette protection, ce sont les employés des supermarchés qui la leur fournissent. A terme, le pays entend d'ailleurs l'exiger dans l'ensemble de l'espace public.

>> Revoir le reportage du 12h45 sur le port obligatoire du masque dans les supermarché :

En Autriche, le port du masque est dorénavant obligatoire dans les supermarchés.
En Autriche, le port du masque est dorénavant obligatoire dans les supermarchés. / 12h45 / 2 min. / le 3 avril 2020

Et au Chancelier Sebastian Kurz d'expliquer: "Il s'agit de protections bouche-nez, moins sophistiquées que celles des soignants. Elles permettront de protéger d'autres personnes et de réduire la transmission de l'épidémie. Cette mesure supplémentaire ne remplace pas les autres gestes indispensables comme la distanciation sociale ou le lavage de mains".

>> Lire aussi : Le masque est-il utile pour tous? La question continue de faire débat

Dans l'Union européenne, c'est la République tchèque qui a fait office de pionnière en décrétant dès le 19 mars le port obligatoire dans l'espace public. Notons toutefois que cette directive n'oblige pas les citoyens à utiliser du matériel médical, comme les masques chirurgicaux, ou les fameux FFP2, mais tout simplement à se couvrir le nez et la bouche, avec du matériel sans aucun doute moins performant, comme des masques "faits maison" ou même des écharpes.

En République Tchèque, le port du masque a été rendu obligatoire dans l'espace publique. [Keystone - Martin Divisek]

D'autres pays d'Europe centrale comme la Slovaquie, la Slovénie ou la Bulgarie ont depuis également élaboré le même genre de législation, plus ou moins contraignante selon les cas.

Mais ce virage sur la "politique du masque"a pris une toute autre dimension vendredi alors que les Etats-Unis ont décidé de le recommander pour tous.

Aux Etats-Unis, vers une politique non-contraignante

Le président Donald Trump a donc annoncé que les autorités sanitaires conseillaient désormais aux Américains de se couvrir le visage lorsqu'ils sortent de chez eux.

Cette décision marque un véritable tournant dans la politique de prévention élaborée jusqu'alors aux Etats-Unis, où tant la Maison Blanche que le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) jugeaient l'utilisation du masque inutile.

Jerome Adams, chirurgien général des Etats-Unis, s'était d'ailleurs lui aussi illustré à la fin du mois de février, en appelant les Américains sur Twitter à ne pas se procurer cette protection: "Sérieusement les gens, ARRÊTEZ D'ACHETER DES MASQUES, Ils ne sont PAS efficaces pour empêcher le grand public de contracter le coronavirus, mais si les soignants ne peuvent pas en avoir, cela crée un risque pour eux et nos communautés".

Mercredi, le médecin avait pourtant lui aussi semblé faire machine arrière, en annonçant sur un plateau de la NBC avoir demandé au CDC d'enquêter, afin de savoir si cette recommandation devait changer.

Il est difficile de connaître avec précision les raisons qui expliquent ces retournements de politiques mais la pression du monde médiatique et, surtout, académique semble avoir joué un rôle non négligeable.

>> Voir le sujet du 12h45 :

Les autorités américaines recommandent désormais le port du masque, Trump, lui, n'en portera pas.
Les autorités américaines recommandent désormais le port du masque, Trump, lui, n'en portera pas. / 12h45 / 1 min. / le 4 avril 2020

Des critiques venues d'abord d'Asie

Si tout le monde scientifique semble s'accorder sans trop de nuance sur l'importance de donner en priorité des équipements de protection au personnel médical, les critiques envers les discours proclamant une "inefficacité" des masques pour le grand public ne cessent de se développer.

Les premières salves sont sans surprise venues d'Asie, où de nombreux pays ont l'habitude d'encourager l'usage universel du masque lors de chaque épidémie.

Plusieurs experts de la région ont très vite recommandé l'emploi à grande échelle du masque, pour éviter la propagation du virus. C'est par exemple le cas du microbiologiste hongkongais Yuen Kwok-yung qui, après avoir pu visiter la ville chinoise de Wuhan, point de départ du Covid-19, a immédiatement préconisé l'utilisation universelle du masque dans la cité-Etat.

C'est aussi le cas de Kim Woo-Joo, spécialiste des maladies infectieuses à l'hôpital universitaire Guro de Séoul, qui donnait son point de vue lors d'une interview pour la chaîne Youtube Asian Boss: "Le chirurgien général des Etats-Unis a dit que les gens n'avaient pas besoin de porter de masques et l'OMS fait les mêmes recommandations, mais je me dois d'être en désaccord. Porter un masque aide. Autrement, pourquoi les docteurs en porteraient dans les hôpitaux ?"

Enfin, le 27 mars, c'était au tour de Gao Fu, directeur général du Centre chinois de contrôle et prévention des maladies, d'expliquer dans la très sérieuse revue Science que la plus grande erreur en Europe et aux Etats-Unis était de ne pas encourager les gens à porter des masques:

"Aux États-Unis et en Europe, la grosse erreur, à mon avis, est que les gens ne portent pas de masques. Ce virus est transmis par des gouttelettes et un contact étroit. Les gouttelettes jouent un rôle très important - vous devez porter un masque, car lorsque vous parlez, il y a toujours des gouttelettes qui sortent de votre bouche. De nombreuses personnes ont des infections asymptomatiques ou présymptomatiques. S'ils portent des masques faciaux, cela peut empêcher les gouttelettes qui transportent le virus de s'échapper et d'infecter les autres."

Une narration en partie guidée par la pénurie ?

