Afghanistan, des femmes face aux talibans

Grand Format

RTS - Karim Amin

Introduction

Les femmes seront-elles les grandes perdantes des négociations en cours entre les Etats-Unis et les talibans? En première ligne dans la lutte pour la paix en Afghanistan, elles sont aujourd'hui nombreuses à craindre un recul de leurs droits. La RTS s'est rendue à Kaboul à la rencontre de celles et ceux qui luttent pour la sécurité et militent pour une égalité loin d'être acquise dans ce pays en guerre depuis quarante ans.

Chapitre 1
Un dialogue périlleux

RTS - Annabelle Durand

Après s'être affrontés pendant des années, les Etats-Unis et les talibans ont entamé des discussions en septembre 2018, à Doha, pour décider de l'avenir de l'Afghanistan et de ses 35,5 millions d'habitants.

Sans accès à la mer, l'Afghanistan se trouve en Asie centrale. [RTS - Google Maps]

Ces négociations qui visent à trouver une issue au conflit qui ronge le pays portent sur quatre points principaux: le retrait des troupes américaines, l'assurance que l'Afghanistan ne servira pas de refuge pour des groupes terroristes voulant attaquer d'autres pays, un dialogue inter-afghan et un cessez-le feu permanent.

J'aime mon pays, je veux le servir. Nous sommes jeunes, c'est notre devoir

Lieutenant Jawad

Mais si les ennemis d'hier semblent s'accorder sur les deux premiers points, le président Donald Trump étant partisan d'un retrait rapide des soldats américains encore déployés en Afghanistan, les tentatives d'établir un dialogue entre les talibans et le gouvernement du président Ashraf Ghani, élu en 2014, piétinent.

Le difficile retrait de l'OTAN

Autre pierre d'achoppement, les talibans exigent un retrait total des forces de l'OTAN contre un cessez-le-feu. Or, à l'heure actuelle, l'armée afghane ne paraît pas en mesure d'assurer seule la sécurité du pays.

Entraînement militaire des soldats afghans par les forces de l'OTAN. [RTS - Annabelle Durand]

Chaque mois, des dizaines de ses soldats sont tués dans des attaques, le plus souvent perpétrées par les talibans eux-mêmes.

Dans un tel contexte, le désengagement des militaires étrangers risquerait de précipiter le retour du mouvement islamiste au pouvoir. Difficile donc d'établir un calendrier pour le départ de l'OTAN. L'organisation compte aujourd'hui 17'000 soldats en Afghanistan dont 14'000 Américains. Elle assure la formation, le conseil et l'assistance des institutions et des forces de sécurité afghanes dans le cadre de la mission Resolute Support. Un soutien précieux pour les autorités de Kaboul.

>> Reportage en Afghanistan (1/3): le défi de l'entraînement de l'armée par l'OTAN :

Série de reportages en Afghanistan. Le premier volet est consacré à la mission de l'OTAN sur place.
19h30 - Publié le 2 juillet 2019

Chapitre 2
L'intégrisme religieux en embuscade

RTS - Annabelle Durand

La place des femmes dans le futur Afghanistan ne figure quant à elle pas à l'agenda des pourparlers de paix. De nombreuses Afghanes redoutent donc que -pressés de s'en aller- les représentants américains se contentent des quelques garanties émises du bout des lèvres par les islamistes.

"Nous avons eu deux épisodes de négociations. La première fois, en février, ils ont essayé d'être agréables. Ils m'ont dit qu'ils étaient d'accord d'envoyer les filles à l'école et les femmes à l'université, que les femmes puissent travailler. Mais quand on s'est retrouvés en mai, ils étaient beaucoup plus durs", rapporte à la RTS Fawzia Koofi, une des deux femmes à avoir pu participer aux rencontres organisées entre l'opposition afghane, dont l'ancien président Hamid Karzaï, et les talibans, à Moscou.

Notre religion est claire sur ce que doit faire un homme ou une femme. La démocratie obéit à l'islam, pas l'inverse

Qalam Uddin, président du parti Harakat-e-Inqilab-e-Islami Afghanistan

Une première tentative d'organiser une rencontre inter-afghane à Doha, en incluant des membres du gouvernement d'Ashraf Ghani, a avorté en avril. Officiellement, les talibans ont annulé la rencontre à cause de la taille de la délégation. Mais les islamistes ont plus probablement été rebutés par la présence d'une cinquantaine de femmes dans les rangs de la délégation. Leur porte-parole, cité par Le Monde, a qualifié la présence des femmes dans ces pourparlers de pas "nécessaire".

Double discours

Avec une telle attitude, les talibans sont accusés de tenir un double discours. Rencontré par le 19h30, le mollah Qalam Uddin incarne bien ce paradoxe.

La journaliste de la RTS chez le mollah Qalam Uddin. [RTS - DR]

De 1997 à 2000, lors du règne des intégristes, il était le bras droit du ministre de la Vertu et de la Prévention du vice. L'homme terrifiait alors les femmes sans voile et les hommes sans barbe.

