Les entrepreneurs qui ont accepté de participer à la série "Une affaire de famille". [RTS]
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Reprendre la boîte de papa, une affaire délicate

Entre 70'000 et 80'000 PME changeront de mains d'ici 2021, selon la dernière étude de Credit Suisse. Cette phase de transition comprend de grands risques, avec plusieurs questions délicates. A qui transmettre son entreprise familiale? Comment préparer ses enfants à la reprise? Que se passe-t-il lorsque la direction sort du giron familial? Pour y répondre, la série "Une affaire de famille" de RTS La Première s'est invitée dans cinq sociétés romandes.

Les condiments Hugo Reitzel à Aigle

"Une reprise par mes enfants? Ce n'est pas une obsession"

Le premier épisode de cette série débute à Aigle, chez Reitzel, une entreprise spécialisée dans les condiments. Fondée par Hugo Reitzel en 1909, elle emploie aujourd'hui 650 personnes, dont une centaine en Suisse.

Issu de la famille française Grey-Poupon, connue pour ses moutardes, Bernard Poupon occupe le poste d'administrateur délégué. "Je suis arrivé en 1986, lorsque j'avais 32 ans. Mon père était partie prenante dans cette entreprise, avec la famille Reitzel. On cherchait un patron et cela a été pour moi l'occasion de devenir entrepreneur."

L'indépendance à tout prix

Comment aborde-t-il l'avenir? "Il est important que l'entreprise reste indépendante", affirme Bernard Poupon. "Dans l'histoire de l'agroalimentaire, il y a beaucoup de sociétés qui ont été rachetées par d'autres groupes. Et il y a souvent beaucoup de casse avec des démantèlements d'équipes et des fermetures d'usines."

Père de quatre enfants, l'entrepreneur évoque la possibilité d'une transmission. "Ce n'est pas à l'ordre du jour pour les trois ou quatre ans à venir, mais cela peut l'être plus tard. Ce n'est pas mon obsession."

En effet, à 64 ans, Bernard Poupon n'est pas pressé de prendre sa retraite. "Il y a beaucoup d'entrepreneurs qui continuent leurs activités tant qu'ils sont en forme et c'est vrai que c'est une tentation. Mais, pour permettre aux nouvelles générations de prendre des risques et de s'épanouir, il faut que les anciens se retirent."

>> Le reportage de Rinny Gremaud :

Récolte des cornichons chez Reitzel à Aigle (VD). [RTS - Pierre-Etienne Joye]RTS - Pierre-Etienne Joye
Une affaire de famille (1/5): L'entreprise Reitzel / La Matinale / 5 min. / le 9 juillet 2018

Signalisations lumineuses Aprotec à Genève

"Certains collaborateurs m'ont babysittée"

On se rend à Genève dans les locaux d'Aprotec, qui fabrique des signalisations lumineuses pour les sorties de secours. A sa tête depuis plus de trois ans, Anne-Sophie Dunand-Blaesi représente la troisième génération.

Elle occupe l'ancien bureau de son père. "Désormais, il occupe un petit local au fond du couloir", dit-elle.

"Un gros challenge"

Après des études en sciences économiques, puis en marketing de produits de luxe, elle ne s'attendait pas du tout à reprendre le flambeau. "Non seulement je ne viens pas de ce domaine-là, mais certains collaborateurs m'ont vue naître et d'autres m'ont même babysittée. De plus, je suis arrivée en tant que 'fille de' et dans un milieu très masculin. C'était compliqué."

Elle dévoile quelques-unes de ses stratégies: "Dès le début, j'ai vouvoyé tout le monde et serré leur main au lieu de leur faire la bise."

"Le terme 'retraite' n'est pas adapté à mon caractère"

A l'aube de ses 66 ans, le père d'Anne-Sophie Dunand-Blaesi, Michel Blaesi, se dit heureux de voir son entreprise rester en mains familiales. Mais il se garde d'utiliser le terme "retraite". "Celui-ci n'est pas adapté à mon caractère. Je dirais plutôt que je suis en activité-temps libre."

