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Les membres du clergé catholique "sont majoritairement homosexuels"

Frédéric Martel. [RTS]
L'invité de La Matinale (vidéo) - Frédéric Martel, auteur de "Sodoma" / La Matinale / 10 min. / le 22 février 2019
Le livre-enquête "Sodoma, enquête au coeur du Vatican", est sorti simultanément jeudi dans vingt pays. Son auteur, le journaliste Frédéric Martel, y dénonce la culture du secret autour d'une homosexualité "massive" dans le clergé.

Le journaliste et sociologue, ouvertement gay, a enquêté pendant quatre ans au cœur même de l'Eglise catholique. Il affirme dans cet ouvrage de plus de 600 pages que l'homosexualité est extrêmement présente chez les ecclésiastiques, qui mènent des doubles vies hypocrites.

"Je tiens à préciser que pour moi, un cardinal, un évêque, un prêtre qui seraient homosexuels ne me posent aucun problème. Au contraire, cela devrait être un choix ou une condition de vie comme une autre. Il ne s'agit pas de les dénoncer", précise d'emblée Frédéric Martel vendredi dans La Matinale.

Mon sujet, c'est la majorité silencieuse qui est homosexuelle et qui est obligée de protéger son secret.

Frédéric Martel

Mais "ce que je peux dire après avoir vécu à l'intérieur du Vatican, c'est qu'on est là en face d'un secret, on peut même dire un secret d'Etat (…) C'est ça qui est profondément nouveau dans le livre. Jusqu'à présent, on avait régulièrement une affaire Monseigneur X, Monseigneur Y, tel cardinal qui était dénoncé. Tout ça était un peu étouffé, mais on avait compris ce qui s'était passé. Moi, je ne m'intéresse pas aux scandales, aux soirées de sexe, d'alcool et de drogue au Vatican… Mon sujet, c'est la banalité. C'est au fond la majorité silencieuse qui est homosexuelle et qui est obligée de protéger son secret."

"Pour cacher leur homosexualité, ils sont obligés d'adopter des positions très homophobes.

Frédéric Martel

Si l'homosexualité est tellement répandue au sein de l'Eglise catholique, comment expliquer les discours contre l'homosexualité, voire parfois homophobes, qui viennent du Vatican? "Ce n'est pas contradictoire, c'est même une règle", souligne le journaliste français. "Pour cacher votre homosexualité, ce qui est la base même de ce que chaque prêtre, chaque évêque, chaque cardinal veut faire lorsqu'il est concerné, ils sont obligés d'adopter des positions très homophobes. C'est une technique très classique et d'ailleurs très ancienne de tout homosexuel pour se cacher."

Or ils sont majoritairement concernés, affirme Frédéric Martel. "c'est ça la révélation de ce livre, c'est que cette homosexualité très massive, très diffuse, cette majorité silencieuse, a des effets importants sur la doctrine de l'Eglise et sur les dysfonctionnements constants, les distorsions de la vie de l'Eglise à tous ses niveaux."

L'ouvrage paru en français aux éditions Laffont est sorti le jour même de l'ouverture, au Vatican, du sommet voulu par le pape François pour mieux gérer les affaires de pédophilie au sein de l'Eglise et certaines critiques s'élèvent pour dénoncer un risque d'amalgame.

Risque d'amalgame entre homosexualité et pédophilie

"Bien sûr qu'il y a ce risque et tout ce livre - de sa première à sa dernière page - est un travail pour déminer cette confusion", se défend le journaliste et sociologue. "Mais cette confusion, c'est l'Eglise qui l'a faite", poursuit-il. "Il y avait une confusion constante entre des relations entre majeurs consentants sans autorité, et d'autre part des abus, des positions de pouvoir, du droit de cuissage, etc.. Et cette distinction n'a pas été faite par l'Eglise. Moi, je passe mon temps à la faire."

L'homosexualité n'a aucun rapport particulier avec les abus sexuels sur mineurs"

Frédéric Martel

Frédéric Martel insiste: "l'homosexualité n'a aucun rapport particulier avec les abus sexuels, qui sont essentiellement hétérosexuels, dans les familles hétérosexuelles, dans les écoles, le fait de personnes hétérosexuelles et la majorité des victimes sont des filles à travers le monde. Il n'empêche que dans l'Eglise, il y a une singularité, une spécificité. Les études américaines des évêques, les études de l'enquête Spotlight (NDLR: en 2002, une enquête du Boston Globe avait révélé comment la hiérarchie catholique locale avait couvert des abus sexuels commis par quelque 90 prêtres durant plusieurs décennies), montrent que 80 à 85% des victimes des prêtres dans ces affaires-là sont des hommes majeurs ou des garçons mineurs. Et donc ces abus dans l'Eglise sont des abus homosexuels."

Mais ce n'est pas le sujet du livre, souligne-t-il. "Le sujet, c'est la majorité silencieuse qui cache une culture du secret. Et cette culture du secret a permis à des abuseurs qui avaient d'autres logiques d'être protégés par une immense culture du secret dont le premier objectif est de cacher l'homosexualité des cardinaux et des évêques. Ces deux choses sont intrinsèquement liées. Donc il fallait publier ce livre à ce moment-là parce que c'est le cœur du problème."

Propos recueillis par Chrystel Domenjoz/oang

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