En Europe et aux Etats-Unis, de nombreuses personnalités interviennent dans les médias pour expliquer que la rhétorique sur la présupposée inefficacité des masques est guidée par des pénuries et le besoin d'assurer des stocks suffisants pour le personnel soignant. Elles appellent toutes à une plus grande honnêteté dans le discours.

Ainsi, pour Zeynep Tufecki, professeur associée en Science de l'Information à l'Université de Caroline du Nord et dont les propos ont déjà été relayés par RTSinfo, "les masques fonctionnent (...) et même si c'est imparfait, ils offrent une protection réelle."

S'exprimant dans le Washington Post, Jeremy Howard, de l'Université de San Francisco, estime quant à lui que ces discours rentreront dans les livres d'histoire: "Lorsque les historiens recenseront les nombreux faux pas des décideurs politiques lors de cette pandémie, la pression insensée et non-scientifique sur le public pour qu'il évite de porter des masques sera probablement proche du sommet."

Enfin, dans une prise de position, le mensuel américain Wired explique que "les masques fonctionnent". De son côté, Médiapart sous-entend dans une large enquête que l'Etat français a volontairement expliqué que "les masques étaient inutiles" ou encore qu'ils étaient "trop difficiles à utiliser" car il faisait face à une pénurie au niveau national.

25 mars: le président français Emmanuel Macron masqué lors de sa visite de l'hôpital de campagne de Mulhouse. [Keystone - Mathieu Cugnot]

Mais quand est-il alors du point de vue scientifique ? Les masques fonctionnent-ils théoriquement pour tout le monde ? Sont-ils conseillés pour tous lors d'une épidémie ? Il est bien sûr difficile d'effectuer un scanner détaillé de toutes les publications, mais de nombreuses études sérieuses semblent pencher vers le "oui".

Utile pour limiter la propagation ?

Vendredi, une étude publiée dans Nature Medecine a ainsi tenté de répondre à cette question. Résultats, les masques faciaux pourraient bel et bien aider à limiter la pandémie du Covid-19.

Dans l'étude, qui base ses tests sur la grippe et d'autres coronavirus humains, l'utilisation de masques chirurgicaux par les personnes atteintes réduit considérablement la détection de gouttelettes secrétées à travers la respiration ou la toux.

L'enquête, basée sur un échantillon de 246 personnes, a pu détecter un coronavirus dans des gouttelettes respiratoires dans 30% des cas et 40% dans les aérosol, chez les personnes qui ne portaient pas de masque. Pour ceux qui portaient un masque chirurgical, le virus n'a pas été détecté.

Bien que cette étude ne concerne pas directement le Covid-19 mais des virus de la même famille, il semble donc bien que la contamination puisse être limitée par le port d'un masque.

La publication a très rapidement été jugée "extrêmement importante" par de nombreux spécialistes, virologues et épidémiologistes à travers le monde, qui ont montré leur enthousiasme sur Twitter.

Notons enfin que des études plus anciennes s'étaient aussi penchées sur l'efficacité des masques dits "faits maisons". C'est notamment le cas d'une enquête publiée en 2013 aux presses universitaires de Cambridge.

Celle-ci expliquait qu'en moyenne, ces masques faits de coton étaient "trois fois moins efficaces qu'un masque chirurgical classique" mais qu'ils "réduisaient de manière significative le nombre de micro-organismes expulsés par les volontaires".

Des propos confirmés depuis par plusieurs infectiologues, qui expliquent qu'il vaut mieux une protection rudimentaire que pas de protection du tout.

Le "masque pour tous" pourrait-il donc devenir une vraie stratégie lors d'une prochaine pandémie, ou lorsque les pays devront peu à peu sortir de leur confinement ? La question n'est pas tranchée, car si des Etats semblent se rapprocher de cette idée, l'OMS restait jusqu'à présent inflexible dans ses directives.

Une porte semble toutefois s'être là-aussi ouverte vendredi, car l'Organisation mondiale de la santé a déclaré lors d'une conférence de presse qu'elle était prête à ouvrir la voie à un usage accru des masques, même artisanaux, par le grand public.

En Suisse, l'OFSP a jusqu'à présent suivi de manière continue la ligne de l'organisation onusienne.

Tristan Hertig

Note: Plusieurs études récentes émettent l'hypothèse que le virus pourrait également se transmettre dans l'air ambiant, via les aérosols et pas uniquement par les gouttelettes respiratoires. Parce que la question reste pour l'instant encore débattue, nous ne l'avons pas inclue dans cet article. Si cela devait être confirmé, il est évident que le changement de politiques des différents gouvernements s'expliquerait de manière encore plus claire.

Des personnes portent des masques à Genève. [Keystone - Salvatore Di Nolfi]Keystone - Salvatore Di Nolfi
Changeant de discours, l’OMS a prôné vendredi un port du masque à grande échelle / Le 12h30 / 1 min. / le 4 avril 2020

>> Ecouter le sujet du 12h30:

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Bientôt au tour de la France et de l'Allemagne ?

En Allemagne, l'Institut Robert-Koch, l'établissement de référence en santé publique, a encouragé vendredi les citoyens à porter en public des masques faits maison. Un avis partagé en France par l'Académie de médecine: elle a jugé vendredi qu'un masque "grand public" devrait être rendu obligatoire pour les sorties pendant et après le confinement.

Le gouvernement français lui-même a infléchi sa position en annonçant la fabrication de masques "alternatifs", autres que médicaux. Des tutoriels de fabrication de masques artisanaux circulent largement sur internet, parfois émanant d'hôpitaux ou de sociétés savantes.

ats/ther