S'il garde un petit bureau au sein d'Aprotec, il ne participe plus aux décisions. "Je me suis retiré de toutes les réunions car lorsqu'il y avait une question, les yeux se tournaient vers moi. Or, Anne-Sophie, Serge Suarez et Pierre Abramowski, qui sont à la direction, sont totalement capables de prendre les bonnes décisions."

>> Le reportage de Cynthia Racine :

L'entreprise Aprotec sera reprise par Anne-Sophie Dunand Blaesi. [Aprotec]Aprotec
Une affaire de famille (2/5): L'entreprise Aprotec / La Matinale / 5 min. / le 10 juillet 2018

Les spiritueux et sirops Morand à Martigny

"Une entreprise ne se gère pas uniquement en fonction de la famille"

Dans le coude du Rhône, à Martigny, les Morand fabriquent de l'eau-de-vie et des sirops depuis des décennies. Le fondateur, Louis Morand, a dirigé l'entreprise de 1958 à 2007, après quoi la société a dû chercher un directeur opérationnel hors de la famille. Si Fabrice Haenni dirige la société aujourd'hui, le fils de Louis Morand, Jean-Pierre, et son neveu Olivier Vocat restent membres du conseil d'administration.

Pour le fondateur, il n'y avait pourtant qu'une succession possible. "Il fallait qu'un Morand succède à un Morand", rapporte son fils Jean-Pierre. "Mais, dit-il, on ne pouvait pas gérer l'entreprise uniquement en fonction de la famille. Il fallait lui donner son destin propre et les moyens de se défendre dans un environnement qui a changé."

Le moment du départ n'a pas été chose facile pour Louis Morand. "On lui avait dit que ce serait bien d'abandonner son bureau. C'était un endroit fort, où on l'avait vu pendant 50 ans. C'était un moment difficile car il n'a pas bien compris cette démarche", explique son neveu Olivier Vocat.

Des changements difficiles à accepter

Toutes les modifications stratégiques opérées depuis son départ n'ont visiblement pas plu au fondateur. C'est le cas du changement d'étiquettes sur les bouteilles et, surtout, de la délocalisation de la production des 40 sortes de sirops.

"Les produire tous à Martigny n'est pas concevable. On travaille donc avec un partenaire en Provence (F). Je ne suis pas sûr que mon papa l'accepte... Mais il doit quand même en être content car on vend quatre fois plus de sirops que par le passé."

>> Le reportage d'Esther Coquoz :

Olivier Vocat, président du conseil d’administration de l’entreprise Morand et Jean-Pierre Morand, administrateur délégué. [RTS - Esther Coquoz]RTS - Esther Coquoz
Une affaire de famille (3/5): L'entreprise Morand à Martigny / La Matinale / 4 min. / le 11 juillet 2018

Automobiles Senn à Neuchâtel

"Nous avons senti le poids du vide"

Pierre Senn a fondé son entreprise il y a près de 60 ans à Neuchâtel. Depuis, ses deux fils ont repris la concession automobile qui emploie aujourd'hui 150 personnes. Le bureau de Pierre-Daniel Senn a été emménagé dans ce qui était le salon de ses parents. "Ma chambre se trouvait deux bureaux plus loin", sourit-il.

Chez les Senn, la succession s'est déroulée en douceur. "A partir de 2000, mon père a décidé de se retirer. Il venait tous les jours mais c'était mon frère et moi-même qui dirigions les activités quotidiennes."

Ce n'est qu'en 2014, lorsque le fondateur est décédé, que ses fils ont réalisé leur statut de patrons. "On a senti le poids du vide... Soudainement, il a fallu entrer dans des habits un peu plus grands."

