Démantèlement en six unités du géant technologique chinois Alibaba

La restructuration historique de l'entreprise fondée par Jack Ma, symbole par excellence de l'entrepreneuriat privé en Chine, a fait grimper en flèche les actions des entreprises technologiques chinoises à New York (+14%) et à Hong Kong (+13%). Dans le sillage de l’annonce, d’autres grandes entreprises chinoises ont elles aussi vu leur cours décoller, signe de la satisfaction des investisseurs qui espèrent la fin de la campagne du Parti communiste à l’encontre du secteur technologique.

La nature de la refonte du conglomérat peut cependant aussi être vue dans la continuité de la reprise en main des autorités chinoises. Elle traduit la volonté des régulateurs de prévenir le monopole et le pouvoir des géants de la tech. Actif notamment dans le commerce en ligne, la logistique ou le paiement digital, Alibaba est devenu au fil des ans un mastodonte incontournable nécessaire dans la vie des Chinois.

La taille et le pouvoir grandissant du groupe ont fini par inquiéter le Parti communiste. En 2020, Pékin était intervenu in extremis pour bloquer l’entrée en bourse d’Ant Financial, le bras financier de l’entreprise. L’opération avortée devait permettre au groupe de rassembler plus de 30 milliards de dollars, la plus grosse levée de fonds de l’histoire.

Réapparition de Jack Ma en Chine

Echaudé par le croche-pied du gouvernement, Jack Ma, le légendaire et flamboyant fondateur d’Alibaba, avait exprimé publiquement son mécontentement en critiquant le contrôle et le conservatisme des dirigeants. Du jour au lendemain, le milliardaire est devenu persona non grata. Brocardé par les médias d’Etat, l’ancien héros national s’est fait très discret, alimentant les soupçons de "disparition". Une chute en parallèle à la dégringolade boursière de son entreprise, dont la valeur a été divisée par trois depuis son pic à l’automne 2020.

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Exilé entre Majorque, les Pays-Bas, le Japon et la Thaïlande, Jack Ma a assisté des mois durant aux perquisitions et enquêtes ouvertes à l’encontre du groupe. Sa réapparition en Chine, dans sa ville natale de Hangzhou en début de semaine, a eu l’effet d’une bombe. Coïncidence, le lendemain sa société annonçait sa division en six unités distinctes disposant d’un conseil d’administration propre à chacune d’entre-elle.

Officiellement destinée à accroître la flexibilité décisionnelle et à dynamiser la gouvernance, cette décision dilue de fait l’influence de l’entreprise. Elle permet en outre de séparer les activités jugées sensibles par Pékin – comme le stockage de données ou l’intelligence artificielle – en les isolant dans certaines entités desquelles seront exclus les investisseurs étrangers. Une clarification à laquelle les bourses ont donc réagi favorablement, à la satisfaction du gouvernement.

Une pierre deux coups

La levée de fonds à venir des six unités à Shanghai et à Hong Kong promet de revitaliser les marchés boursiers chinois en difficulté et d’attirer de nouveaux financements dans le pays. Pékin fait actuellement face à d’importants défis économiques après trois années d’une politique zéro-Covid parmi les plus restrictives et extrêmes de la planète.

Soucieux de soutenir la croissance, le pouvoir cherche à revigorer la confiance dans le secteur de la technologie. La restructuration d’Alibaba fait partie de la stratégie visant à rassurer le secteur privé. Xi Jinping a récemment exhorté les entrepreneurs à jouer un rôle prépondérant dans la croissance et l’innovation afin de permettre à la Chine de contrer "l’endiguement" et  "l’oppression" de l’Occident dirigé par les Etats-Unis.

Avec la division d’Alibaba, les autorités chinoises font donc d'une pierre deux coups. Elle permet d’une part de neutraliser un géant devenu trop puissant et consolide la position des régulateurs, clarifiant les statuts et rassurant au passage le secteur privé et les investisseurs étrangers. Le modèle pourrait servir à d’autres mastodontes chinois de la technologie. Tencent ou encore Meituan seront scrutées de près ces prochains mois.

Michael Peuker/asch