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Plongée dans le vide juridique de l'espace

Il y a actuellement plus de 20'000 débris spatiaux de plus de 10 cm de diamètres en orbite autour de la Terre. [Nasa]
Vide juridique autour de la conquête de l’espace: interviews de Fabian Jordan et Caroline Charbonnel / Forum / 8 min. / le 9 novembre 2019
L'arrivée massive d'acteurs privés dans l'espace pose de nouveaux problèmes. Alors que plus de 20'000 débris tournent déjà autour de la Terre, des dizaines de milliers de petits satellites s'y ajouteront prochainement. Et la réglementation spatiale reste floue en cas d'accident.

Il y a toujours plus d'objets en orbite. Et ce n'est qu'un début. L'entreprise spatiale d'Elon Musk (Tesla) SpaceX prévoit d'envoyer le 11 novembre une nouvelle série de satellites. Au total, elle devrait en lancer 42'000, alors qu'aujourd'hui seulement 2000 satellites tournent autour de la Terre. L'objectif est d'offrir une couverture mondiale d'internet depuis l'espace.

Il faut dire que l'espace est le nouvel Eldorado pour les investisseurs privés. Le secteur devrait rapporter un billion de dollars en 2040 (mille milliards), selon une estimation de la banque Morgan Stanley. Les start-ups se multiplient et lancent régulièrement des satellites. Il y en a eu plus de 300 l'année dernière.

Une collision historique

Si aujourd'hui les risques de collisions entre satellites sont faibles, il y a un précédent célèbre. En 2009, le satellite commercial américain Iridium-33 et Kosmos-225, un satellite militaire russe (retiré du service), sont entrés en collision à la vitesse de 11,6 km/s. Il en a résulté plus de 600 débris qui tournent désormais en orbite.

Qui est fautif dans ce cas? Tout est sujet à interprétation. Iridium connaissait l'orbite du satellite russe et avait la technologie pour éviter la collision. Les Russes, eux, n'étaient pas censés laisser leur satellite aussi longtemps en orbite. Il n'existe pas d'obligations claires. Pas de règles précises. Et qui est responsable des dégâts causés par les débris de l'accident? Les questions restent ouvertes.

Cet accident extraordinaire est arrivé alors qu'il y avait moins de satellites autour de la Terre. Imaginez désormais une centaine de milliers de satellites qui se croisent chaque seconde.

"Le risque de collision augmente. Il faut désormais prendre ce risque en compte au moment même de la conception", estime Fabien Jordan, co-fondateur d'Astrocast, une start-up de l'EPFL qui prévoit d'envoyer une centaine de satellites.

Pour le patron de l'agence spatiale française, Jean-Yves Le Gall, "SpaceX ne fait rien qui contrevienne à des règles. Le problème est qu'il n'y a pas de règles", poursuit-il. "Il y a des aiguilleurs du ciel pour les avions, on va arriver à un système identique".

"L'idéal serait d'avoir une loi internationale, mais cela prendrait des décennies", admet Jan Wörner, le chef de l'Agence spatiale européenne.

Code de bonne conduite

Alors les agences et l'industrie placent leurs espoirs dans des règles volontaires de bonne conduite définissant espacement entre constellations de satellites, procédures de coordination, échanges de données... Des codes, standards et textes sont nés depuis les années 1990, notamment sous l'égide de l'ONU.

L'une des dernières chartes a été produite par la Space Safety Coalition. Trente-quatre acteurs, dont Airbus, Intelsat ou le projet de constellation OneWeb, l'ont signée à ce jour.

Le problème de ces chartes est qu'il suffirait qu'un grand groupe ne les respecte pas pour tout gâcher.

Pas de loi suisse

Pourtant, le "droit de l'espace" est une branche établie du droit international et les premiers instruments juridiques régissant les vols spatiaux remontent aux années 1960. Le traité sur l'espace extra-atmosphérique prévoit que les États doivent réglementer les activités spatiales privées.

De nombreux Etats ont déjà mis en place des lois. C'est le cas notamment de la France et de l'Angleterre, mais aussi de pays plus petits comme l'Autriche, la Finlande ou le Portugal.

Pour l'heure, la Suisse n'a pas de loi spécifique sur l'espace. Fabien Jordan souhaiterait, lui, "un encadrement plus précis pour forcer les entreprises à maîtriser les risques de collision. Sans toutefois être trop restrictif pour ne pas étouffer un secteur en plein développement".

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Pascal Wassmer/afp

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