"On ne le vit pas comme une appropriation"

A la question de savoir si l'héritage d'une entreprise constitue une opportunité ou un cadeau empoisonné, Pierre-Daniel Senn se montre nuancé. "On ne peut pas nier qu'il y a un capital qui nous a été remis. Mais on ne le vit pas comme une appropriation. On nous a confié momentanément le destin de 150 collaborateurs et un nombre encore plus grand de clients."

Lui-même père de deux enfants, le Neuchâtelois se dit ouvert quant à l'avenir. "Il faut laisser la génération suivante se former sans la préformater. Est-il prêt à un refus? "Je ne sais pas... En guise de boutade, je leur dis toujours qu'ils peuvent choisir le métier qu'ils veulent, mais qu'à 35 ans, ils seront garagistes."

>> Le reportage de Romain Bardet :

Pierre Daniel Senn, co-direceur de Automobiles Senn SA à Neuchâtel. [RTS - Romain Bardet]RTS - Romain Bardet
Une affaire de famille (4/5): l'entreprise Automobiles Senn / La Matinale / 4 min. / le 12 juillet 2018

Les éditions L'Âge d'Homme à Lausanne

"Je me suis approprié l'entreprise petit à petit"

Lorsque le patron d'une entreprise familiale décède brutalement, il arrive que ses enfants reprennent ses activités. Et ceci sans pouvoir s'y préparer. C'est ce qui est arrivé à Andonia Dimitrijevic-Borel, propulsée à la tête de la maison d'édition L'Âge d'Homme, fondée par son père Vladimir Dimitrijevic dans les années 1960.

Sis à Lausanne, les locaux abritent un stock d'une dizaine de milliers de livres, ainsi que le bureau de la directrice. "C'est là que je fais l'école à la maison avec mon fils et où je rencontre les auteurs", explique-t-elle.

Cette reprise était une évidence: "J'ai repris l'affaire petit à petit, avec l'aide de mes collègues, en poursuivant les projets en cours, puis en me l'appropriant peu à peu."

Elle dit vouloir apporter sa touche personnelle dans les affaires. "Il y a beaucoup de pression, avec des gens qui disent que je devrais faire la même chose que mon père. Mais ce n'est pas possible (...) D'ailleurs, plus on se pose de questions, moins on fait les choses spontanément. Et si j'avais trop réfléchi, j'aurais trop angoissé."

"Mon mari a rejoint l'équipe"

Les éditions L'Âge d'Homme demeurent une vraie entreprise familiale: "Mon mari Jonathan a également rejoint l'équipe, surtout pour des raisons de transports et de logistique. Personne ne pouvait faire les trajets que faisait mon papa puisque je n'ai pas le permis de conduire."

>> Le reportage d'Olivier Schorderet :

Andonia Dimitrijevic, directrice des éditions L'Age d'Homme. [RTS - Olivier Schorderet]RTS - Olivier Schorderet
Une affaire de famille (5/5): la maison d'édition l'Age d'Homme / La Matinale / 4 min. / le 13 juillet 2018

Des transitions à haut risque

Interview d'un spécialiste

La succession est un virage difficile qu'il faut savoir anticiper pour éviter de finir dans le mur. Retour sur les témoignages recueillis durant une semaine.

>> Ecouter le sujet de Cynthia Racine dans Forum :

Les entrepreneurs qui ont accepté de participer à la série "Une affaire de famille". [RTS]RTS
Comment assurer la pérennité des entreprises familiales? / Forum / 3 min. / le 18 juillet 2018

Qu’est-ce qui fait qu’une succession est plus compliquée dans une entreprise familiale qu'ailleurs? Le regard de Maxime Dubouloz, expert en entreprises familiales chez PWC.

>> Ecouter l'interview de Maxime Dubouloz dans Forum :

La succession familiale d'une entreprise peut être accompagnée par des spécialistes. [RTS]RTS
Pérennité des entreprises familiales: interview de Maxime Dubouloz / Forum / 5 min. / le 18 juillet 2018