La Suisse engagée contre la malnutrition en Corée du Nord

Grand Format

RTSinfo - Michael Peuker

Introduction

Le correspondant de la RTS a exceptionnellement pu se rendre en Corée du Nord, un des pays les plus fermés au monde, touché par une sévère crise alimentaire. Il y a rencontré des acteurs suisses engagés dans la lutte contre la malnutrition.

Eclairage 1
Quatre Nord-Coréens sur 10 souffrent de malnutrition

La Corée du Nord fait face à une sérieuse crise alimentaire: 10 millions de Nord-Coréens, soit 40% de la population, souffrent de malnutrition, selon le dernier rapport de l’ONU paru début mai.

En raison de la sécheresse, la récolte 2019 est la plus mauvaise en une décennie. Plus d'un million de tonnes de céréales seraient nécessaires pour combler la pénurie, selon les estimations de l'ONU.

Le secteur agricole du pays peine à répondre aux besoins de sa population, qui avait été ravagée par la famine dans les années 1990.

"C'est un pays extrêmement accidenté, où les surfaces cultivables sont très peu nombreuses, qui souffre plus que d'autres des changements climatiques", analyse Jean-François Fitou, directeur du bureau français de coopération en Corée du Nord.

Un paysage brun et aride où s’affairent quelques silhouettes menues armées d’outils rudimentaires. Quelques bœufs tractent péniblement des charrues de bois usées. Un tableau symbole d’une agriculture d’un autre âge. [RTSinfo - Michael Peuker]
Un paysage brun et aride où s’affairent quelques silhouettes menues armées d’outils rudimentaires. Quelques bœufs tractent péniblement des charrues de bois usées. Un tableau symbole d’une agriculture d’un autre âge. [RTSinfo - Michael Peuker]

"Agriculture extrêmement fragile"

Le pays peine à sortir de la "situation épouvantable des années 1990", selon le spécialiste.

>> Ecouter l'éclairage :

La Corée du Nord fait face à une sévère pénurie alimentaire [RTSinfo - Michael Peuker]RTSinfo - Michael Peuker
La Matinale - Publié le 13 mai 2019

"C'est un peu mieux, mais cette agriculture demeure extrêmement fragile, peu productive, il n'y a pas assez d'irrigation, (...) pas assez de méthodes modernes d'agriculture.

La paysannerie nord-coréenne manque de presque tous les moyens qui, partout ailleurs ou presque, sont des moyens normaux pour cultiver le sol", résume Jean-François Fitou.

Dans les champs, on voit hommes, femmes et enfants participer aux travaux. Ils grattent péniblement le sol sec et dur avec des outils d'un autre âge, et cultivent le moindre recoin.

Eclairage 2
Réparer les stigmates de la famine des années 1990

Partout dans les campagnes, des signes trahissent la lutte acharnée pour la sécurité alimentaire.

Des collines, autrefois arborées, sont aujourd’hui dénudées et s’affaissent peu à peu. [RTSinfo - Michael Peuker]
Des collines, autrefois arborées, sont aujourd’hui dénudées et s’affaissent peu à peu. [RTSinfo - Michael Peuker]

Des collines autrefois arborées sont aujourd’hui dénudées et s’affaissent peu à peu, telles des châteaux de sable.

"Dans les années 1990, ces pentes (...) ont été complètement déforestées. Les gens avaient besoin de combustible", indique Matthias Meier, qui dirige le bureau de coopération suisse en Corée du Nord.

"La nourriture manquait. Ils se sont donc mis à cultiver les coteaux. Il en résulte une érosion du sol.

Lors de fortes pluies, des coulées de boues détruisent les cultures et descendent jusqu’ici", poursuit le responsable.

Cultiver de manière durable

Matthias Meier gère plusieurs projets visant à stabiliser les terrains fragilisés. La solution: replanter les pentes en alternant les bandes d’arbres fruitiers et divers types de culture.

"Notre approche implique une sorte de pacte", explique-t-il. "Les groupes de cultivateurs obtiennent un droit d’utilisation du sol.

L’Etat reste propriétaire foncier, mais les groupes peuvent bénéficier du 100% de la production agricole. En échange, ils s’engagent à cultiver de manière durable ces pentes."

Il s'agit là d'une petite révolution dans un pays communiste où les fermes coopératives dominent largement le paysage.