A l'époque, il n'aurait jamais accepté de s'entretenir avec une journaliste occidentale. Et si aujourd'hui il se prête à l'exercice, il a tout de même un instant d'hésitation au moment de serrer la main d'une femme. "Nous pensons que si les femmes travaillent, elles ne doivent pas travailler avec les hommes", précise celui qui dirige aujourd'hui un parti radical. "On ne doit pas dépasser ce qui est autorisé par l'islam."

Un deuxième rendez-vous est prévu les 7 et 8 juillet prochains. Son déroulé en dira long sur la tournure des événements en Afhanistan. En visite à Kaboul la semaine dernière, le secrétaire d'Etat américain Mike Pompeo avait dit espérer un accord de paix avec les talibans "avant le 1er septembre".

Chapitre 3
Des femmes politiques au front

RTS - DR

Sous le régime des talibans, de 1996 à 2001, les droits des femmes étaient bafoués en toute impunité. Les Afghanes étaient privées des libertés les plus fondamentales: interdiction de circuler, d'aller à l'école et de travailler. La trentenaire Nahid Farid, rencontrée par le 19h30, s'en souvient comme si c'était hier.

Pendant six ans, j'ai été enfermée chez moi. J'étais adolescente, j'étais privée d'étudier, privée d’apprendre

Nahid Farid, femme politique afghane

Aujourd'hui députée de la province d'Herat, dans l'ouest de l'Afghanistan, cette femme de caractère mène de front vie de famille et vie politique, défiant les extrémistes dont elle est la cible. "Nous ne voulons pas que ces gens qui tuent les femmes et les enfants soient relâchés de prison", commente-t-elle.

En dix-huit ans, la condition des femmes a connu quelques améliorations en Afghanistan. Parmi les changements notoires, relevons que l'égalité hommes-femmes est inscrite dans la Constitution qui a été adoptée en 2004.

Peu à peu, les femmes ont aussi commencé à faire leur entrée sur le marché du travail, notamment dans les zones urbaines et elles représentent 5% des entrepreneurs du pays.

Des quotas introduits

Le parlement afghan, à Kaboul. [RTS - Annabelle Durand]

Des quotas ont également été instaurés en politique. Le Parlement afghan compte ainsi 27% de députées à la Chambre basse, soit 68 femmes sur 250 sièges, et 23,5% de sénatrices à la Chambre haute, soit 16 femmes sur 68 sièges.

"Mes collègues masculins nous acceptent parce que nous sommes arrivées avec l'instauration des quotas. Certains disent, s'il n'y avait pas de siège réservé, vous ne seriez pas là", précise Nahid Farid.

En Afghanistan peut-être plus encore qu'ailleurs dans le monde, les femmes politiques doivent assumer de front vie de famille et vie politique. "C'est un duel permanent", rappelle-t-elle. Un problème de plus que n'ont pas les hommes. En Afghanistan encore moins qu'ailleurs.

>> Reportage en Afghanistan (2/3): le courage des femmes en politique :

Série: le courage politique des femmes en Afghanistan qui craignent le retour des talibans et dénoncent leur double discours.
19h30 - Publié le 3 juillet 2019

Chapitre 4
"Le pire pays" où naître femme

RTS - Annabelle Durand

Malgré les progrès réalisés ces dernières années, l'Afghanistan reste "le pire pays" où naître pour une femme, selon Amnesty International. Car si la situation s'est quelque peu améliorée, le pays compte encore parmi les plus pauvres et les plus dangereux au monde.

En 2018, la Mission d'assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA) a recensé un nombre record de victimes civiles: 3804 morts et 7819 blessés. Une victime sur dix était une femme.

Une violence impunie

Un vendeur de rue à Kaboul, en Afghanistan. [RTS - Karim Amin]

Malgré une loi prônant leur élimination en 2009 et réaffirmée par le président Ashraf Ghani en mars 2018, les violences faites aux femmes et les atteintes aux droits humains perdurent à tous les niveaux de la société afghane. Fin 2018, des footballeuses de l'équipe afghane ont dénoncé publiquement les agressions sexuelles et le harcèlement qu'elles subissaient.

L'an passé, sur 280 meurtres de femmes recensés par la MANUA, des condamnations n'ont été prononcées que dans 50 cas et une majorité de ces affaires n'a pas été examinée par des tribunaux.

Quant aux mariages forcés, ils restent monnaie courante dans tout le pays, même pour les mineures, rappelle Amnesty International. C'est le cas par exemple de Yasmine, que la RTS a croisée dans un quartier pauvre de l'ouest de Kaboul. Originaire de la province de Laghmân, à l'est de la capitale, la jeune fille a été donnée par son père, très pauvre, à un autre homme.

Aujourd'hui âgée de 15 ans et enceinte de huit mois, elle suit un des programmes mis en place par Terre des hommes pour venir en aide aux jeunes mères et les sortir de l'ignorance.

>> Reportage en Afghanistan (3/3): Terre des hommes au chevet des femmes :

Suite des reportages en Afghanistan: Terre des Hommes avec des sages-femmes des quartiers les plus pauvres de Kaboul.
19h30 - Publié le 4 juillet 2019