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De battre pour l'Europe le coeur des Italiens s'est arrêté

Europe Express: le manque d'emplois est la principale préoccupation des Italiens.
Europe Express: le manque d'emplois est la principale préoccupation des Italiens. / 19h30 / 3 min. / le 20 mai 2019
#EuropExpress (1/5). Chaque soir, du 20 au 24 mai, RTSinfo propose un reportage dans une capitale d'Europe, où trois journalistes se sont rendus en train à la rencontre des habitants et de leurs préoccupations. Premier arrêt: Rome.
La gare principale de Rome. [RTS - Juliette Galeazzi]

A la gare de Termini, l'architecture mussolinienne s'impose au voyageur. De grandes colonnes s'élèvent jusqu'au ciel de la ville éternelle qui n'en finit pas de s'enfoncer dans la crise. Ou plutôt les crises.

Pays fondateur de l'Europe, qui est née sur son territoire en 1957, l'Italie a subi de plein fouet la crise économique de 2008, puis celle des migrants en 2015. Rome s'est alors sentie bien seule pour accueillir les dizaines de milliers de personnes qui débarquaient sur ses côtes en quête d'asile. Ici, on ne le dit pas trop, mais on n'a pas oublié.

L'Europe, elle est où?

Hormis sur les bancs de l'université La Sapienza, où quelques jeunes se disent confiants, le climat est plutôt morose dans la bouillonnante capitale. "J'ai peur de perdre mon travail", confie Paolo, 50 ans, vendeur au marché couvert de la Via Catania, près de la Piazza Bologna, un quartier animé de Rome.

Le drapeau italien surplombe son étal de fruits et légumes bien fournis. A côté, certains stands restent fermés. D'année en année, les clients se raréfient. "La société change", avance le commerçant. Et l'Europe, il en pense quoi? "Ah! Les politiciens parlent, ils promettent, mais dans les faits, ils font quoi?". "L'Europe, c'est une question embarrassante", rebondit sa cliente, Concetta, une élégante quadragénaire cachée derrière ses lunettes de soleil. "C'est un bon projet, mais dans ma vie quotidienne, je n'en vois pas trop l'effet".

Une crise sans fin

Le lien de confiance est depuis longtemps rompu entre les Italiens et leurs élus. Corruption, lourdeur administrative, scandales politiques: les raisons de ne plus y croire sont aussi nombreuses que le ciel est bleu en ce matin de mai.

Les Italiens ont pendant longtemps pensé que l'Europe était une solution à leurs problèmes. Maintenant, ils pensent que l'Europe est un problème supplémentaire pour l'Italie

Giovanni Orsina, historien

A Rome, les plus âgés s'inquiètent pour l'avenir de leurs enfants qui sont nombreux à s'exiler, faute de travail.  Les Italiens sont les seuls à ne pas avoir retrouvé leur pouvoir d'achat d'avant 2008.

De quoi alimenter les discours populistes et nationalistes des deux partis qui se partagent le pouvoir depuis juin 2018. Réunis au sein d'une improbable coalition, ils présentent deux listes séparées aux européennes.

Des paroles et des actes

Luca Ciarrocca, candidat du Mouvement 5 étoiles aux Européennes, répond aux questions de Tristan Dessert sur la piazza del popolo à Rome le 1er mai 2019. [RTS - Juliette Galeazzi]

"Le Mouvement 5 étoiles représente la face cachée de la population, la classe moyenne inférieure et les pauvres. Ceux qui n'étaient pas représentés au Parlement et ceux pour qui la situation est devenue invivable", explique Luca Ciarrocca, qui représente cette formation anti-système qui a, la première, bousculé les partis traditionnels en Italie sous l'impulsion de l'humoriste Beppe Grillo.

Arrivé d'un pas pressé sur la bien nommée Piazza del Popolo (place du peuple, en italien), cet entrepreneur passionné de géopolitique déroule son argumentaire bien rodé sans prêter attention au ciel qui menace ni aux groupes de touristes, nombreux à l'heure de l'apéro.

Dans un anglais fluide, ce sexagénaire qui a longtemps vécu à New York expose ses priorités: l'emploi et "une Union européenne qui fonctionne mieux". Comprendre: qui assouplisse les règles budgétaires qui, selon lui, ont amplifié la crise économique.

Depuis 25 ans, la politique est centrée sur une personne en Italie: Berlusconi, Renzi, Salvini

Giovani Orsina

L'emploi, c'est aussi l'argument numéro un du leader de la Ligue, l'extrême droite italienne, Matteo Salvini. Eurodéputé depuis 2004, l'actuel ministre de l'Intérieur multiplie depuis son arrivée au pouvoir les déclarations

Le local de la Lega pour la section de Ponte Milvio, à Rome. [RTS - Juliette Galeazzi]

fracassantes sur les migrants et sur l'Europe.

S'affichant volontiers au côté de Marine Le Pen, la représentante du Rassemblement national en France, il défend une Italie souveraine, se dit prêt à accroître encore le déficit public italien - le 2e plus élevé d'Europe après la Grèce - si cela peut améliorer l'emploi.

L'Italie d'abord

Il y a très peu d'affiches électorales dans les rues de Rome. Pourtant, le visage de ce Milanais de 46 ans est partout. "Pour nous, Matteo Salvini est comme un guide. Il aidera notre pays à retrouver sa grandeur", s'enthousiasme Stefano Mastrillo, un jeune militant très engagé rencontré dans un local de la Ligue grand comme une boîte d'allumettes dasn le très chic quartier de Ponte Milvio.

Très en verve lorsqu'il s'agit d'évoquer son modèle, il martèle: "L'Italie doit changer l'Europe de l'intérieur (...) Les gens doivent pouvoir vivre en paix et en harmonie dans leur propre pays".

A la porte d'à côté, un mécano répare un scooter. Des passants évoquent une envie de vomir en observant le garage transformé en bureau politique. Pas de quoi mobiliser les foules pour autant. Même quand, d'un balcon, Matteo Salvini fait un clin d'oeil ostensible à l'histoire en convoquant Mussolini.

Par endroits, quelques irréductibles ont accroché des drapeaux européens à leurs fenêtres, comme des bouées dans un océan de lassitude.

>> Tout #EuropExpress ici : De l'Italie à la Pologne, voyage en train dans l'Europe des populistes

Juliette Galeazzi, avec Tristan Dessert et Stephen Mossaz

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