Pour la Nord-Coréenne Kwak Yeon Sun, ce système comporte de nombreux avantages: "On consomme nous-mêmes une partie (de notre production) et on vend ou on échange le reste."

De telles réformes reflètent une réelle volonté de changement du leader nord-coréen Kim Jong-Un, selon Jean-François Fitou, directeur du bureau français de coopération en Corée du Nord.

>> Sujet traité lundi dans Tout un Monde

Eclairage 3
L'eau propre, indispensable à la sécurité alimentaire

La Suisse est active depuis plus de 20 ans en Corée du Nord. L’accès à l’eau propre s’inscrit dans son programme en faveur de la sécurité alimentaire dans le pays.

Grâce au projet d’eau et d’assainissement mené pour le compte de la Direction du développement et de la coopération de la Confédération (DDC), Ro Yeon Si a désormais l'eau courante dans sa cuisine.

"Avant, la seule source d’eau, c’était la pompe dans la cour. L’eau venait du sol, sous le jardin", se souvient-elle. "Grâce à l’eau propre, nous avons une meilleure hygiène."

>> Ecouter le reportage :

L’accès à l’eau propre s’inscrit dans le programme de la DDC en Corée du Nord. [RTSinfo - Michael Peuker]RTSinfo - Michael Peuker
La Matinale - Publié le 13 mai 2019

Eviter les contaminations

Yvonne Müller dirige le programme. "Notre projet se focalise sur l’eau propre depuis une source pure – et on traite aussi les excréments", pointe-t-elle.

Désignant des toilettes sèches traditionnelles, la responsable explique: "en Corée du Nord, on garde la matière fécale pour l’utiliser comme engrais. Alors, on construit des toilettes à double puits pour qu’ils alternent chaque six mois (...).

Après six mois, ils ferment le trou et utilisent le second. Cela permet de laisser fermenter, de composter les selles. Et on leur amène aussi de l’eau captée des collines au loin. Cela évite de contaminer les gens."

"La matière fécale humaine est pleine de bactéries, de vers qui rendent malade. Si on ne laisse pas reposer les déjections assez longtemps pour éliminer totalement les pathogènes et qu’on l’épand immédiatement sur les cultures, on s’infecte", poursuit encore Yvonne Müller.

Plus d’un tiers de la population nord-coréenne serait infectée par des vers, ce qui accentue le phénomène de malnutrition chronique dont souffre le pays.

Eclairage 4
L'aide compliquée par le contexte politique international

Depuis 2012, le programme d'assainissement de la DDC a permis d’améliorer l’approvisionnement en eau d’environ 50'000 foyers.

Mais cette tâche est compliquée par les sanctions économiques qui visent le pays, en lien avec les exigences de dénucléarisation.

"On doit soumettre nos demandes d’importation au comité de sanctions de l’ONU. Mais même avec une autorisation, il y a tellement d’autorités et d’acteurs le long de la filière… rien n’est garanti", déplore Yvonne Müller, la directrice du projet.

Elle développe: "il y a les entreprises de transport, d’exportation, les douanes et les entreprises étrangères…

Ces dernières craignent par exemple pour leur réputation, veulent éviter les problèmes ou l’exposition médiatique. En réalité, s’approvisionner devient vraiment difficile".

De nombreuses ONG sur place partagent ce constat, et pointent aussi l’impact négatif des sanctions sur les rendements agricoles.

Donald Trump et son homologue sud-coréen ont convenu de l’envoi d’aide humanitaire mais n'envisagent pas pour autant un allègement des sanctions.

Multiplication des incidents

Kim Jong Un (gauche) et Donald Trump (droite) lors du sommet de Hanoï, le 28 février dernier [AP - EVAN VUCCI]
Kim Jong Un (gauche) et Donald Trump (droite) lors du sommet de Hanoï, le 28 février dernier [AP - EVAN VUCCI]

Au niveau international, la défiance monte entre le régime nord-coréen et Washington. Réunis à Hanoï, au Vietnam, en février dernier, pour un deuxième sommet visant à la dénucléarisation de la Corée du Nord, Kim Jong-un et Donald Trump s'étaient brusquement séparés sans accord.

Depuis cet échec, les incidents se sont multipliés. Début avril, Pyongyang a lancé ses premiers missiles depuis le début de ses négociations avec les Etats-Unis en 2018.

