Ministre, combattants ou fille de président, ils ont trouvé refuge à Neuchâtel

Grand Format

Mouna Hussain - RTS

Introduction

De vice-ministre afghan, fille de président iranien, chef de parti colombien ou combattant érythréen, ils sont devenus kiosquier, vendeur en supermarché ou restaurateur de ferme. Quatre personnes poussées à l'exil racontent à la RTS leur parcours hors du commun dans leur pays d'origine, puis leur renaissance en terres neuchâteloises. Récits d'exil.

Récit 01
Efrain Avella, de militant politique colombien à restaurateur du patrimoine neuchâtelois

Mouna Hussain - RTS

Récit 02
Zahra Banisadr, de fille de président iranien à citoyenne neuchâteloise engagée

Mouna Hussain - RTS

Zahra voue à son père une admiration sans borne. "Il n’y a pas de mots pour décrire mon lien avec lui… Il est tout." Lui, c’est Abolhassan Banisadr, premier président de la République d’Iran après la révolution qui provoqua la chute du Shah. Avant cela, en tant qu’opposant politique, il doit s’exiler dès 1963 à Paris, où naît Zahra.

Photo représentant Zahra Banisadr enfant, avec son père Abolhassan Banisadr. [RTS]Photo représentant Zahra Banisadr enfant, avec son père Abolhassan Banisadr. [RTS]

C’est à l’âge de 5 ans que la fillette découvre pour la première fois son pays d’origine. Elle se souvient surtout de l’air chaud à la sortie de l’avion, de l’odeur de jasmin et de l'accueil familial.

Ce n’est qu’à son second séjour en Iran que Zahra ressent le climat tendu, et s’effraie devant la présence de policiers et militaires dans les rues.

Lorsque son père est élu président à une large majorité en 1980, Zahra Banisadr espère pouvoir vivre en Iran. Mais l’absence de ses parents et une scolarité éprouvante la font rentrer en France trois mois plus tard.

Le président iranien Abolhassan Banisadr en septembre 1980. [Mohammad Sayyad - Keystone]Le président iranien Abolhassan Banisadr en septembre 1980. [Mohammad Sayyad - Keystone]

En juin 1981, c’est à travers leur poste de télévision qu’elle et sa sœur, seules à Paris, vivent la destitution de leur père lors d’un coup d’état.

"Je m’en souviens très bien. C’était en plein préparatifs du mariage de Lady Diana. On avait très peur et personne ne répondait au téléphone. Mon père est rentré le 29 juillet 1981, jour du mariage princier. Son arrivée a esquivé cet événement dans les médias français." Depuis, son père vit en exil.

Zahra, elle, termine ses études en droit et relations internationales. C’est l’amour qui la fait quitter les quartiers latins et animés de Paris, pour venir s’installer dans le calme du canton de Neuchâtel.

>> Voir le témoignage de Zahra Banisadr en vidéo:

zahra banisadr [RTS]
L'actu en vidéo - Publié le 1 août 2019

Si les premiers temps d’adaptation sont difficiles pour cette femme habituée à la frénésie parisienne, elle s'entoure rapidement de personnes qui deviennent des piliers dans sa vie. Elle lance une start-up, fonde une association pour promouvoir une citoyenneté active, ainsi que plusieurs projets culturels et éducatifs.

Aujourd’hui spécialiste en migration et en relations interculturelles au service de la cohésion multiculturelle du canton, Zahra se sent dans son élément et reconnaissante. "C’est Neuchâtel et la Suisse qui m’ont donné des opportunités pour m’épanouir, et ça je ne l’oublie pas."

Même si elle n'y est plus retournée depuis l'enfance, Zahra reste étroitement liée à l’Iran. Observer de loin l’actualité tumultueuse de ce pays représente pour elle une souffrance, mais pas un désespoir. "Quand on souhaite le bien-être de ses compatriotes et la liberté pour son pays, c’est un combat permanent, explique-t-elle. Ce combat n’est jamais douloureux. C’est ce qui donne sens à ma vie."

