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En Colombie, une bataille coriace se joue autour d'un brevet de Novartis

Berne tente de dissuader la Colombie de déclasser le Glivec de Novartis
Berne tente de dissuader la Colombie de déclasser le Glivec de Novartis / 19h30 / 4 min. / le 27 mars 2016
La Colombie devrait bientôt donner sa décision sur le déclassement du brevet du Glivec, un anti-cancéreux de Novartis. Une décision qui permettrait d'ouvrir le marché aux génériques et d'alléger la facture sociale.

Le Glivec est devenu indispensable pour traiter les leucémies myéloïdes chroniques. Le problème, c'est son coût. En Colombie il revient à environ 20'000 dollars (19'519 francs) par patient et par an, soit environ deux ans de salaire. Beaucoup trop pour un système de santé dont les dépenses ont explosé.

Durant des années, la Colombie avait refusé le brevet du Glivec et permis le développement de génériques, 70% moins chers. Mais en 2012, après une longue bataille judiciaire, Novartis a fini par obtenir la reconnaissance de son brevet, chassant les génériques du marché.

Le coût pour la collectivité a explosé: "Le surplus engendré par le Glivec sur le système de santé, pour une seule année, est estimé à 12 millions de dollars" affirme Francisco Rossi, de l'IFARMA, l'institut de surveillance du marché des médicaments à Bogotá.

Licence obligatoire

Le 24 novembre 2014, des associations, dont IFARMA, déposent auprès des autorités de santé colombiennes une demande pour qu'elles déclarent l'accès au Glivec d'intérêt public. Cette disposition, prévue par des textes de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), permet aux pouvoirs publics d'autoriser un tiers à fabriquer le produit breveté sans le consentement du titulaire du brevet.

"Ce mécanisme est à portée de main, mais est peu utilisé en raisons de pressions politico-économiques énormes" explique Patrick Durisch, responsable du programme santé à la Déclaration de Berne, qui suit le dossier depuis le début.

De son côté, Novartis défend son brevet bec et ongles et estime que "mépriser les droits des brevets fait du mal à des secteurs comme celui de l'industrie pharmaceutique, qui investissent massivement pour découvrir et développer des innovations, comme le Glivec, dont bénéficient des millions de patients dans le monde".

Soutien de la Confédération pour des bénéfices privés

Ce fleuron de l'industrie helvétique peut également compter sur la Confédération pour défendre ses intérêts. Notamment par un courrier daté du 26 mai 2015, adressé par le SECO au ministère de la santé colombien.

Le Département de l'économie y rappelle en premier lieu les excellentes relations commerciales entre les deux pays et que "la Colombie est une destination importante pour les investisseurs suisses avec plus de 16'000 emplois créés localement". Avant de s'avouer "inquiet concernant la demande de déclarer le brevet d’intérêt public".

>> Relire sur ce sujet : La Suisse accusée de lobbying en faveur de l'industrie pharmaceutique

Interrogé sur la fréquence de ce type d'intervention, le SECO n'a pas souhaité s'exprimer et renvoie vers la réponse très floue du Conseil fédéral à une interpellation au parlement le 24 septembre 2015.

Signal en faveur d'une licence obligatoire

Après de longs mois de silence, le 27 février 2016, un comité technique mandaté par le ministère de la santé colombien publie un avis favorable dans lequel il conseille de "déclarer l'intérêt public ayant pour finalité la licence obligatoire (…) mais conseille auparavant une négociation du prix du Glivec, afin que son coût soit approprié à la viabilité du système de santé".

Depuis, c'est l'attente. Une décision devait être prise pour le 18 mars. Le ministère de la santé serait en cours de négociation. "De nombreuses industries, pas seulement Novartis, doivent penser que ce serait un précédent catastrophique", estime Francisco Rossi, de l'IFARMA à Bogotá.

Pour Patrick Durisch, de la Déclaration de Berne, les délais et retards s'expliquent par "la peur que la décision colombienne, qu'il s'agisse d'une baisse du prix ou d'une licence obligatoire, soit une brèche pour remettre en cause le modèle de l'industrie pharmaceutique".

Natalie Bougeard/fme

>> A consulter aussi, le dossier de la Déclaration de Berne

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