La justice américaine a par ailleurs annoncé la saisie d'un cargo nord-coréen de 17'000 tonnes, le "Wise Honest", accusé d'avoir violé les sanctions internationales en exportant du charbon et en important des machines.

>> Lire : Missiles tirés, cargo saisi... tensions entre les USA et la Corée du Nord

Eclairage 5
Pyongyang, ville vitrine du régime nord-coréen

La ligne du parti s'affiche: "Par notre propre force d'auto-suffisance, nous construirons un socialisme prospère." [RTSinfo - Michael Peuker]
La ligne du parti s'affiche: "Par notre propre force d'auto-suffisance, nous construirons un socialisme prospère." [RTSinfo - Michael Peuker]

Kim Jong-un a donné jusqu’à la fin de l’année à Donald Trump pour reprendre les négociations sur la dénucléarisation.

Ces tirs de missiles sont certainement un levier: Le dirigeant nord-coréen sait en effet que malgré l’échec de Hanoï, le président américain se félicite d'avoir, dans une certaine mesure, apaisé les tensions.

En tirant des missiles à courte portée, Kim Jong-Un montre qu’il peut, s’il le veut, anéantir ce que Donald Trump considère encore comme une avancée politique.

Kim Jong-Un redessine la silhouette de Pyongyang

Ce que veut le jeune leader nord-coréen, c'est la levée de tout ou partie des sanctions pour se focaliser sur le développement économique de son pays.

Même si, à en croire les autorités nord-coréennes, le développement est déjà en bonne marche. A Pyongyang, M. Kim, un jeune employé du gouvernement, récite fidèlement la rhétorique officielle.

Du haut des 170 mètres de la tour du Juche, monument à la gloire de l’idéologie autarcique du régime nord-coréen, il désigne de nouveaux appartements flambants neufs.

"C’est une infime partie de nos créations récentes (...). Notre économie est en plein boom. Même si on ne peut pas importer les matériaux nécessaires du monde extérieur, on parvient quand même à les produire nous-mêmes en ne comptant que sur nous-mêmes", martèle M. Kim.

Depuis son arrivée au pouvoir, Kim Jong-un redessine peu à peu la silhouette de la capitale. Le nombre de voitures sur les routes a augmenté, les vélos électriques sont partout…

A Pyongyang, les signes des sanctions internationales sont loin de sauter aux yeux.

>> Ecouter le reportage :

Rue de l'Avenir, à Pyongyang, des douzaines d’appartements flambant neufs. [RTSinfo - Michael Peuker]RTSinfo - Michael Peuker
Tout un monde - Publié le 13 mai 2019

"Une sorte de cité interdite géante"

Les vélos électriques fleurissent à Pyongyang. [RTSinfo - Michael Peuker]
Les vélos électriques fleurissent à Pyongyang. [RTSinfo - Michael Peuker]

"C’est une ville vitrine du régime qui essaie de vendre les progrès, la modernisation du pays", décrypte Jean-François Fitou, directeur du bureau français de coopération en Corée du Nord.

"Il ne faut pas croire que tout le pays est comme la capitale, même si la capitale, c’est vrai, a beaucoup changé."

Pour Jean-François Fitou, il existe des différences "énormes" entre ville et campagne, et la différence la plus importante se situe entre la capitale, Pyongyang, "et tout le reste".

"La capitale, c’est à peu près 10% de la population. C’est une ville fermée (...) où on n’a pas le droit de venir si on n’est pas autorisé à le faire.

On vit dans une sorte de cité interdite géante, il ne faut pas avoir une image fausse: il y a des progrès limités, dans des endroits limités, et c’est évidemment des endroits que les étrangers voient de préférence", tempère le spécialiste du pays.

Les zones rurales et leurs méthodes agricoles d'un autre temps, les étrangers ne les voient quasiment jamais.

Dans Forum, Michael Peuker revient sur les conditions de son reportage en Corée du Nord.

>> Ecouter son récit :

Les statues de Kim Jong-Il et Kim Il-Sung, père et grand-père du dirigeant nord-coréen actuel Kim Jong-Un. [RTSinfo - Michael Peuker]RTSinfo - Michael Peuker
Forum - Publié le 13 mai 2019