>> Ecouter le portrait de Zahra Banisadr dans la Matinale:

Zahra Banisadr, fille du premier président de la République d’Iran, engagée dans des associations culturelles à Neuchâtel. [Mouna Hussain - RTS]Mouna Hussain - RTS
La Matinale - Publié le 31 juillet 2019

Récit 03
Abdul Darmanger, du médecin héroïque et ministre afghan au kiosquier neuchâtelois

Anouk Henry - RTS

Abdul Darmanger revient tout juste d’un séjour en Afghanistan. Après 35 ans de séparation, il a retrouvé son frère, et en garde un goût amer. La tristesse des plus jeunes l’a marqué. "Mes petits-fils ici, en Suisse, ont une fraîcheur, le parfum de la vie. Ils jouent, ils rient, observe-t-il. Mais là-bas, ils n'ont pas la joie de l'enfance."

Le frère d'Abdul Darmanger, retrouvé ce printemps en Afghanistan après 35 ans de séparation. [RTS]Le frère d'Abdul Darmanger, retrouvé ce printemps en Afghanistan après 35 ans de séparation. [RTS]

La longue vie d'Abdul Darmanger a atteint des sommets, et connu des abîmes. Enfant, il s'arrache à son destin de paysan pauvre. Un peu par chance, et beaucoup par acharnement, il devient médecin, et gravit les échelons.

Il se voit confier la responsabilité d'éradiquer la variole dans le pays, mission que tous jugent impossible. Avec son équipe de 300 personnes, province après province, le médecin parvient à convaincre, éduquer, vacciner, jusqu’à libérer l’Afghanistan de ce fléau.

Cette victoire lui vaudra une distinction de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS). "J’avais atteint le sommet de la gloire, je croyais que j'étais le plus heureux du monde", se souvient-il.

Le médecin Abdul Darmanger en présence de représentants de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS). [RTS]Le médecin Abdul Darmanger en présence de représentants de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS). [RTS]

Abdul ne s’arrête pas là. Révolté par l’inaction des élites, même sans expérience, il s’engage dans la politique, et rêve de démocratie. La révolution populaire fait aboutir ses espoirs en 1977, année où il est nommé vice-ministre de la santé, puis vice-ministre des affaires étrangères.

Abdul Darmanger, le 2 septembre 1979, alors vice-ministre de la santé et des affaires étrangères. [RTS]Abdul Darmanger, le 2 septembre 1979, alors vice-ministre de la santé et des affaires étrangères. [RTS]

La vie d’Abdul Darmanger bascule lorsque l’URSS envahit son pays. Le vice-ministre refuse de lire un communiqué à la télévision saluant l’arrivée des Russes. Accusé d’être agent de la CIA, il est incarcéré pendant 8 ans, et subit de nombreuses tortures. Finalement libéré sans charges, les menaces et perquisitions le poussent à demander asile.

>> Ecouter le témoignage d'Abdul Darmanger en vidéo:

abdul darmanger [RTS]
L'actu en vidéo - Publié le 1 août 2019

En 1990, il arrive en Suisse, où une nouvelle vie l'attend. De médecin héroïque et ancien vice-ministre, il trouve du travail comme kiosquier et veilleur de nuit à Neuchâtel. "J’ai vraiment ressuscité ici en Suisse. J’ai fait beaucoup de bénévolat. Pas par obligation, mais je me sentais tellement endetté envers ce pays que je voulais faire quelque chose."

Aujourd’hui citoyen suisse et à la retraite, Abdul Darmanger suit avec passion la politique de son pays d’adoption, qui a le privilège d’être "une confrontation de sagesse, de raisonnements. Et non une confrontation des armes."

>> Ecouter le portrait d'Abdul Darmanger dans la Matinale:

Abdul Darmanger, médecin médaillé de l’OMS pour avoir éradiqué la Variole en Afghanistan, kiosquier dans le canton de Neuchâtel. [Anouk Henry - RTS]Anouk Henry - RTS
La Matinale - Publié le 30 juillet 2019

Récit 04
Luul Sebathu, de combattant érythréen à vendeur de la Migros neuchâtelois

Mouna Hussain - RTS

Luul Sebathu est très méthodique. Dans son appartement d'un quartier calme de Marin, il tient des classeurs où il range les documents et coupures de presse qui lui tiennent à cœur.

C'est aussi là qu'il conserve cette photo de sa précédente vie, en plein désert, fusil et Talkie Walkie à la main. C'était à la fin des années 70. Il combattait alors pour l'armée de libération de l'Erythrée (ELF).

Une photographie de Luul Subathu (en haut à gauche) et quatre de ses camarades de l'armée de libération de l'Erythrée, fin des années 70. [RTS]Une photographie de Luul Subathu (en haut à gauche) et quatre de ses camarades de l'armée de libération de l'Erythrée, fin des années 70. [RTS]

Luul commence le combat dès sa majorité, pour libérer son pays de l'occupation éthiopienne. Puis, la guerre civile éclate. "Je n'ai pas vraiment voulu continuer dans cette guerre civile, se souvient-il. Je la hais."

La tête et les yeux de Luul s'abaissent lorsqu'il évoque ses camarades morts au combat. Et sa voix devient plus grave, ses mots plus lourds, lorsqu'il raconte qu'en 1981, son organisation est chassée vers le désert du Soudan. Il se souvient de l'aviation qui les encercle, mais surtout du désarroi qu'il a ressenti.

Cet épisode met un terme à son engagement militaire, et le marque à vie. "J'aimerais parfois oublier, mais cette histoire m'a construit. Je ne peux pas l'effacer."  Le frère de Luul réussit à le localiser, et à le faire venir en Suisse.

>> Voir le témoignage de Luul Sebathu en vidéo:

luul sebathu [RTS]
L'actu en vidéo - Publié le 1 août 2019

Le 3 février 1982 est une date que Luul se remémore en souriant. C'est le jour où il a atterri dans le froid genevois, où il a découvert plus de neige qu'il n'en avait jamais vu, et où il s'est heurté au calme helvétique.

Luul aborde alors avec confiance sa demande d'asile, qu'on lui refuse pourtant. C'est la désillusion. "J'ai commencé un autre combat ici", confie-t-il. Combat qu'il remporte cette fois.

Le 1er mai 1984 est une autre date-clé dans le parcours de Luul Sebathu. C'est celle de son engagement à la Migros, où il obtient son CFC. Cette entreprise, dont il partage les idéaux, l'employé lui est toujours fidèle, 35 ans plus tard.

Naturalisé suisse, Luul se sent aujourd'hui totalement intégré. "Je ne vois pas de différence entre moi et les autres Suisses, mis à part la couleur de peau peut-être. Pour moi, le peuple suisse est un grand peuple. Il faut lui rendre ça."

L'attachement sans borne de Luul Sebathu pour la Suisse, sa reconnaissance pour l'accueil qu'il y a reçu, n'efface pourtant pas ses origines, et ses 7 ans de combat. Depuis Neuchâtel, il ne peut regarder ce qui se passe en Erythrée les bras croisés.

Malgré des soucis de santé, il  se sent la responsabilité de fédérer sa communauté en Suisse, et de soutenir les rescapés qui y trouvent refuge. "En tant que survivant, si j'arrive à faire quelque chose pour l'autre, ça me nourrit, ça me fait vivre vraiment", explique-t-il.

Luul rêve de retourner vivre un jour en Erythrée. "Mais quand ? Je ne sais pas". En attendant, il observe, du haut de ses 37 ans d'exil, ses jeunes compatriotes le rejoindre, plutôt que l'inverse.

>> Ecouter le portrait de Luul Sebathu dans la Matinale:

Luul Sebathu, ex-combattant auprès de l’Armée de Libération de l’Erythrée, employé à la Migros dans le canton de Neuchâtel. [Mouna Hussain - RTS]Mouna Hussain - RTS
Le Journal horaire - Publié le 22 août 2019